Dans un dernier post j’alertais sur le fait que le télétravail ça n’était pas juste d’envoyer les gens chez eux et les mettre devant un écran avec une connexion wifi mais aussi développer et roder des pratiques individuelles et collectives.
Derrière la notion de pratique il y a plusieurs choses :
- Un besoin
- La manière dont on satisfait ce besoin
- La technologie qui supporte le tout
Les deux derniers éléments sont très souvent liés : dans un monde idéal on construit l’usage et ensuite on choisit la technologie, dans la pratique on a une technologie à disposition et on se débrouille pour que l’usage rentre dedans ou un commercial persuasif essaye de nous convaincre que les limites de son produit doivent rentrer dans le cahier des charges de l’usage.
Le télétravail commence quand tout le monde est au bureau
Donc pour commencer il est essentiel de faire le tour de ses besoins et de se demander
- Si les collaborateurs savent déjà les adresser convenablement aujourd’hui
- S’il y a une meilleure manière de faire
- Si oui qu’on la mette en place et que tous la suivent
Vous allez me dire que ça n’est pas propre au télétravail mais que cela vaut aussi pour le travail de tous les jours quand tout le monde est au bureau. Effectivement.
Mon constat est qu’au bureau on développe beaucoup de mauvaises pratiques parce qu’on peut compenser par le fait qu’il puisse y avoir un contact direct, physique, visuel.
On ne partage pas l’information qui devrait l’être mais si quelqu’un la demande on la donne par oral. On voit visuellement qui est occupé ou pas. On peut utiliser le non verbal pour faire passer un message. On peut utiliser le « off verbal » pour contourner les dispositifs de collaboration et de partage.
Le télétravail : crash test des pratiques collaboratives et managériales
Il y a donc pleins de mauvaises pratiques qui ont cours au bureau car le fait qu’on puisse de voir physiquement et échanger permet de les compenser. Et lorsqu’on se retrouve à distance on se rend compte que finalement l’équipe devient dysfonctionnelle.
Qu’on se le dise une fois pour toutes : le télétravail demande une rigueur et des pratiques partagées auxquelles personnes ne déroge car il ne laisse pas le droit à l’erreur. Sauf cas de force majeur il est à réserver à des personnes ayant prouvé a minima une certaine autonomie. C’est un excellent crash test des pratiques collaboratives et managériales : ce qui fonctionne au bureau mais ne fonctionne pas à distance ne fonctionne pas et doit être revu.
Revenons à nos moutons avec les différents cas d’usage au sujet desquels vous devez vous questionner à deux niveaux : les usages et les outils.
1°) Partage d’information structurée et non structurée
C’est le basique des basiques. Le non structuré ne pose pas trop de problème si on considère que l’email est un mal nécessaire, mal maitrisé de la plupart, mais utilisé par tous et que le chat est également devenu mainstream.
Mais même sur les basiques il y des mauvaises habitudes à corriger.
Oui l’email est utilisé de tous mais mal. On n’envoie pas un document par email, surtout si c’est pour que d’autres personnes le modifient. On envoie un lien vers un document partagé !
Deuxième point le chat. De plus en plus d’outils ont leur propre chat. Si dans une entreprise 2 ou 3 chats différents sont utilisés au gré des goûts personnels ou collectifs il y des risques que lorsque vous essayez de contacter quelqu’un vous ne le cherchiez par sur le canal qu’il privilégie. Quand, par exemple, coexistent Google Hangout/Meet ou Skype et Workplace, et peut être Slack et qu’on y ajoute les chat internes à certains outils métier type gestion de projet, la dispersion des usages crée de la non productivité.
Ce sont des choses qu’on peut facilement compenser au bureau en allant en désespoir de cause voir la personne. A distance ça ne fonctionne plus.
2°) Générer de l’information
Là on est globalement dans la création / édition de documents. Alors disons le une fois pour toute : suivant la suite bureautique que vous utilisez vous pouvez utiliser le client lourd ou web, peu importe, mais il n’y a aucune raison que le document soit stocké sur le poste de travail. Il doit être « dans le cloud », partagé avec les personnes concernées ou en tout cas partageable. Si vous n’êtes pas joignable, absent ou je ne sais quoi, quiconque étant légitime à travailler sur le document doit pouvoir le trouver et l’éditer.
