Lorsque je reçois des candidats en entretient d’embauche et que je leur demande pourquoi ils ont envie de changer d’air, parmi les réponses les plus fréquentes j’entends : « je n’ai aucune visibilité sur mon futur et ma carrière » voire « j’ai l’impression que mon horizon est bouché ».
A tord ou à raison ils ont l’impression d’aller au travail, de faire leur job et que peut être un jour on leur proposera une évolution de carrière mais sans savoir quand (ni si ça arrivera), ni à quelle type d’évolution ils peuvent prétendre ou s’attendre ni les conditions à remplir (si elles existent de manière objective), pour pouvoir y prétendre.
Dit en d’autres termes ils pensent n’avoir aucune visibilité sur la route, la trajectoire sur laquelle ils sont et n’ont pas non plus l’impression de pouvoir être acteur de cette trajectoire en travaillant à leur éligibilité à une évolution ou en orientant cette évolution dans un sens ou un autre. Et comme on l’a déjà vu cette notion de « trajectoire » est très importante chez les jeunes, ce qui ne peut pas dire qu’elle ne l’est pas pour d’autres.
Le côté ironique de l’histoire c’est que si beaucoup de recruteurs entendent cette histoire, des salariés de leurs propres entreprises les quittent pour les mêmes raisons.
Mais si on part du principe que l’expérience employé est constituée de ce que le collaborateur « vit » au travail, la manière dont il vit sa carrière et la manière dont elle est gérée et dont il peut la gérer est un élément à ne pas négliger.
La perception c’est la réalité
Alors là bien sûr j’entend mes amis des RH s’offusquer ! Mais bien sûr il existe des dispositifs de suivi et de pilotage des carrières avec des critères connus et totalement objectifs et à la limite on se plaint que les salariés ne s’y intéressent pas assez et ne se montrent pas proactifs dans la gestion de leur carrière.
Et c’est vrai. En tout cas dans les grandes entreprises. Dans les entreprises de taille intermédiaire et a fortiori moyennes et petites ça c’est moins, ça peut être moins formalisé et plus artisanal. La raison en est simple : plus on est petit moins il y a de place pour faire bouger les gens. Et quand bouger signifie souvent « vers le haut » (entreprises et collaborateurs ne valorisent souvent que la progression hiérarchique et managériale au détriment de voies reposant sur l’expertise) on arrive vite à un moment où il y a embouteillage.
Mais peu importe que les dispositifs existent s’ils ne sont pas connus et visibles de tous, avec des horizons courts et des règles claires. En effet peu importe que les choses existent et qu’elles fonctionnent bien quand on les utilise, tant que les collaborateurs ont la perception que ça n’existe pas et/ou que les règles ne sont pas claires, cela devient la vérité dans leur esprit.
Mais reprenons ces points un à un.
Des dispositifs connus et visibles de tous. Peu importe que les dispositifs de gestion des carrières, de mobilité interne et les règles de promotion et d’éligibilité existent si à moins de s’y intéresser personne ne le sait. Ca doit être expliqué à chacun lors de son arrivée dans l’entreprise, expliqué et détaillé sous forme d’une documentation accessible à tous voire mise en avant et à chaque point avec son manager le collaborateur doit pouvoir demander quelles sont les prochaines étapes possibles, quand, à quelles conditions et quel est son pourcentage d’accomplissement de ces conditions.
Alors vous allez me dire qu’il y a les entretiens professionnels obligatoires pour cela, qui, en France, doit avoir lieu a minima tous les deux ans. C’est un rythme totalement inadapté au monde dans lequel on vit.
Deux ans voire trois c’est l’horizon auquel un collaborateur veut que les choses se passent, pas celui auquel il veut en parler.
Faites la liste de tous ceux dont la situation n’a évolué en rien (poste, mission, salaire…) depuis 3 ans, vous pouvez parier que l’essentiel d’entre eux sera parti ou aura tenté de partir dans les 12 mois qui viennent même si en apparence ils ne vous disent rien. Si leur entreprise ne montre pas proactivement un dispositif lisible qui montre qu’elle s’occupe d’eux alors ils le feront eux-mêmes et le plus souvent ce sera en regardant à l’extérieur. Vous pouvez également vous dire « tant pis, il n’est pas irremplaçable » voire « tant mieux on ne voulait pas le garder » mais ce défaut d’action ne manquera pas d’être mentionné quand il parlera de son entreprise à l’extérieur et viendra donc alimenter la marque employeur et pas dans le meilleur des sens.
Attendre que le collaborateur demande est également une mauvaise idée. Trop souvent j’ai entendu « il n’a rien demandé, il n’a rien donc rien eu, je ne comprend pas pourquoi il part ». Ca s’appelle se planquer en attendant que le nuage passe, le plus souvent pour faire des économies de bout de chandelle. A l’inverse quand on va proactivement le voir en lui disant « cela fait x années que tu en es là, tu as démontré ça, tu coches toutes les cases en termes de formations/compétences donc on te propose ça » sans attendre que la personne ne demande et parfois en avance sur le plan si la personne a « coché les cases » plus vite qu’attendu, on assiste à un effet inverse en termes de motivation et d’engagement. Etre proactif sur la gestion des carrières cela s’appelle de la reconnaissance.
Un dernier mot sur la visibilité : c’est bien qu’un dispositif existe et qu’on le connaisse mais le voir fonctionner c’est mieux. On peut le voir fonctionner sur soi mais également sur les autres…voir comment sont traités les autres rassure pourvu que tout le monde soit logé à la même enseigne.
