Un sujet nouveau en entreprise suscite forcément des questions et ce d’autant plus lorsqu’il se traduit comme cela est fréquent maintenant par la création de nouveaux métiers ou tout cas de nouveaux intitulés de postes.
Depuis bientôt 3 ans que je suis Directeur de l’Expérience employé j’ai eu le plaisir de discuter avec beaucoup d’entreprises et de professionnels curieux et intéressés par l’approche et désireux de comprendre concrètement comment ce thème à la mode qu’est l’expérience et qu’on a appliqué originellement au client pouvait s’appliquer au collaborateur.
D’où l’idée de ce billet pour résumer tout cela et en profiter pour tordre le cou à quelques idées reçues.
On ne s’occupe pas toujours de l’expérience employé pour le plaisir de s’occuper des employés
On m’a souvent dit « c’est logique que tu aies atterri là, tu as toujours eu une passion pour l’organisation interne, le management et les gens ». Pas faux. Mais je le faisais très bien jusqu’alors dans le domaine du conseil donc je n’avais pas vraiment de besoin de passer sur un poste à vocation interne. Et pour être honnête m’occuper des collaborateurs n’est pas la raison qui m’a amené là mais plutôt une conséquence.
Je dis cela quitte à surprendre car j’ai eu la chance ces dernières années de rencontrer un certain nombre de personnes occupant le même type de poste, peu importe que les intitulés diffèrent, et j’ai vraiment pu distinguer deux types de profils. Tous ont une sensibilité « RH/People » à la base mais elle ne s’est pas exprimée de la même manière au long de leur carrière. Et cela se traduit souvent par deux visions radicalement de la fonction.
Le premier profil, justement, est le « pur RH ». Il a fait toute sa carrière ou presque dans la fonction ou des fonctions périphériques et a toujours eu vocation à s’occuper de ce qui touche aux collaborateurs d’une manière ou d’une autre. Et c’est avec logique qu’on les retrouve un jour en charge de l’expérience employe (ou autre nom utilisé pour dire la même chose) avec, pour mission d’améliorer le contexte de travail du collaborateur.
Le second a profil a toujours eu cette sensibilité people/RH/management/orga mais a plutôt fait carrière du côté du business et du client. On trouve des gens qui ont été dans le conseil, des gens du marketing, des responsables des opérations qui a un moment se voient offrir l’opportunité (ou la provoquent) de changer de terrain de jeu et l’ont saisie. Pour ceux là, dont je fais partie, la logique a le plus souvent été différente.
Tous ceux avec qui j’ai discuté et qui ont suivi cette voie sont partis d‘un constat que l’on peut faire dans absolument toutes les entreprises du monde. Ils étaient en charge de vendre, exécuter, piloter d’une manière ou d’une autre une promesse faite aux clients, faisaient partie de ceux qui demandaient aux collaborateurs d’être toujours plus performants, de courir toujours plus vite et se rendaient compte que ce qui les empêchait d’avancer aussi vite qu’attendu, d’être au niveau de performance attendu était les boulets que l’entreprise elle-même accrochait à leurs chevilles. Etant du côté du business leur préoccupation première était logiquement le chiffre, les ventes, la rentabilité mais ils se sont rendus compte que le premier levier pour améliorer tout cela était interne.
Certaines causes de sous-performances sont acceptables, d’autres non
Il y a de multiples raisons pour lesquelles une équipe, un département, une business unit n’atteint pas ses objectifs.
Les plus fréquemment évoqués sont les client difficiles à gérer, immatures ou trop exigeants, un contexte économique peu porteur, des concurrents agressifs ou qui ont un meilleur produit ou tout facteur externe qu’on peut qualifier de crise. Ce sont des causes faciles à désigner, à propos desquels on perd beaucoup de temps inutilement à se lamenter et palabrer alors qu’on y peut strictement rien. Ce sont des facteurs externes sur lesquelles vous n’avez aucun moyen d’avoir un impact à court terme voire aucun moyen d’avoir un impact tout court. C’est ce que j’appelle des causes acceptables car les équipes n’ont aucun pouvoir dessus et n’ont aucun moyen d’améliorer les choses par elles-mêmes. Les blamer pour cela revient à croitre qu’il suffit de klaxonner pour dissoudre un embouteillage.
D’un autre coté vous avez une organisation compliquée, la lourdeur des process et des circuits de décision internes, un déficit de collaboration et de partage d’information, un outillage défectueux ou insuffisant, un contexte humain et managérial qui rend le travail pénible et pousse au désengagement. Ce sont les causes que je qualifie d’inacceptables car c’est l’entreprise qui en est la cause et les tolère et, ce faisant, génère par elle-même en toute conscience le déficit de performance qu’elle reproche à ses salariés.
Les personnes dans ce cas n’ont pas fait le choix de quitter le client pour s’occuper du collaborateur mais de s’occuper du collaborateur pour mieux servir le client et donc rentre l’entreprise plus performante et, espérons le, profitable. Elles ont fait le choix de s’occuper des sujets sur lesquelles elles pouvaient avoir un impact plutôt que se lamenter face à des problèmes sur lesquelles elles n’avaient aucune prise. Ils ont décidé que se battre à longueur de journée contre leur propre organisation n’était pas une solution durable et qu’il valait mieux la transformer.
Ces personnes là aussi ont décidé d’avoir un impact sur le contexte de travail du collaborateur, mais d’une autre manière.
Deux visions de l’expérience employé
J’ai sciemment utilisé le mot « contexte » dans les deux cas. Et c’est logique car par définition une expérience est ce que le collaborateur vit au travail, donc c’est indissociable du contexte dans lequel il se trouve. Mais j’ai constaté au fil du temps que selon le profil de la personne en charge du sujet, le mot n’a pas la même signification.
Pour le premier profil je parlerai de contexte « non opérationnel ». On est dans une approche « well being », « care », voire « happiness« . On utilisera tous les leviers possibles pour améliorer ce que le collaborateur vit au travail…mais en dehors de son métier. Ce que je caricature grossièrement en général « mettre un sauna à côté de la salle de torture » puisqu’on ne s’occupe du collaborateur que lorsqu’il n’est pas en situation de travail, pas en train de produire.
Pour le second profil je parlerai de « contexte opérationnel ». On est davantage dans une logique de performance et l’objectif est de supprimer tous les points de friction qui empêchent les collaborateurs de délivrer individuellement et collectivement leur plein potentiel. Il s’agit de s’attaquer prioritairement à la salle de torture même dans un second temps on n’a rien contre un sauna.
Quelle est la meilleure option ?
Je ne vous cache pas mon parti pris pour la seconde mais ça n’est qu’un avis personnel et il ne répond pas vraiment à la question. Ici on est du côté de la personne en charge de la fonction et de sa vision du poste, largement conditionnée par son background.
En fait tout dépend de ce que veux faire l’entreprise. Peut être que la partie « opérationnelle » est déjà la responsabilité de quelqu’un d’autre auquel cas l’expérience employé récupère ce qui manque. Peut être l’entreprise ne veut-elle pas s’aventurer sur le terrain prometteur mais parfois politiquement sensible de la simplification de l’organisation et de ses process. Peut être ne veut-elle faire que de la cosmétique. Peut être ne veut-elle pas trop déshabiller sa fonction RH… Tout est question de contexte, d’ambition et ensuite il suffit de trouver le bon profil.
Bref il n’y a pas de profil ou de parcours type pour piloter l’expérience employé, il faut juste être clair sur ce qu’on met dedans.
Photo : Carrefour de Brian A Jackson via Shutterstock