Ce qui suppose un prérequis : comme dit ci-dessus, un document est partagé pour être co-édité et on ne le fait pas circuler par email pour que 5 personnes l’amendent et une une sixième consolide.
Là encore, au bureau on voit encore 3 personnes se réunir devant un écran pour travailler ensemble sur un document. A distance cela ne fonctionne plus.
Aujourd’hui soit vous avez Office 365 ou Google Suite et vous pouvez le faire. Si ça n’est pas le cas votre système d’information présente une lacune de premier ordre.
3°) Mettre de l’information en mouvement
Là je ne parle pas trop d’information lié aux opérations, aux projets mais de l’information « soft » : veille, information sur l’entreprise, communication interne. C’est la partie « sociale » de l’entreprise incarnée le plus souvent par les réseaux du même nom sachant que personne n’a le temps d’aller lire le(s) intranet(s) dont, de plus, le ton et le format rend l’information indigeste et peu aisée à consommer.
Il s’agit donc de faire circuler au mieux l’information de l’entreprise qu’elle soit descendante, ascendante (le terrain a aussi des choses à raconter) ou transverse et créer des dynamiques et de l’engagement autour de cette information.
Cela relève aussi du « vivre ensemble » car, la parole étant également donnée aux collaborateurs, on y recrée le côté « machine a café », une analogie dont je n’ai jamais été fan mais qui a le mérite de mettre en avant la dimension sociale si importante quand les gens ne se voient plus. Et c’est vital lors de périodes de télétravail longues où le sentiment d’appartenance à l’entreprise se délite au fil des semaines surtout si c’est du télétravail subi et pas choisi. Dans le travail à distance on perd une partie essentielle de l’information sur la vie en entreprise : le « off ». Cela entraine une perte de contexte pour les collaborateurs qui est vraiment préjudiciable au travail.
Et non, le chat ne répond pas à cette mission. On peut créer des discussions de groupe mais c’est sur un sujet et avec un public déterminé. Là on est davantage sur l’informel : je partage sans savoir qui ça va intéresser et qui va éventuellement réagir et participer.
Contre toute attente, et à mon désespoir à une époque, les réseaux sociaux d’entreprises tels qu’on les a connu de 2005 à 2015 n’ont jamais rempli cet objectif pour des raisons de culture, de gouvernance et fonctionnelles. Fonctionnelles car les entreprises ont voulu un « Facebook Like » car l’outil était simple à adopter, et ont ensuite exigé qu’il gère pleins de use cases métier, de workflows et cela a donné des usines à gaz aux antipodes du modèle original.
Finalement pour ce cas d’usage précis qui ne relève pas de la collaboration métier mais du réseautage, de la mise en circulation d’information, de la discussion et d’un début de co-construction seul Workplace from Facebook (anciennement Facebook at Work) trouve grâce à mes yeux. Et en terme de facilité d’usage et d’adoption, son module Chat (Workchat), clone de Messenger , renverra Skype et autres aux oubliettes sans aucun besoin de formation. En termes d’adoption spontanée par les utilisateurs je n’ai jamais vu mieux que ce binôme. En termes de promesse tenue non plus.
4°) Discuter
A deux, à 5, en groupe, pour se coordonner dans le travail ou juste faire un fil d’information au sein d’une équipe les uses cases sont multiples. Et plus l’éloignement dure plus le côté « fil d’info » pour garder le lien prend de l’importance.
Un besoin normalement bien couvert par un outil de chat + workplace.
On notera aussi Teams chez Microsoft qui se prête aussi bien à l’informel qu’à des approches plus opérationnelles.
Mais une fois encore il faut du temps pour que les bons usages prennent place. J’ai vu beaucoup d’entreprises où l’usage de la discussion « opérationnelle » était bien ancré mais où il a fallu du temps pour inclure la dimension « lien social » lors du passage à distance. Entre temps certains salariés avaient déjà perdu le lien avec leur entreprise.
5°) S’organiser
Là on commence à rentrer dans des cas d’usages complexes. Pour beaucoup d’entreprises travailler à distance veut dire faire des tâches hors du bureau. Mais quant il s’agit de s’organiser on revient à des modèles traditionnels, des réunions, vu que le télétravail n’est la plupart du temps qu’une modalité occasionnelle du travail. Il y a toujours un moment où finit par se voir.