Ce qui nous amène au second point.
On change de job tous les trois ans, on en parle tout le temps
Des horizons courts. Un collaborateur qui n’a pas connu une évolution dans sa carrière lors des trois dernières années est un collaborateur sur le départ, que vous en ayez conscience ou non. Et un collaborateur qui se satisfait de la situation peut être quelqu’un qui pense avoir trouvé une bonne place au chaud qu’il ne veut plus quitter et ça n’est peut être pas une meilleure nouvelle.
Mais il n’est peut être pas possible de faire bouger les gens tous les 2 à 3 ans. C’est vrai mais parfois c’est pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Une mauvaise raison peut être « la personne a atteint le maximum de son potentiel ». Mais peut être est-ce dans une logique verticale et qu’une logique horizontale peut lui permettre de se développer encore davantage. Peut être, car un turnover trop faible peut aussi être un problème dans une entreprise qui ne se renouvelle pas assez, qu’une logique de « up or out » très commune dans le milieu du conseil pourrait avoir du sens.
Ne pas bouger ne doit pas vouloir dire stagner
Peut être que la personne ne veut pas changer, il y a des métiers où c’est fréquent, notamment ceux qui demandent une vraie expertise technique. J’ai beaucoup d’amis développeurs qui ne veulent pas devenir managers, ou directeur produit ! Leur truc, leur passion, c’est d’avoir les mains dedans, c’est de coder. Alors peut être que cela changera avec l’âge mais mieux vaut un expert qui reste à sa place qu’un expert promu manager auquel cas c’est souvent la double peine : on perd un vrai expert sur le terrain et on gagne un mauvais manager. Mais là encore il ne faut pas que la personne ait l’impression de stagner et un développement de carrière orienté non pas vers le management mais la reconnaissance de l’expertise est une bonne idée.
Sur ce point il serait temps d’ailleurs de rompre avec un tabou : beaucoup trop de personnes acceptent une progression hiérarchique et suivent la voie managériale non pas parce qu’ils en ont envie mais parce que c’est le seul moyen d’obtenir une revalorisation salariale. Raison de plus pour trouver des voies pour récompenser l’expertise sans passer par la promotion hiérarchique comme certaines entreprises le font très bien même si cela se diffuse peu hors du secteur des technologies.
Une bonne raison, par contre est « on n’a pas la place pour faire bouger les gens ou pas aussi vite« . Ca n’est pas un problème. Les collaborateurs peuvent attendre (un temps raisonnable), à condition de savoir exactement où ils sont et quelle est la prochaine étape. Ce qu’ils ne tolèrent pas c’est le flou. On peut manager des trajectoires de carrières comme Disney manage ses files d’attentes. On peut y rester potentiellement très longtemps mais :
- On ne voit pas la totalité de la file donc on ne désespère pas.
- On voit la prochaine étape, le prochain virage. Souvent on se rend compte qu’ensuite il y a encore une file et un autre virage et ainsi de suite mais peu importe, on va d’un point de passage proche à un autre point de passage proche au lieu de se projeter tout de suite sur une ligne d’arrivée trop lointaine.
Donc on peut mettre des jalons. Découper des cycles longs en deux cycles plus courts. Mettre des conditions claires : pour passer à la prochaine étape il faut suivre telle et telle formation et obtenir telle et telle certification donc le collaborateur comprend qu’il va lui falloir du temps mais sait ce qu’il a affaire. Et si ça bloque toujours augmenter les exigences, à la fin c’est le niveau de tous les collaborateurs qui augmentera. Enfin…celui de ceux qui seront restés.
Ce qui nous emmène au troisième point.
Peu importe d’attendre tant qu’on comprend pourquoi
Des règles claires. Une évolution de carrière ne doit pas sembler obéir à des règles obscures ni soumise à l’arbitraire d’un manager ou de je ne sais qui. Alors bien sûr une partie restera de l’ordre du subjectif, bien sûr évaluer les « soft skills », Ô combien importantes et trop souvent négligées reste également subjectif, mais comme on l’a vu avec les formations et les certifications (pour les métiers auxquels ça s’applique bien sûr), cela peut permettre d’objectiver des choses. Il peut y avoir une myriade de formations, gratuites ou payantes, courtes on longues, dont on peut se dire qu’un collaborateur doit les avoir suivi à fins de développement de compétences voire de sensibilisation. Mais on en reparlera dans un futur article dédié au sujet.
Il n’existe pas de route pour celui qui ne sait d’où il part
On dit souvent qu’il n’y a pas de chemin pour celui qui ne sait ou il va mais on oublie souvent que la base c’est de savoir où on est, d’où on part. Le problème du collaborateur c’est, même s’il s’ait qu’il est sur une route, de ne pas savoir à quel distance il est du prochain carrefour, quelles sont les options qui lui seront proposées, quelles conditions il devra remplir…ni même s’il a le droit de toucher le volant ou la pédale d’accélérateur.
Changer d’entreprise ne doit pas être la carrière la plus lisible
Aujourd’hui il y a beaucoup trop de collaborateurs pour qui l’évolution de carrière la plus simple et la plus lisible est le changement d’entreprise. Le problème c’est que très souvent cela touche les éléments qu’on a le moins envie de voir partir. Et qu’on ne se dise pas « tant qu’ils ne disent rien on ne bouge pas » car le jour où il diront quelque chose il sera souvent trop tard.
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