On a vu dans un récent baromètre de l’expérience collaborateur que beaucoup des sujets évoqués étaient des sujets « soft », très orientés sur la perception et le qualitatif.
Mais si on se livre à une étude approfondie, qu’on écoute les collaborateurs et qu’on va au fond des choses on finit par déterrer d’autres sujets.
La complication de l’organisation : la mère de toutes les frictions en entreprise
Aller au fond des choses ? Il n’y a rien de plus simple. Ecouter les collaborateurs n’est pas compliqué, ils sont les premiers à savoir ce qu’ils vivent voire les mieux à même de proposer des solutions même si parfois il leur manque la « big picture », car ils ne voient que la surface. Traiter les conséquences est mieux que rien mais traiter les causes premières c’est mieux.
Pas besoin de dépenser du temps une énergie folle ou des sommes astronomiques en consulting pour les découvrir. Il suffit de partir de ce qu’on voit à la surface et se demander « pourquoi ? ». Ensuite on repart du pourquoi et on se redemande « pourquoi ? » jusqu’à 5 fois de suite maximum.
Peu importe d’où on part on finit souvent par en arriver au même endroit : la lourdeur de la structure, de l’organisation et des process. Quoique parler de lourdeur est inexact. Lutter contre la lourdeur n’est pas compliqué : il « suffit » d’alléger. Le vrai mot n’est pas lourdeur mais complication et là le remède est souvent plus douloureux : il faut transformer, voire casser pour reconstruire.
Comment adapter l’entreprise à un monde complexe ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et ça nous ne pourrons pas le changer, on ne peut que s’adapter. Pour s’adapter nos organisations ont répondu par de la complication. Pourquoi ? Parce que la complication donne l’illusion que l’on a un contrôle sur les choses.
Et avant d’aller plus loin, puisqu’on confond souvent complexité et complication, je vais essayer d’expliquer la différence.
Quelque chose de complexe se compose d’éléments différents, combinés d’une façon qui n’est pas immédiatement. compréhensible. Dans un monde complexe il n’y a pas de schéma, de modèle qui permette de prédire le futur en analysant le passé. Il n’y est pas possible d’arriver toujours au même résultat en faisant toujours la même chose, ça n’est pas un monde où les choses sont réplicables. Ce qui tord d’ailleurs le coup au proverbe selon lequel les mêmes causes produisent les mêmes effets. Un environnement complexe est complexe par nature. Il est complexe car il est né ainsi, pas parce qu’on l’a construit ainsi. D’une certaine manière la complexité est un phénomène naturel, l’homme n’y est pour rien.
Une chose compliquée est composés d’un grand nombre d’éléments et est difficile à comprendre, à exécuter. Dans un monde compliqué il y a une vérité même si difficile à comprendre ou à exécuter. Avec beaucoup d’efforts on peut arriver à une compréhension qui est bonne ou mauvaise, à une exécution réussie ou ratée mais pour dire les choses simplement on fait bien ou mal, on sait ou on ne sait pas. Mais à partir du moment où on comprend il est possible de toujours de prédire les choses ou de les reproduire à l’identique. Un environnement n’est pas compliqué par nature mais par construction. Il est compliqué car on l’a construit compliqué. La complication est le résultat de l’œuvre de l’homme, et n’a rien de naturel.
Il est difficile pour une entreprise de totalement s’adapter à la complexité car elle est naturelle, pas organisée, et imprévisible. Ajoutons à cela l’illusion que veulent se donner nos organisations d’avoir le contrôle complet sur leur fonctionnement. Rappelons nous que le fondement de l’ère industrielle, du taylorisme, était de « répliquer la perfection à l’infini« . Cela a produit des modes de management et d’organisation qui ont très bien fonctionné pendant un temps mais ne fonctionnent plus dans le monde d’aujourd’hui, dans une économie de la connaissance et un monde complexe.
