Quand on veut savoir qui fait quoi dans une entreprise il y a une manière très simple : regarder son organigramme. Il expliquer de manière précise quelle est la fonction de chacun, qui fait quoi, qui travaille avec qui. Impossible d’être plus clair, limpide, donc efficace.
Comme nous l’avons vu, dans nos vie de tous les jours c’est totalement l’inverse : il y a des gens qui ont des demandes, des besoins, des questions, qui gens qui font et agissent seuls ou en se coordonnant ou encore mettent en contact des personnes qui ne se connaissaient pas auparavant.
L’organigramme est une illusion
Après tout ça n’est que logique : l’entreprise doit avoir une structure formelle et organisée sinon elle le fonctionnera pas. Ce qui compte n’est pas le besoin ou l’objectif de chacun mais celui du groupe (enfin de l’entreprise…). A l’extérieur on est dans le adhoc et l’affinitaire car il n’y a aucune obligation de résultat donc on peut faire du bricolage.
Sauf que la réalité est plus complexe.
Il n’est pas besoin d’avoir une grande connaissance de l’entreprise pour le constater : se servir de l’organigramme pour savoir à qui s’adresser n’aide pas beaucoup et le respecter amène souvent à ralentir voire mettre en péril les opérations de l’entreprise. Pourquoi ? Parce que l’entreprise ne travaille pas de la manière que laisse supposer son organigramme.
L’organisation du travail ne suit pas la hiérarchie
Aujourd’hui, peu importe ce qu’elle produit, tout ou partie de la production d’une entreprise nécessite non plus une hyperspécialisation mais au contraire la collaboration entre des expertises variée. Et par définition pour trouver des expertises variées il faut aller les chercher en différents points de l’organigramme qui ne sont pas supposés se parler « officiellement ».
C’est un non sujet et même (et surtout) pour les entreprises qui ont multiplié les structures formelles ou informelles pour s’adapter à leurs vrais besoins opérationnels.
C’est une des raisons d’être des fameuses organisations matricielles qui tentent de répondre au double enjeu d’un rattachement hiérarchique et opérationnel. Mais le plus souvent elles fonctionnent mal et sont très mal vécues en termes d’expérience employé en raison d’un déséquilibre des forces entre hiérarchie et opérations (au profit du premier) qui crée des injonctions paradoxales souvent impossibles à gérer pour le collaborateur. Et parfois ils n’ont pas 2 mais 3, 4 voire davantage de rattachements.
Sans aller jusqu’à la matrice il est fréquent qu’on mette en place des groupes projet transverses qui sont des structures plus provisoires. Mais là encore leur efficacité est liée au fait que la hiérarchie oublie parfois de se faire légère et que son poids annihile toute velléité de transversalité.
L’entreprise essaie donc d’organiser une collaboration formelle, transverse, mais la réalité du terrain est que sa mise en œuvre est souvent un poids en raison des complications qu’elle entraine.
La difficulté de la collaboration informelle
Mais tout ne peut s’anticiper. Tout n’est pas un beau projet anticipé, planifié, avec un début, une fin et des ressources totalement ou partiellement alloués.
Parfois il faut s’organiser de manière adhoc, provisoire, pour une durée très courte. L’initiative provient du collaborateur voire de son manager mais aucunement de l’entreprise. S’en suivent deux points de friction majeurs.
Le premier est que l’entreprise n’est pas faite pour fonctionner ainsi et le tolère mal. Enfin pour être précis elle en comprend l’utilité mais ses systèmes le refusent. Hiérarchie (encore !), allocation des ressources (tu es payé pour ça, pas pour aider untel sur un projet dont je n’ai rien à faire vu de mon silo), on a du mal de sortir de ce bon vieux système hérité de l’ère industrielle et qui consiste à répliquer la perfection à l’infini et supprimer tous les écarts…dans un monde qui n’est fait que d’écarts et demande des micro ajustements en temps réel.
Le second est même le premier dans l’ordre des choses : identifier la ou les personnes à mobiliser. Il n’y a rien de plus difficile d’identifier une personne en fonction de ses compétences, de ses expériences actuelle et a fortiori passé. Pour y arriver l’intitulé de poste ne vous aidera en rien : à peine vous donnera-t-il quelques présomptions mais un intitulé en général générique ne donne pas d’information sur des connaissances pointues et exclut toutes les personnes qui ont la connaissance mais n’occupent pas un poste où elle est valorisée.
C’est cette collaboration informelle, ou collaboration émergente, qu’on a essayé de favoriser depuis longtemps, une des dernières formes d’initiatives en la matière étant le réseau social d’entreprise avec le succès relatif qu’on sait. Mais tout cela était prévisible : croire qu’on peut résoudre des problèmes organisationnels voire humain avec de la technologie est voué à l’échec. Ou dit autrement : le système l’emporte toujours sur l’individu.
