L’omnicanalité c’est le nouveau Graal de l’entreprise. Déjà parce que c’est l’évolution logique du e-commerce que nous connaissons désormais depuis longtemps mais également parce qu’en ces temps de lutte contre la pandémie beaucoup ont appris, parfois à leurs dépens, que c’était la seule planche de salut du commerçant dans un monde qui pouvait se fermer du jour ou lendemain.
Si l’omnicanalité à défaut d’être la norme pour l’instant est une tendance inévitable quand on parle de la relation entre l’entreprise et le client on est loin du compte quand on parle de salariés.
L’omnicanal c’est le digital devenu adulte !
Pour faire simple et sans rentrer dans les querelles d’experts sur les définitions on dira que le :
• Le e-commerce c’est vendre en ligne
• Le commerce multicanal c’est mettre à disposition plusieurs canaux de vente (magasin, site, application, réseaux sociaux…) mais en partant du principe que le client aura un canal de prédilection et, surtout, l’utilisera tout au long de son parcours d’achat.
• Le commerce omnicanal revient à mettre potentiellement en œuvre tous les canaux possibles mais surtout de partir du principe que le client n’a pas de canal de prédilection et donc, au bout du compte, qu’il peut passer de l’un à l’autre tout au long de son parcours d’achat. Par exemple se renseigner sur le site, commencer son achat dans l’app et finalement aller le retirer voire le payer en boutique.
Pour être exhaustif on parlera également de commerce unifié lorsque tous les canaux sont gérés depuis une plateforme unique, ce qui revient quelque part à concrétiser la promesse de « remettre le client au centre » initiée par l’omnicanal mais qui demandait quelques efforts techniques pour briser les silos existant entre les plateformes (on parle là de cross-canal).
Bon je m’arrête là, si vous êtes ici ça n’est sûrement pas pour parler de e-commerce. Par contre si le e-commerce est votre préoccupation première vous allez peut être apprendre ici des choses qui vont allumer quelques lumières chez vous, a fortiori si vous vous lancez dans l’aventure et vous demandez quels effets de bord anticiper.
Les nombreux enjeux de l’omnicanalité pour le collaborateur
Si on ne parle d’omnicanalité que pour le client, les enjeux du côté du collaborateur sont loin d’être négligeables. Je retiendrai ici cinq dimensions qui posent problème aujourd’hui :
- La relation entre le collaborateur et le client qui lui bénéficie de dispositifs omnicanaux
- Une collaboration davantage multicanale qu’omnicanale
- Des process pas assez digitalisés
- Une discrimination fondée sur le périphérique et le lieu
- Le cross canal grand absent des dispositifs RH et managériaux
- Une conception large du multicanal pour le collaborateur
Le collaborateur désemparé face au client omnicanal
Quand on parle de l’absence d’omnicanalité de l’expérience employé il faut prendre le sujet à la base, c’est à dire sur le terrain ! J’en parlais déjà en matière de transformation digitale : c’est là, chez les cols bleus, gris, voire blancs qu’on se rend compte que qu’on a trop considéré la chose comme un sujet pour happy fews, avec une approche plus statutaire qu’opérationnelle. Comme pour le télétravail d’ailleurs.
Je ne sais plus de quand date cette phrase de Philippe Bloch que j’aime rappeler mais le fait qu’elle reste d’actualité 5 ou 7 ans après été prononcée est significative. « Le neuneu passe de l’autre côté du comptoir« , faisant référence à l’ouverture le matin d’un grand magasin spécialisé. L’idée était que dans le « monde d’avant » le vendeur était l’expert qui éclairait le client mal informé (le neuneu). Avec l’arrivée du smartphone et de l’internet ubiquitaire c’est désormais un client surinformé qui débarque dans le magasin et le vendeur qui devient le neuneu. Face à un client qui a accès à tous les comparatifs techniques, les avis des clients d’ici et d’ailleurs et peut comparer les prix alors qu’il est dans le rayon que peut faire le vendeur à qui on refuse d’utiliser un mobile ou une tablette au travail de peur qu’il n’aille sur Facebook ou essaie de progresser à Candy Crush ? Rien. Alors il se planque.
Mais même dans une logique de commerce omnicanal on voit encore des enseignes ne pas équiper leurs vendeurs de tablettes. Ils sont ainsi dans l’incapacité de spontanément aider le client qui demande un renseignement, doivent attendre qu’une caisse se libère pour traiter un « click and collect » et, pire, ratent la possibilité d’enrichir l’expérience client (et donc de vendre….) en fonction de la connaissance que l’enseigne a du client.
Concrètement parlant j’achète toujours sur le site de X, on connait mes goûts, mon historique d’achat, on peut me faire des recommandations. Enfin, tant que je suis en ligne. Je vais dans une boutique de X le vendeur ne me connait pas, je dois tout lui réexpliquer. Imaginer qu’il récupère toutes les infos sur moi sur présentation de ma carte de fidélité ou je ne sais quoi est trop demander. Il va me conseiller un produit que j’ai déjà etc. Quand votre site est mieux placé que vos vendeurs pour construire une relation personnalisée vos boutiques ont un très gros problème.