Lorsqu’une masse critique de personnes est à distance et/ou que la période de travail à distance s’allonge il faut savoir s’organiser à distance. Je ne parle même pas de l’organisation au niveau individuel qui est déjà un vrai sujet mais de l’organisation collective.
En général une partie est centralisée par le haut (chef de projet, manager) et ne posera pas trop de problème si au moins il y a échange. Cela peut se faire en chat ou visio.
Après il y a les micro-ajustements permanents entre les individus. A l’oral c’est fluide. Organiser une visio ou se téléphoner à chaque fois causes trop d’interruptions et ne permet pas une grande réactivité. En tchat ? Cela me semble la meilleure solution mais l’outil est secondaire. Ce qui compte c’est d’arriver à une décision comprise de tous et appliquée en un minimum d’échanges. Cela demande des règles et de la pratique.
6°) Décider
Encore plus difficile de décider que de s’organiser. J’ai été surpris voire choqué en décembre/janvier dernier lorsque des grève dans les transports ont imposé le télétravail à beaucoup de monde de voir que dans beaucoup d’entreprises, et pas les plus petites, il devenait impossible de décider. Je parle de personnes à haut voire très haut niveau et d’entreprises qui ont tous les moyens pour faire des visio-conférences.
Argument invoqué : on a besoin de se voir pour prendre des décisions importantes.
C’est un use case critique car il peut paralyser une entreprise ! Et une lacune des plus impardonnables car ça n’est pas une question de technologie (visioconférence car une téléconférence fait perdre le non verbal), ça n’est pas une question d’usages (se réunir et parler), c’est juste de faire le lien entre les deux.
Si le problème n’est ni dans l’usage ni dans la technologie il est dans les têtes et à ce niveau de responsabilité c’est impardonnable. Typiquement le genre de cas à pratiquer et expérimenter de manière volontaire pour être prêts le jour où on n’a pas le choix et y est contraint.
7°) Etre créatif
A l’heure où la co-construction et le design thinking commencent à vraiment s’ancrer dans les entreprises (enfin…pas encore assez dans les moyennes et petites), ce sont des dispositifs qui ont surtout voire exclusivement lieu en présentiel. Parler, discuter, animer, jouer avec des post-its, voter, décider… c’est quand même plus simple quand ont est tous autour d’un tableau blanc.
Et pourtant, si le télétravail se généralise voire s’impose dans la durée il va falloir apprendre à gérer et animer ces réunion à distance. Ce qui, même en temps normal, peut être utile avec des équipes distantes même sans télétravail ou avec des clients.
Là encore la technologie existe : Klaxoon ou Google Jamboard par exemple. Mais l’usage ne se décrète pas et demande beaucoup de pratique avant de passer tout le monde à distance.
8°) Contrôler le travail
Vous n’avez pas vos collaborateurs sous les yeux il est donc essentiel de contrôler en permanence ce qu’ils font, s’ils sont bien assis devant leur ordinateur, s’ils travaillent au lieu de flâner sur Facebook.
A mon avis c’est le cas d’usage auquel chacun pense spontanément et c’est le plus inutile voire le plus contreproductif de tous ! Un héritage d’une culture du petit chef, du management visuel qui a engendré de nombreuses maladies dont le présentéisme.
Cela a été prouvé par de nombreuses études et je vous le confirme au travers de ma propre expérience : les gens sont plus productifs à distance qu’au bureau. Le risque n’est pas qu’ils ne travaillent pas mais qu’ils n’arrivent pas à décrocher car la culture de nombreuses entreprises les fait même culpabiliser de ne pas être au bureau donc ils en font trop ! Et si, parce que cela arrive, certains en profitent pour « tricher » un peu ça n’est pas un problème de travail à distance mais de management. La distance ne fait qu’amplifier ce qui peut n’être qu’imperceptible au bureau.
Le management…parlons en. Manager à distance implique un changement de paradigme : on ne gère plus temps de travail mais des résultats. La seule mesure, le seul contrôle du fait que le collaborateur travaille ou non est qu’il produise ce qu’on attend de lui, qu’il ait les résultats attendus. Peu importe qu’il lui ait fallu moins de temps que prévu et qu’il ait mis a profit le temps gagné pour flâner sur Facebook, qu’il l’ait fait dans son salon, sa cuisine ou au bord de sa piscine. Au manager de se rendre disponible pour aider, d’être dans une posture de « servant leadership ».
