Le télétravail : pas seulement un bénéfice RH mais un outil de continuité en cas de crise

Les grèves que nous avons connu à Paris en ce début d’année ont conduit beaucoup d’entreprises à expérimenter le télétravail de gré ou de force et l’épisode Coronavirus remet le sujet sur la table d’une manière encore plus critique. C’est l’occasion de revenir sur le sujet et le remettre peut être enfin au niveau qui est le sien.

Le télétravail : un bénéfice employé rare et durement arraché à l’entreprise

Ne nous voilons pas la face : à part dans des secteurs où le travail à distance est la norme (conseil…) ou dans des entreprises jeunes construites sur un modèle « sans bureau » (sans qu’on sache jusqu’où le modèle est scalable), le télétravail est un bénéfice qui a été durement arraché à l’entreprise par les collaborateurs. Il ne leur a été concédé, lorsqu’il l’a été, qu’avec parcimonie et au nom de la compétitivité de l’entreprise sur un marché des talents en tension…et d’économies sur les surfaces de bureau.

Bref c’est un « bénéfice soft » qui est le plus souvent vu du seul côté RH notamment dans notre belle contrée où la mise en place d’un tel dispositif d’un point de vue légal est un chemin semé de tant d’embûches qu’on en oublie les vrais questions qu’il pose.

Les leçons des grèves de janvier

Les grèves de janvier ont laissé peu de choix aux entreprises. Bien sur il y avait la possibilité de forcer les salariés à prendre des congés s’ils ne pouvaient pas rejoindre leur lieu de travail. Mais, pour les métiers compatibles avec le télétravail cela signifiait deux choses : ils ne produisaient plus et on avait la garantie qu’à la première occasion ils regarderaient vers un employeur plus ouvert d’esprit.

Donc beaucoup d’entreprises qui pratiquaient le télétravail de manière encadrée (nombre de jours limité par semaine ou réservé à certains) ont étendu le dispositif et d’autres pour qui ça n’était pas une pratique habituelle ont bien dû s’y mettre contraintes et forcées sous peine de voir leur organisation fonctionner au ralenti.

Le problème dans le télétravail c’est pas le « télé » c’est le « travail »

C’est là d’ailleurs qu’on s’est rendu compte que le problème avait été pris par le mauvais bout depuis toujours. Beaucoup considéraient que le point de blocage était juste d’accepter, intellectuellement, que les gens travaillent de chez eux, ou plus largement d’un endroit qui ne soit pas contrôlé par l’entreprise. Parce qu’en effet la distance n’a jamais été le problème.

Dans toutes les grandes entreprises et beaucoup d’entreprises de taille moyenne le travail à distance entre collègues est déjà une réalité. On travaille sur des projets avec des gens qui sont dans d’autres pays, d’autres villes…mais on le fait tous dans les locaux de l’entreprise ! Et ça c’est accepté.

Un dans un bureau à Paris, l’autre dans un bureau à Bordeaux et le troisième dans un bureau à Stockholm c’est intellectuellement acceptable. Les mêmes dans les mêmes villes mais chez eux au lieu d’être dans un bureau ça ne l’était pas.

Et pourtant les expériences d’équipes à distance auraient du porter leurs fruits : dans les organisations qui ne sont pas matures sur ce type de pratique le problème n’est pas la distance. Si on peut a minima se téléphoner, faire des visios, partager et co-éditer des documents la distance n’est pas le problème. Ce qui l’est c’est comment on s’organise et comment on collabore et ça, le travail proprement dit, la technologie ne le résout pas.

Ce qu’on a appris de grèves et apprendra du Coronavirus

On a donc mis des gens à distance de manière un peu improvisée et au débotté. Et qu’a t’on appris ? Que comme dans les équipes distantes traditionnelles peu matures cela ne fonctionnait pas ou mal.

Oui on se parlait. Oui on se voyait. Mais travailler ça n’est pas que ça.

C’est s’organiser, c’est valider, c’est décider. A minima. Pour tous. Individuellement et collectivement.

Pour le manager c’est aussi changer sa posture, son rôle, apprendre à faire confiance, sortir du modèle contrôle/présentéisme.