Bref on en arrive à la situation suivante quoi que je ne suis pas d’accord avec la différence entre « how things were » et « how things are » : aujourd’hui les choses se juxtaposent et peinent à fonctionner ensemble. Par contre on sait très bien que ce qui fonctionne n’est pas mis en œuvre.
L’organisation à l’épreuve de la vie réelle
Au début du confinement nous avons créé un groupe whatsapp avec les habitants de mon immeuble. On s’en sert pour transmettre de l’information (quelle boulangerie ouverte dans le quartier aujourd’hui, qui contacter pour soigner un enfant qui a un abcès dentaire),se rendre des services (je vais faire des courses je peux en faire pour les autres, qui peut m’aider à déboucher ma douche ou réparer mon frigo qui est tombé en panne), voire s’assurer que tout va bien (on n’a plus de nouvelles de untel, quelqu’un sait-il comment il va ?).
On comprend bien qu’un jour une personne est donneuse d’ordre (qui peut aller faire mes courses ?) et le lendemain exécutante (je viens t’aider à déboucher ta douche) puis connecteur (pour ce problème demande à untel que tu ne connais pas mais que je te présente).
En appliquant le modèle de l’entreprise on irait tous faire les courses pour le 6e étage, la gamine du 4e n’aurait jamais été soignée et la douche du 1er jamais débouchée.
Les règles et leur bonne application sont du ressort du conseil syndical et le restent dans les deux modèles…mais au quotidien ça n’est pas ce qui fait fonctionner le collectif et les deux cohabitent parfaitement.
La hiérarchie est une affaire de responsabilité et pas d’exécution
Il est donc facile de condamner le poids excessif de la hiérarchie qui ne sert à rien et empêche chacun d’être efficace. C’est aller un peu vite en besogne car en fait on a deux systèmes qui coexistent et ont chacun leur utilité.
La hiérarchie et l’organigramme qui la matérialise c’est comment on décide et surtout comment on assume les responsabilités. Pour une entreprise c’est vital, dans nos vies personnelles peut s’en passer. J’irai même jusqu’à dire que parfois cela amène à assumer des choses qu’on a pas décidées, justement à cause de l’intrication des modèles. Mais une entreprise doit avoir des responsables et des gens qui assument, le mythe de la décision collective n’étant qu’une fausse bonne idée car quand tout le monde est responsable plus personne ne l’est. C’est aussi comment on silote les budgets et donc l’allocation des ressources.
Le reste, les structures transverses et réseaux formels et informels c’est la manière dont on travaille vraiment.
Le vrai problème est celui de l’articulation entre les deux et surtout de la prévalence de l’un sur l’autre qui empêchent les choses de se faire convenablement. On est encore loin de la « Wirearchie« .
Il y a également une dimension culturelle qui fait que certains ne veulent voir que le modèle hiérarchique, qu’ils contrôlent et leur confère du pouvoir et non ce qui est mouvant et n’est pas sous leur contrôle. On en voit l’impact sur le cloisonnement de l’information et de l’organisation.
Une expérience employé qui vire à la schyzophrénie
Il n’en reste pas moins que pour le collaborateur la structure officielle de l’entreprise ne correspond pas à celle dans laquelle il travaille et encore à celle qui lui serait utile. Pire il doit jouer souvent plusieurs rôles à la fois
Avec comme résultantes :
- Une communication ralentie voire rendue impossible.
- L’impossibilité d’identifier et mobiliser les personnes dont on a besoin.
- Des opérations ralenties.
- Des injonctions paradoxales et indicateurs contradictoires.
- Des missions peu claires.
- Le manque de reconnaissance pour la partie « invisible » du travail, parfois la plus utile ou indispensable.
Là encore on parle de frictions qui se ressentent au niveau du collaborateur mais ne sont que les indicateurs d’organisation dysfonctionnelles et donc qu’il serait contreproductif de ne voir que sous l’angle du confort ou de la plainte devant la difficulté.
Preuve s’il en est, une fois de plus, que l’expérience collaborateur porte sur le contexte de travail avant de relever du bien être ou du bonheur au travail et que contrairement à ce qu’on entend encore il ne s’agit pas de supprimer ces frictions pour que le collaborateur puisse se comporter au travail comme en dehors mais de faire en sorte que l’entreprise adopte ce qui a prouvé son efficacité en dehors mais n’a jamais réussi à faire car elle prenait la questions dans le mauvais sens.
Quand des collaborateurs quittent le monde de la grande entreprise pour rejoindre des entreprises de taille moyenne ou des startups ils évoquent souvent comme raison « la possibilité d’avoir un impact ». Par cela il ne faut pas seulement comprendre « des structures plus légères » mais simplement la possibilité de faire son travail sans se battre contre sa propre organisation.
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Photo : organigramme de lucadp via Shutterstock