Pour beaucoup d’entreprises le principal challenge du télétravail consiste à mettre en place les bonnes méthodes de travail et usages collaboratifs à distance. Pour les collaborateurs c’est de trouver les routines appropriées au télétravail à mettre en place chez soi. Mais pour que l’ensemble fonctionne il manque encore quelque chose, une sorte de vision partagée du travail afin que tout le monde joue la même partition.
Le télétravail fait voler les repères en éclat
La meilleure manière de s’assurer qu’une chose sera faite, bien faite et dans les délais est de superviser la manière dont elle est faite et son avancement. C’est en quelque sorte le métier historique du contremaitre qui a été transposé quasi à l’identique dans la fonction de manager quand l’économie s’est tertiarisée.
Elle ne suppose une et une seule chose : un contrôle visuel de la personne et, occasionnellement, la possibilité de lui parler. Ce qui pouvait au départ être un dispositif d’accompagnement sain et efficace pour faire progresser le collaborateur est devenu un simple dispositif de contrôle dont on a oublié oublié la finalité première.
Au fil du temps de plus en plus de manager ont cessé de vraiment s’occuper du « comment » qui ne redevient une préoccupation que trop tard, c’est à dire lorsque les choses vont mal. Ils se sont contentés de vérifier le « quoi » qui revêt deux aspects :
1°) La personne travaille
2°) Le travail est fini
Ensuite seulement on se préoccupe de ce qui a vraiment été produit (qualité, conformité avec les attentes, résultats obtenus) et le cas échéant le « comment » si le résultat ne satisfait pas (et encore que certains n’aident même pas leurs collaborateurs à corriger leurs erreurs.)
Pour dire les choses autrement on contrôle les moyens. Même pas les moyens du collaborateur mais ceux du manager : on s’assure qu’une personne qui doit travailler travaille. Sur quoi ? Comment ? Cela passe après.
Alors bien sûr cela a entrainé certaines déviances donc une culturellement ancrée en France est celle du présentéisme. L’important c’est d’être là et surtout qu’on voit qu’on est en train de faire quelque chose. Peu importe ce qu’on fait. Si on a fini une tâche importante à 17h45 et qu’on a pas le temps d’en recommencer une autre avant 18h et bien on va rester jusqu’à 18h quand même. Et on demande à celui qui part à l’heure, ironiquement, s’il a posé sa journée. Bref tout ce qui ressemble à une preuve d’inefficacité et de mauvaise organisation dans d’autres cultures est valorisé. En attendant cela a généré, selon les époques, d’excellents joueurs de Démineur ou de Candy Crush.
Mais à distance cela ne fonctionne plus.
Le management visuel ne fonctionne plus à distance
Mais une fois qu’on ne voit plus ses collaborateurs ce beau système s’effondre. Sans visuel on ne peut plus voir si à l’expression de son visage une personne a besoin d’aide (et c’est dommage) et on ne peut plus contrôler en permanence ce qu’elle fait.
De là deux possibilités :
1°) Augmenter le contrôle et la pression
Harceler le collaborateur pour lui demander sans cesse, à distance, ce qu’il fait, où elle en est. Cela pose trois problèmes :
- Le collaborateur est sans cesse interrompu dans son travail et perd en concentration et en productivité.
- Le collaborateur perçoit un manque ou une absence de confiance et se démotive, se désengage.
- Le collaborateur se sent harcelé, le stress augmente.
- Le manager gaspille une énergie incroyable quitte à se mettre en stress ou en situation d’épuisement tout seul.
Et tout cela pour un résultat proche du néant.
On a aussi, avec l’épisode COVID-19, vu exploser la vente de mouchards permettant de contrôler si le collaborateur est devant son écran, quelles fenêtres sont ouvertes, voire ce qu’il tape et où il clique. Certains managers ont même imposé de laisser toujours la caméra allumée et d’être connecté en permanence à une salle de réunion virtuelle.
Utilité ? Zéro là aussi.
Mais ne nous méprenons pas : avant même de s’occuper du résultat la préoccupation première est de savoir si la personne travaille ou en tout cas fait acte de présence devant son ordinateur !
