Nous avons vu que la complication organisationnelle était l’irritant principal de l’expérience employé. Dans le même ordre d’idée nous allons explorer une des formes que cela peut prendre au travers des process de l’entreprise et notamment de ceux qui touchent à l’administration.
On a trop tendance à se dire que l’administratif ne concerne que l’administration, les fonctions support, que c’est une espèce de boite noire et qu’au final c’est leur métier et leur problème. C’est une erreur à double titre.
Les tâches administratives ne concernent pas que les administratifs
Tout le monde est concerné par les tâches administratives. Par exemple lorsqu’on a affaire aux RH, à la finance, aux achats, que ce soit à notre initiative où à la leur, on n’échappe pas à notre lot de tâches administratives et formulaires en ligne ou papier à remplir pour qu’ensuite ils fassent leur travail.
Il y a aussi les tâches administratives liées aux fonctions « business ». Pour un commercial vendre signifie documenter l’avancée de son activité. Selon ce qu’il vend, la fonction d’administration des ventes peut être plus ou moins lourde et, une fois la vente effectuée, une foule d’activités suivent pour déclarer la vente dans les systèmes financiers, donner au juridique les dernières informations pour contractualiser, renseigner d’autres systèmes qui vont permettre à d’autres de prendre la suite pour l’exécution de la prestation. Et je ne parle que de l’administratif pur, je ne parle même pas de la passation de dossier plus opérationnelle à ceux qui vont éventuellement prendre la suite qui, elle, relève de l’opérationnel justement et pas de l’administratif, autant passer plus d’une demi journée à faire de la paperasse à transmettre à d’autres services une fois la vente conclue.
Je me souviens avoir parlé avec un éditeur de logiciels il y a plus de 10 ans de cela. Ses commerciaux faisaient des deals de plusieurs centaine de milliers d’euros sur des sujets hyper techniques. Superbe entreprise, super produit, salariés ultra compétents et motivés. Passer du temps sur leurs dossiers ne leur faisait pas peur, au contraire ils adoraient le challenge, la complexité des dossiers etc. Mais une fois la vente faite qu’entendait le directeur des ventes ? « M….on a gagné l’affaire ». Car à ce moment commençait pour le commercial une longue liste de tâches administratives, de déclarations, de saisies etc qui lui prenaient quasiment une journée. Après l’excitation, la déprime et le sentiment d’être mal utilisé…d’autant plus que les informations existaient dans différents systèmes pour la plupart, on lui demandait juste de faire du copier coller et de transmettre à d’autres. Qu’on s’entende bien : le côté administratif de la vente (CRM, reporting etc) était très bien vécu car c’était un outil de performance. Mais le travail administratif de déclaration de la vente était un calvaire.
Idem plus récemment dans une entreprise de services. La principale complainte des commerciaux était là aussi, une fois une mission vendue, de devoir remplir une tonne de documents à transmettre, une fois encore, à la finance, au juridique et à d’autres, avec des informations qui pour la plupart étaient déjà disponibles dans différents systèmes. Mais c’était à eux de les rassembler, de faire de la double saisie, et de reporter la même chose dans 2 ou 3 systèmes différents.
On peut également mentionner selon les cas les demandes de formation, les notes de frais, les voyages professionnels lorsque l’entreprise n’est pas équipée d’un traveldesk et qu’il faut passer par une assistante…
Et même lorsqu’on n’est pas directement acteur, une grande partie de la vie de l’entreprise dépend de ce qui se passe dans la « boite noire » administrative. De la vitesse à laquelle à l’avance dépendra la vitesse auquel le business avance. Qu’on se le dise, le business n’ira jamais plus vite que vos process administratifs. Il peut prendre de l’avance à un moment mais finira par devoir s’arrêter le temps que l’administratif le rattrape.
Les reproches faits aux process administratifs
Quels sont les principaux griefs des collaborateurs ?
• Faire de la double saisie dans différents systèmes.
• Devoir fournir des informations qui sont déjà connues et disponibles « ailleurs », dans un autre outil, dans un autre système.
• Y passer beaucoup de temps au détriment de leur « vrai travail », celui pour lequel ils sont payés et pour lequel on attend des résultats.
Mais le reproche inverse peut également exister : devoir passer par des intermédiaires pour des choses qu’ils feraient plus efficacement eux-mêmes, en direct. Ca c’est un autre sujet, celui du self-service dont nous parlerons dans un autre billet et qui s’il a ses avantages a également ses limites.
Tout le monde doit être efficace…
On ne va pas reprocher aux entreprises de demander à leurs collaborateurs d’être productifs, efficaces (je préfère de loin ce second terme), c’est la moindre des choses quand vous payez des gens pour travailler.
Efficacité des fonctions business d’abord bien sur. C’est là que se joue la marge, la rentabilité de l’entreprise.