Car on en arrive à la subtile distinction entre multicanal et omnicanal. Pour certaines entreprises le canal web est une chose, le magasin en est une autre. Ils sont à la limite d’être concurrents. Donc en tant que client web inutile d’attendre quoi que ce soit du magasin et réciproquement. Cela confine au ridicule quand le client rapporte en magasin un produit acheté sur le web et qu’on lui explique qu’on ne peut rien faire pour lui ! Alors on a là un problème d’omnicanalité de la part de l’organisation qui se ressent coté client mais pensez vous que le vendeur soit satisfait de dire au client que le « le site de la marque X et la boutique de la marque X ça n’est pas la même chose ? ». Pensez vous que ça l’aide ou que ça l’handicape dans son travail ? Que le client accepte sans broncher ? Et qu’à la fin on a certainement perdu un client ?
J’ai pris volontairement l’exemple de la distribution mais dès qu’on a un agent en face d’un client sur le terrain on a encore trop souvent de la peine pour ce pauvre individu que son employeur a envoyé comme un voltigeur essuyer les plâtres en première ligne.
Le problème c’est que l’employé et le client ne prennent plus de tels dysfonctionnements pour un mal nécessaire. Ils vont dans des Apple Store, ils voient le personnel des compagnies aériennes équipés de tablettes dans les aéroports ou les avions, ils voient que dans certains hotels on fait leur check in dès leur arrivée dans le hall ou même dans leur chambre avec une tablette…et que la personne en face d’eux dispose de toutes les informations nécessaires.
Moralité : des salariés frustrés et inéfficaces, des clients insatisfaits et mal conseillés, mal pris en charge, une relation client qui perd en qualité, du chiffre d’affaire qui ne se fait pas….
Une collaboration davantage multicanale qu’omnicanale
Ca n’est pas les outils de collaboration qui manquent dans l’entreprise mais cela ne veut pas dire qu’on les utilise bien. Je parlais il y a peu de l’importance d’un moteur de recherche unifié au niveau du système d’information et bien là on est un peu dans la même logique.
Untel m’a dit quelque chose, m’a transmis une information, partagé un document…mais où déjà. Je ne trouve rien dans l’espace projet, peut être est-ce dans un email ? Non. Ah oui dans le tchat…mais lequel ? Le chat « officiel » ? Celui intégré dans le réseau social d’entreprise ? Celui intégré dans l’outil de gestion de projet ? A moins que ça ne soit dans celui qui est intégré dans notre outil de visioconférence ? Ah non c’est surement une pièce attachée dans le CRM. Et bien non, c’était dans une communauté du réseau social d’entreprise.
Là on voit bien la différence entre multicanal et omnicanal. Dans le premier cas le collaborateur a à sa disposition pleins de canaux mais aucun moyen de les réconcilier pour rassembler tout ce qui touche à un sujet, un cas, un projet. Dans le second il y parvient depuis un seul écran.
Alors oui ça progresse peu à peu et on voit une ébauche de choses intéressantes chez Microsoft, notamment avec Teams qui devient le point de convergence de beaucoup choses. Et, on le verra dans un prochain article, avec des solutions qui viennent se greffer sur Teams pour apporter une vraie vue orientée selon les besoins « cas » ou « process ».
Mais c’est encore trop rare et inabouti.
Mais ça n’est pas tout. Le collaborateur souffre aussi du manque d’omnicanalité de ses collègues, voire de son manager.
Face à une profusion d’outils à un moment on choisit. Dans la « vraie vie » certains sont plus iMessage et d’autres WhatsApp. Certains préfèrent les emails, d’autres les messages. Etc. Et puis il y a les ordres de priorité. Certains vont surveiller un canal en temps réel, consulteront un autre plusieurs fois par jour, un troisième tous les jours et enfin les autres quand ils ont le temps…c’est à dire jamais.
Et bien quand deux personnes essaient de communiquer mais pas par le même canal ou par un canal qui a un niveau de priorité et d’attention différent selon la personne…en général cela se finit mal.
Et je ne parle même pas du collaborateur ou du manager qui est…monocanal et oblige tout le monde à doubler chaque envoi : un dans le canal de prédilection de l’équipe, un dans celui de la personne (qui est souvent un manager…).
La collaboration et la communication sont des sports d’équipe mais qui obéissent encore trop souvent à des logiques de préférences individuelles. Donc quand on multiplie le nombre de personnes par le nombre de canaux cela fait trop de possibilités pour que par chance tout le monde se retrouve.
Des process pas assez digitalisés
Au delà de la communication et de la collaboration il y pleins de sujets qui sont traités par des outils similaires…mais différents. Pourquoi en termes de « helpdesk » a-t-on un outil différent pour l’IT, les RH et les services généraux ? Après tout c’est juste une logique de ticketing non ?
Pourquoi faut il utiliser le traveldesk pour réserver un billet de train mais passer par une assistante pour réserver un hôtel (ou l’inverse) ?