Le problème est dans la tête, comme souvent. Accepter que le contrôle absolu et la réplicabilité ne sont plus possible aujourd’hui. On peut bien sur construire des systèmes qui peuvent viser ce but mais ils ne fonctionnent pas. Mais comme on ne sait pas abdiquer l’envie de contrôle on tourne en rond.
Désolé pour cet aparté un peu long mais je le trouve indispensable pour comprendre le vrai mal dont souffrent nos organisations.
La complication à l’épreuve des faits
Donc qu’on parle de manque de productivité ou d’efficacité, de process de recrutement peu efficaces ou que les candidats abandonnent en cours de route, de satisfaction ou de bien être insuffisants, de dispositifs de formation peu adaptés, de manque de réactivité voire de proactivité, de désengagement, de lenteur dans les décisions voire d’incapacité à décider, de perte de sens, d’inefficacité des managers qui ne font pas leur travail, du temps perdu en réunions inutiles…tous ces phénomènes ont au fond la même cause première.
Pour rappeler quelques chiffres déjà partagés par le passé :
- En 1955 les entreprises avaient entre 4 et 7 impératifs de performance contre entre 25 et 50 aujourd’hui.15 à 50% de ces indicateurs sont contradictoires, ce qui n’était pas le cas en 1955.
- Les managers du quintile supérieur des organisations les plus compliquées passent plus de 40% de leur temps à rédiger des rapports et de 30 à 60% en réunions de coordination.
- Dans les organisations les plus compliquées, les équipes passent entre 40% et 80% de leur temps à le perdre, non qu’elles ne fassent rien mais parce qu’elles font des choses improductives.
- Au cours des 15 dernières années le nombre de structures d’interface, de coordination, de process de contrôle a augmenté entre 50 et 350%.
- Il n’y a aucun lien entre la taille d’une entreprise et sa complication. On peut être gros et simple, petit et compliqué.
Je citerai également cette récente interview d’Yves Morieux :
« La matrice favorise la coopération au sein de l’entreprise et c’est indispensable dans une économie de plus en plus complexe. Mais la plupart des entreprises ne savent pas faire fonctionner ce type d’organisation. Trop souvent, la matrice vient s’ajouter à une structure hiérarchique. On ajoute de la complication à la complexité. Le meilleur indicateur de cette tendance est la floraison des comités en tout genre pour que la hiérarchie puisse répondre aux nouveaux problèmes qui se posent.«
« Mais cette prétendue « agilité » est contre-productive quand elle est mal comprise et mal mise en place. Le « mode projet » qui permet à une équipe limitée de mener à bien une initiative dans des délais raccourcis vient souvent s’ajouter à l’organisation existante et donc à la hiérarchie. Au-delà, l’émergence des nouvelles technologies qui devait accroître la productivité provoque, au contraire, des embolies en automatisant la complexité. «
« L’entreprise doit donner plus d’autonomie à ses managers et donc laisser plus de place au qualitatif, à la subjectivité, au jugement, au bon sens. Il faut accepter le flou, voire en faire l’apologie – même dans les maths, la logique floue a permis des avancées ! «
Pas la peine d’en rajouter, vous avez tous des exemples de votre vie quotidienne qui vient corroborer tout cela.
Une réponse à la Complexité ? La simplification !
Donc si la complexité est naturelle et la complication l’expression de la nature humaine doit on en conclure que la bataille est perdue d’avance ? Pas le moins du monde !
L’humain peut répondre à la complexité de manière efficace sans compliquer les choses. C’est juste une question de changement de vision, de changement de paradigme.
Il est impossible de construire une organisation qui réponde à 100% à un monde complexe. Cela signifierait par définition qu’elle serait totalement hors contrôle ce qui n’est pas possible. Si l’abus de contrôle est le cancer de nos organisations, l’absence de contrôle est tout aussi dangereux. Ce qu’il faut c’est trouver le bon équilibre.
Quelques pistes :
- Repenser l’organisation et les process non en raison des enjeux de pouvoir mais en fonction de leur objectif, des besoins des clients et des collaborateurs qui les servent.