Là encore ce sont des choses qui doivent se pratiquer avant car lancer un manager dans le bain du télétravail avec ses équipes sans travail préalable peut mener à une vraie catastrophe.Là encore ce sont des choses qui doivent se pratiquer avant car lancer un manager dans le bain du télétravail avec ses équipes sans travail préalable peut mener à une vraie catastrophe.
9°) Donner de la visibilité sur son agenda
C’est la chose la plus simple car elle relève d’une discipline individuelle et pas collective. Mais elle n’en est pas moins essentielle.
Au bureau on a tendance à négliger l’importance du contact visuel car on l’utilise inconsciemment. Untel est il disponible ou pas…il suffit de regarder autour de soi voire de marcher jusqu’à son bureau. Lorsqu’on est à distance c’est une information essentielle qu’on perd.
Alors on contacte les gens en espérant qu’ils soient disponibles. Un email, un message instantané, un coup de téléphone. On nous répond, ou pas.
De l’autre côté si la personne est disponible elle va a priori répondre. Mais si elle est occupée par une vidéoconférence ou se concentre sur une tâche précise elle ne répondra pas. Pire, elle sera gênée, dérangée par cette intrusion mal à propos, surtout s’il s’agit d’un canal « chaud » comme le tchat ou le téléphone.
C’est pour ça qu’il est essentiel de tenir les agendas à jour (je pars du principe que vous avez des agendas partagés bien sûr sinon…). Ne pas y mettre que les réunions mais y bloquer des plages de travail en fonction de ce que vous projetez de faire dans la journée, même si c’est un travail en solo. Comme cela avant de vous contacter les autres pourront voir que vous n’êtes pas disponibles à ce moment et repousseront leur appel ou utiliseront un canal « froid » comme l’email si le sujet peut attendre. L’utilisation d’un canal « chaud » étant alors réservé à une urgence si on estime que la personne doit interrompre son travail en cours pour répondre.
Bien sur cela nécessite que chacun prenne le temps de regarder l’agenda de l’autre avant de le contacter. C’est un réflexe qui s’acquiert très vite pourvu que la règles soit claire, qu’on ait eu un peu le temps de la pratiquer…et que l’information présentée par les agendas soit fiable (donc qu’ils soient tenus à jour).
10°) Donner de la visibilité sur son travail
Le but est ici et d’éviter le « tu en es où ? « , si facile dans l’open space mais contre-productif à distance car moins on voit la personne plus on va lui demander où elle en est dans son travail, plus on va l’interrompre et l’importuner, moins elle va avancer.
Donc il s’agit de rendre son travail visible partant du principe qu’il vaut mieux prendre un peu de temps pour le faire qu’en perdre beaucoup à répondre.
Quelques règles simples : si vous utilisez des outils de gestion de projet ou gestion de tâches partagées (ce que je conseille), tenez bien à jour votre avancée. En temps normal une mise à jour quotidienne suffit car one est davantage dans le reporting, en télétravail c’est à faire en temps réel car cela devient un outil de coordination collectif.
Si vous avez d’ailleurs des outils de gestion de projets ou taches ils permettent pour la plupart de documenter, commenter son avancée. Servez vous en pour donner du contexte : « j’ai presque fini », « j’ai un problème sur cette partie », « on pourrait améliorer ça de telle manière ».
Et si vous disposez d’un outil comme workplace avec des espaces dédiés à votre équipe et votre projet, donnez régulièrement des nouvelles de votre avancement. C’est la valeur d’une pratique appelée « working out loud » dont je n’étais pas fan par le passé mais qui prouve sa valeur ici pourvu qu’on sache envoyer des signaux en réduisant le bruit.
Avez vous les pratiques et les outils pour faire tout cela à distance ? Ce sont les questions qu’il faut absolument se poser avant de lancer une politique de télétravail à grande échelle. Et celles que beaucoup regretteront de ne pas d’être posées avant le confinement imposé que nous sommes en train de vivre. En espérant que la leçon sera retenue pour la prochaine fois.