Efficacité des fonctions support et administratives aussi car elles ne rapportent pas d’argent directement et sont généralement vues comme des coûts non productifs à l’inverse des fonctions business. Une erreur ceci-dit si on ouvre les yeux et qu’on se rend à l’évidence comme je le disais plus haut : si le business, à moyen terme, ne peut pas aller plus vite que l’administratif alors l’administratif contribue à la performance du business. Mettez votre juridique, votre finance et vos RH en sommeil 15 jours vous allez voir qu’après un certain temps le business va finir par ralentir puis s’arrêter. Raison pour laquelle s’il est facile de taper, par exemple, sur la fonction RH il faut aussi reconnaitre qu’elle est souvent sous-staffée pour les raisons expliquées plus haut et qu’en conséquence lui demander d’en faire plus, d’élargir son impact, de pratiquer le dépassement de fonction et se réinventer relève souvent de la plus grande hypocrisie vue les moyens mise en face.
Bref.
Un goulot d’étranglement ne disparait pas, il bouge
Donc qu’on soit business ou support il faut sans cesse améliorer son efficacité. Mais à un moment on se heurte à une barrière.
Comme la théorie des contraintes nous l’a bien appris, une fois qu’on a fait la chasse aux causes d’inefficacité chez soi et qu’on a traité ses goulots d’étranglement (car c’est de cela qu’il s’agit), on n’a pas fini le travail. En effet pour continuer à s’améliorer on se rend compte que le problème est passé…chez les autres. Une fois qu’on a atteint son optimum on est tributaire des efforts faits par les autres pour atteindre le leur. A quoi sert d’avoir une administration des ventes efficace si les achats du client ne le sont pas ? A quoi sert d’être capables d’assembler encore plus vite les pièces d’une voiture si certaines de ces pièces n’arrivent pas au bon rythme pour alimenter la chaine ? C’est le maillon le plus faible, le plus lent de la chaine qui dicte le rythme de la production (qu’on parle de biens matériels ou de services), d’où l’importance trop souvent négligée de nos fameux process administratifs.
Mais ça c’est la théorie, ou plutôt quand on veut faire les choses bien. Il y aussi une autre manière de faire les choses qui correspond totalement à l’approche opposée : ne pas traiter ses goulots et les envoyer directement chez les autres. Et ça on le voit à l’œuvre, partout, depuis des lustres.
Quand on devient plus efficace en faisant travailler les autres
Aujourd’hui à moins que vous soyez une très grosse entreprise, vous ne rencontrerez plus ou presque plus de commerciaux chargés de vous vendre des logiciels. Le process se passe en ligne pour tout ou partie et l’air de rien, de la qualification au déploiement en passant par le paramétrage, la formation et le support, vous allez faire le boulot que faisaient autrefois les commerciaux et les professional services. Ensuite, selon votre taille, votre potentiel, le montant du deal, un humain reprendra la main à un moment. Très tôt si vous êtes un grand compte, jamais si vous êtes une PME. Pourquoi ? Le goulot d’étranglement étant le manque de salariés pour adresser rapidement l’ensemble du marché, il vaut mieux faire travailler le client que recruter des milliers de personne. De plus cela permet d’adresser certains cibles (TPE, PME…) avec des coûts des ventes faibles et donc être rentables alors qu’on ne l’aurait pas été avec l’ancien système. Ce serait bête de se priver d’un marché uniquement pour cela.
Mais ce qu’on constate tous dans le relation client existe aussi même si c’est de manière moins visible ou moins avouée en interne dans l’entreprise.
Parfois cela bénéficie à tout le monde : au salarié qui en échange d’un peu plus de son temps voit un process s’exécuter beaucoup plus vite et à l’entreprise car la personne qui passait son temps à effectuer une tache chronophage et sans grande valeur ajoutée voit son temps libéré pour faire des choses à la valeur ajoutée plus importante. C’est par exemple le cas de la mise en place des travel desks en ligne.
On peut tous être efficaces mais pas en même temps.
Parfois c’est plus insidieux. Souvenez vous de l’exemple que je donnais avec les commerciaux qui passaient un temps fou à remplir de multiples formulaires avec de l’information déjà disponible ailleurs, faire de la double saisie…
Le constat de l’entreprise a été rapide
- 2 à 3h de perdues à chaque vente.
- Autant de temps perdu à ne pas s’occuper de ventes.
- Des lenteurs qui retardent le lancement opérationnel des projets.
- Des frictions inutiles qui génèrent de la frustration et sont parfois la cause de démissions car elles empêchent de pleinement s’épanouir au travail
Les choses, même les plus stupides, existant pour des raisons parfois bonnes, parfois mauvaises ou parfois étaient justifiées par des circonstances passées qui ne sont plus à l’ordre du jour, il a d’abord été question de se demander pourquoi ils procédaient ainsi.