C’est aussi savoir gérer sa disponibilité. Dans un bureau tout le monde voit si on est occupé ou non. Pas à distance. Et si on réagit à tous les mails ou tchats de ceux qui veulent savoir si on est disponible on passe sa vie à être encore plus interrompu qu’au bureau. C’est, pour éviter cela, par exemple bloquer des plages de travail (indisponibilité) et de disponibilité dans son agenda d’un côté et vérifier avant de contacter quelqu’un que la personne a fait de même et est disponible. Des choses qui devraient déjà se pratiquer quand on travaille dans le même espace et que l’on fait peu ou mal mais qui deviennent critiques quand on est à distance.

Bref quand on est à distance on ne fait pas « juste comme si » on était ensemble grâce à la technologie. Bien utiliser la technologie, la rendre efficace impose de repenser ses pratiques individuelles et collectives.

Mais ça n’est pas tout. Cela demande de la pratique et ne se décrète pas du jour au lendemain.

Quand la technologie ne fait pas tout

Alors oui, toutes les grandes entreprises sont équipées aujourd’hui pour le télétravail. Plus ou moins bien, avec des outils plus ou moins performant mais a minima toutes peuvent « bricoler » face à une situation de crise. Ca n’est pas le sujet.

Ce que j’ai vu en janvier c’est des entreprises équipées, des salariés habitués au tchat, à la visio, à la coédition de documents, peu importe la taille et la culture de l’entreprise, mais qui devenaient dysfonctionnelles dès lors qu’on introduisait la distance dans l’équation.

Travailler chacun de son côté avec un minimum de coordination tout le monde sait à peu près faire. Travailler ensemble sur un document et pas sur une version qui passe d’email en email cela devient plus compliqué. Distribuer les tâches et surveiller la charge de travail encore plus. Valider devient difficile et décider relève de l’impossible.

J’ai été surpris de voir à quel point souvent d’ailleurs, en dépit de la disponibilité de technologies adéquates, plus on montait haut dans la hiérarchie moins on était capable de décider à distance sans se réunir dans un bureau.

La technologie a fait évoluer certaines pratiques mais pas l’organisation ni le management.

A l’inverse dans les trop rares entreprises ou les salariés ont une pratique mature du télétravail, l’organisation et le management se sont adaptés sans problème à l’impossibilité des collaborateurs de rejoindre leur lieu de travail.

Un gros trou dans les plans de continuité

Toutes les grandes entreprises ont un plan de continuité d’activité, certaines entreprises intermédiaires mais trop peu d’entreprises moyennes et encore moins de petites.

Qu’est ce qu’un plan de continuité ? Un plan qui permet à l’entreprise de continuer à fonctionner malgré un sinistre majeur ou un événement perturbant son fonctionnement. Dans la plupart des cas ils adressent les domaines vitaux : infrastructure de production, informatique, légal et au travers de deux canaux que sont les moyens techniques et les procédures.

Ce que nous apprennent les derniers événements c’est que les risques auxquels nous faisons face aujourd’hui ont été largement mésestimés et leurs conséquences (personne ne peut se rendre sur son lieu de travail) ignorées sinon on aurait pas vu autant de frictions ou d’hésitations au moment de dire aux salariés de rester chez eux (si tant est que l’activité de l’entreprise rende possible le travail à distance bien sur).

Il en est des plans de continuité comme des évacuations en cas d’incendie : la procédure a beau exister, sans entrainement régulier il ne faut pas croire qu’il suffit de la sortir d’un tiroir. Peut être certains plans prévoient-ils le télétravail mais dans ce cas on a dû considérer qu’il suffisait de renvoyer les gens chez eux avec un ordinateur et une connexion internet de manière ponctuelle au lieu de les former à travailler durablement à distance.

La leçon des grèves de janvier et, sans risque de se tromper, de la gestion du Coronavirus c’est que pour beaucoup d’entreprises le télétravail n’est qu’une réponse mal préparée à un risque anecdotique, un cadeau RH qui peut dépanner à l’occasion en cas de crise.

J’espère que maintenant tout le monde a compris que le télétravail était une vraie réponse à des risques avérés mais que sans pratique au quotidien ça n’est qu’un cautère sur une jambe de bois et que ça ne se décrète pas au dernier moment.

Photo : télétravail par LStockStudio via shuttestock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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