- Ne rien ajouter si on n’enlève pas quelque chose en contrepartie.
- Miser sur la subsidiarité : résoudre chaque problème au niveau hierarchique le plus proche sans escalade inutile
- Collaborer, surtout à travers les silos, justement pour éviter d’escalader les problèmes et pour résoudre plus facilement des problèmes par essence complexes.
- Se demander vraiment quel doit être le rôle des managers (à tous les niveaux de management) et redéfinir leur mission en conséquence (sans oublier de la formaliser).
- Ne plus superposer les modèles (matrice/hiérarchie/projets).
- Faire avancer le management et la direction à la même vitesse que le terrain.
- Simplifier et intégrer les outils et le système d’information qui ne sont en général que le reflet d’une organisation compliquée.
- Cultiver le lacher prise.
La simplification : le premier chantier de l’expérience employé
Bien sur si vous avez décidé de vous lancer dans une démarche d’expérience employé avec une vision « soft » du sujet en vous disant que l’enjeu était de « pendre soin » du collaborateur au sens strict du terme vous venez peut être de tomber de l’armoire et envisagez de changer de travail au plus vite.
Pour autant ici nous voyons l’impact sur l’expérience employé, mais cette mauvaise expérience employé a un coût pour l’organisation : efficacité, productivité, engagement, réactivité, expérience client… Toutes les frictions que vivent les collaborateurs ont un prix pour l’entreprise, un prix qui se chiffre aisément en espèces sonnantes et trébuchantes. Ici l’expérience employé n’est que le thermomètre qui vous permet de savoir que vous êtes fonctionnellement malades. Logique puisque ce sont les collaborateurs qui font fonctionner l’entreprise.
Deuxième point, vous pouvez refuser de vous attaquer à la cause première et vous concentrer sur ses manifestations, les effets de surface. C’est faisable, c’est ainsi qu’on procède depuis 50 ans. Et il va se passer ce qu’il se passe toujours (l’avantage des organisations compliquées, on l’a vu, c’est que les mêmes causes y produisent les mêmes effets donc il est facile de prédire ce qui s’y passe). Vos initiatives vont échouer ou ne seront que partiellement mises en œuvre voire ne dureront qu’un temps : celui où vous serez là pour les porter à bout de bras. Et quelle en sera la cause ? Comme on l’a vu dans le baromètre dont on parlait plus haut et dans toute étude qui concerne le changement : vous blâmerez le manque d’implication de la direction, du management, et la lourdeur de l’organisation. CQFD
En commençant par simplifier l’organisation vous :
- Créez les conditions de réussite de vos autres initiatives.
- Rendez vos autres initiatives pérennes en évitant que l’organisation les rejette dans la durée.
- Et même si vous ne faites rien d’autre vous créez un gain d’expérience (individuel) et de performance (individuel et collectif) immédiat.
- La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé
- Des process conçus pour les mauvaises personnes: l’irritant #2 de l’expérience employé
- Une expérience de masse. L’irritant #3 de l’expérience employé
- L’entreprise cloisonnée. Irritant #4 de l’expérience employé
- Rétention et difficulté d’accès et d’utilisation de l’information. Irritant #5 de l’expérience employé.
- Une organisation incohérente avec la manière dont on travaille. Irritant #6 de l’expérience employé
- Une expérience IT compliquée. Irritant #7 de l’expérience employé
- Salariés perdus dans les parcours RH. Irritant #8 de l’expérience employé
- Le management. Irritant #9 de l’expérience employé.
- Une entreprise pas omnicanale du tout ! Irritant #10 de l’expérience employé.
- Le lieu de travail, irritant #11 de l’expérience employé.
- Clients et projets : irritant #12 de l’expérience employé
- Une organization désynchronisée, irritant #13 de l’expérience employé
- Une organisation trop informelle, irritant #14 de l’expérience employé
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