La première réponse a été logiquement « on a toujours fait comme ça ». Et c’était vrai, depuis plus de 15 ans. On peut questionner le fait que l’entreprise grandissant, se professionnalisant, la technologie s’améliorant, les personnes changeant on ait jamais réévalué le process mais soit.
A force de creuser ils ont fini par trouver. Pour s’éviter un long et fastidieux travail de saisie dans les outils de reporting financier, de facturation et de gestion de projet, le département finance a fait exactement ce qu’on attendait de lui. Il a augmenté son efficacité (plus de volume traité, plus vite et sans recruter) en faisant travailler les autres à sa place. Le process d’administration des ventes avait été conçu sous les contraintes de la finance et au détriment de l’efficacité commerciale et sans que personne n’y trouve à redire, à part les commerciaux ,mais quand la culture financière prédomine dans une entreprise ces derniers n’avaient pas leur mot à dire.
Sans multiplier les exemples, à chaque fois qu’on vous demande de remplir une foule de documents avec des informations qui sont déjà disponibles quelque part afin d’obtenir un service de la part de votre entreprise ou déclencher quoi que ce soit, dites vous qu’on vous fait faire le boulot des autres et qu’ils ont construit leur efficacité sur votre dos.
Moralité : oui tout le monde dans l’entreprise doit et peut être efficace mais à un instant t l’efficacité des uns se construit au détriment de celle des autres.
Autre exemple. Si avant vous appeliez une personne pour lui demander de payer tel fournisseur et que maintenant vous devais aller dans un système de procurement, remplir un formulaire (et parfois en allant rechercher ailleurs des données qui devraient déjà être partagées) pour valider le service fait, le travail de la comptable a été déporté sur celui de l’opérationnel. Donc la comptabilité n’est pas efficace, elle est juste distribuée et potentiellement moins efficace car ceux qui y contribuent malgré eux y travaillent moins souvent.
On a construit l’efficacité des fonctions internes, administratives et support au détriment du business
Un constat s’impose donc : à chaque fois qu’on a demandé à un centre de coût de devenir plus efficace il l’a fait au détriment des centres de profit. Inutile de les blâmer, ils ne font que faire ce qu’on leur dit de faire. Mais à force de multiplier les indicateurs de performance contradictoires entre les entités et ne regarder l’efficacité d’une mesure qu’au regard de son impact sur une seule entité et département on ne peut s’attendre à autre chose. Donnez des objectifs aux gens, cela dictera leur comportement.
Attention : je parle bien d’efficacité, je ne questionne pas la qualité du service rendu ni du résultat final, ça n’a rien à voir. C’est du coût caché de l’efficacité voire de la qualité dont il est question ainsi que de ses impacts humains à long terme (frustration, démotivation, démission etc).
A tel point que j’ai déjà entendu des dirigeants se poser la question suivante : vu le coût et l’importance en termes de ventes et de production des personnes à qui on ‘vole’ du temps comparé à celui de ‘petites mains’ à recruter pour faire le boulot on peut se poser la question de savoir si on ne serait pas gagnants en recrutant des petites mains…mais c’est une idée tellement iconoclaste et inaudible qu’il ne sert à rien d’en parler pour au moins l’évaluer ». Mais à défaut de recruter certains externalisent (qui a parlé d’ubérisation….) en attendant peut être qu’un jour les robots fassent le boulot.
Un vrai sujet de fond qui est tout sauf facile à traiter. Mais il correspond à un vrai problème, il a de nombreux coûts visibles ou cachés mais tout le monde semble s’en contenter sauf ceux qui le vivent au quotidien.
On en reparlera dans un autre billet mais un process doit avoir in fine pour but de servir le business d’une manière ou d’une autre et donc le collaborateur en train de vendre, produire, etc. C’est pour eux que ces process doivent donc être conçus, pour leur efficacité, et pas pour servir les fonction support qui en oublient d’ailleurs la signification de leur nom.
- La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé
- Des process conçus pour les mauvaises personnes: l’irritant #2 de l’expérience employé
- Une expérience de masse. L’irritant #3 de l’expérience employé
- L’entreprise cloisonnée. Irritant #4 de l’expérience employé
- Rétention et difficulté d’accès et d’utilisation de l’information. Irritant #5 de l’expérience employé.
- Une organisation incohérente avec la manière dont on travaille. Irritant #6 de l’expérience employé
- Une expérience IT compliquée. Irritant #7 de l’expérience employé
- Salariés perdus dans les parcours RH. Irritant #8 de l’expérience employé
- Le management. Irritant #9 de l’expérience employé.
- Une entreprise pas omnicanale du tout ! Irritant #10 de l’expérience employé.
- Le lieu de travail, irritant #11 de l’expérience employé.
- Clients et projets : irritant #12 de l’expérience employé
- Une organization désynchronisée, irritant #13 de l’expérience employé
- Une organisation trop informelle, irritant #14 de l’expérience employé
Photo : design de process de Dmitriy Domino via Shutterstock