Et d’ailleurs pourquoi le travail à distance, distribué entre plusieurs sites d’une même entreprise est il accepté de longue date et pas le télétravail ? Parce que dans le premier cas si le manager ne surveille pas directement il sait que quelqu’un d’autre le fait.
2°) Changer son approche du management
Une seconde approche part d’un tout simple constat : on ne peut contrôler que ce qui est contrôlable. Donc fini le contrôle des moyens et intéressons nous au résultat. Ou dit autrement, utilisons l’énergie et le temps des managers pour faire des choses qui ont un impact. Après tout klaxonner n’a jamais aidé à résorber un embouteillage.
Cela n’a rien de neuf, les entreprises qui ont depuis longtemps adopté le télétravail ou qui sont efficaces avec des équipes réparties sur plusieurs site ont compris que le travail n’était ni un lieu ni même un moment mais une attitude, un état d’esprit et à la fin un résultat. Et ce depuis plus de 20 ans pour certaines.
Alors bien sûr le manager ne se transforme pas en inspecteur des travaux finis mais la méthode change.
- Des attentes fixées clairement, explicitement
- Pas une surveillance de tout instant mais des points d’avancement réguliers et prévus d’avance si le collaborateur en a besoin.
- Etre disponible immédiatement si le collaborateur demande de l’aide ou des explications. Là on renverse totalement la relation.
- N’avoir pour seul juge de paix que le résultat final. Peu importe où et quand il a été produit.
Un vrai changement de paradigme pour le manager qui doit passer d’une posture de « command & control » à quelque chose qui serait plutôt « lead & help », ce qu’on appelle également le « servant leadership« . Traumatisant pour certains managers…mais pas seulement pour eux.
Le collaborateur abuse également du management visuel
En effet, aussi critique qu’il soit à l’égard du management, le collaborateur utilise souvent à son profit les dérives du manager qu’il critique. Inconsciemment le plus souvent car il ne fait que jouer avec les règles d’un jeu qu’on lui a imposé.
Il ne devra apprendre à être jugé en priorité sur ses résultats. « Mais j’y ai passé beaucoup de temps » était un argument qui fonctionnait avant voire qu’il n’avait même pas besoin d’invoquer car son manager le voyait. Et de manière générale on confondait effort et temps passé.
En télétravail cela ne fonctionne plus. La seule chose qui vaille est : as-tu fait ce qu’on te disait de faire dans les délais (ce qui vaut également pour les points d’étape) et « As tu demandé de l’aide quand tu as vu que tu n’y arrivais pas sans attendre la prochaine réunion ? ».
Ce système met en valeur le résultat obtenu et la bonne gestion du temps nécessaire pour y parvenir.
Le télétravail demande donc une culture du résultat mais pas uniquement, comme on l’entend souvent, uniquement du côté du manager. Le collaborateur doit également s’adapter et ça n’est pas plus simple.
Mais ne nous méprenons pas : ça n’est pas le télétravail qui rend ce changement de culture managériale nécessaire. Comme dans de nombreux domaines il ne fait que mettre en évidence des pratiques dysfonctionnelles qui pouvaient encore passer au bureau mais ne survivent pas au crash test de la distance. Cette « orientation » résultat est heureusement la norme dans nombre de cultures et d’entreprises. Le télétravail va simplement obliger ceux qui n’arrivaient pas à se remettre en cause à sauter le pas.
Une seule bonne pratique du management visuel va disparaitre
En fait, et on l’oublie souvent, le « management visuel » a un et un seul bon côté : c’est lorsqu’on pratique le « management baladeur« , terme français pas tellement heureux pour parler du « management by wandering around« . C’est le seul cas où pouvoir regarder les autres travailler apporte une vraie valeur dans le mesure où on s’en sert dans une optique qualité pour améliorer les choses et pas pour sanctionner. Vu le peu de manager qui le pratiquent la perte ne sera pas énorme et là c’est vraiment dommage.
Mais la question de faire du « MBWA » à distance est un vrai sujet pour qui veut vraiment comprendre comment fonctionne vraiment l’entreprise, comment travaillent ses équipes et comment améliorer les choses. Il faudra capter d’autres signaux (à condition qu’on les laisse se manifester), sur d’autres canaux (le réseau social d’entreprise ?). Ca c’est un vrai manque et un vrai problème.
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