D’une manière générale la logique de guichet unique qu’on prône pour le client n’a pas droit de cité pour le collaborateur. Et encore, donc, multiplication d’outils, de canaux, de choses qui se perdent, n’arrivent pas au bon endroit. Mauvais en termes d’expérience mais aussi d’efficacité aux deux bouts de la chaine !
Mais là on ne parle de que digital. Il y a également certaines choses qui ne peuvent être faites que par le biais d’un formulaire papier ! Alors pour cette demande aux RH il faut passer par un outil, mais pour celle là remplir qu’une fiche qu’il faut déposer au bureau adéquat. Sans compter sur le fait que parfois le dit formulaire doit ensuite être envoyé sur un autre site pour être traité. J’ai même déjà vu mieux : un formulaire papier rempli par le collaborateur, transmis aux RH de son site, qui était ensuite scanné pour être envoyé aux RH du siège. Ou une autre entreprise où le papier était la norme entre les salariés et l’administration et où ensuite l’administration ressaisissait tout dans un logicel ! Pire encore : parfois on a le choix entre papier et digital ! Inutile de vous raconter l’enfer que vivent ceux qui doivent traiter !
Bref expérience déplorable mais surtout perte de temps à tous les étages et des tâches sans valeur qui occupent des personnes qui pourraient être mieux occupées à d’autres choses.
J’ai la chance de travailler dans une entreprise où a fini de « tuer » les derniers process reposant sur du papier il y a déjà quelques années. Du contrat de travail au bon de commande en passant par tout que ce qui ressemble à une demande ou un procès verbal tout est saisi, généré automatiquement si nécessaire, communiqué et signé électroniquement. Je connais assez d’entreprises qui sont devues « paperless » pour vous dire que c’est possible à condition de s’en donner la peine.
Une discrimination fondée sur le périphérique
Quand on parle d’omnicanalité on sous-entend, bien sur, multiplicité des canaux sur de multiples devices. Proposer une boutique qui ne fonctionnerait que sur un ordinateur de bureau ne viendrait à l’idée de personne aujourd’hui. De la même manière que le client peut commencer son parcours en ligne, aller voir le produit en magasin puis repasser en ligne pour commander, il peut commencer à se renseigner sur son mobile, passer sa commande sur son ordinateur de bureau, la suivre sur son mobile etc.
Dans l’entreprise il existe des outils qui ne sont accessibles que sur ordinateur et pas sur mobile ou tablette. Ce sont donc autant d’actions ou d’informations inaccessibles aux collaborateurs en mobilité ou encore à ceux qui travaillent en magasin ou en usine. Là encore une discrimination par le statut (il faut appeler les choses par le nom) qui n’a aucune justification sauf à expliquer qu’il y a des catégories d’employé qui peuvent se contenter d’un accès restreint à l’information. Cette dernière leur est ainsi délivrée soit sur leur ordinateur à la maison (pour peu que les connexions distantes soient autorisées), sur un ordinateur « partagé » dans un lieu de passage dans comme une salle de repos, diffusée sur des écrans voire, et cela arrive encore, imprimée et affichée. En matière de « on demand » on peut faire mieux.
Le cross canal grand absent des dispositifs RH et managériaux
Dernier exemple d’une omnicanalité aux abonnés absents : les outils métiers. Nous allons voir cela au travers de deux exemples.
Tout d’abord outils RH au sens large du terme, un sujet sur lequel les entreprises n’ont absolument aucune excuse car les éditeurs spécialisés proposent tous des suites hautement intégrées qui couvrent la totalité du besoin ou presque. Pour autant, soit parce que le choix a été fait d’une politique « best of breed » soit pour des raisons historiques (croissance externe) on peut se retrouver avec un environnement hétéroclite.
Allez expliquer à un manager que pour avoir une vue complète des membres de son équipe il va devoir aller voir un outil pour tracer la carrière de la personne, un second pour ses compétences, parfois un troisième pour gérer les formation, un quatrième pour la partie évaluation/performance… Avec bien sur de la double saisie à chaque fois.
Ensuite tout ce qui a trait à la connaissance client. Que les données relatives aux clients soient disséminées entre les boutiques, le e-commerce, le programme de fidélité voire le support est problématique mais compréhensible dans une approche multicanale qui s’est fait par une empilement de canaux au fil du temps. Maintenant le sujet est assez mûr et on a assez de recul pour comprendre que cela pose deux problèmes.
D’abord le client, saucissonné et découpé en fonction des différents points de contact vit une expérience décousue qui n’a rien de fluide. Ensuite, et c’est là notre problème, le collaborateur en charge du client, qu’il soit vendeur en magasin, qu’il travaille au marketing ou soit en charge du programme de fidélité qui n’a le plus souvent aucun moyen de réconcilier les données et donc avoir une action pertinente reposant sur des informations complètes.
A noter que dans ce dernier cas, malheureusement trop fréquent, la multiplicité des canaux fait que ni le client ni l’employé ne sont au centre de quoi que que soit…si ça n’est des problèmes !
Une conception large de l’omnicanal pour le collaborateur
Dans une logique de symétrie des attentions ou de parallélisme des formes on voit bien que les logiques d’omnicanalité sont loin d’être aussi avancées côté collaborateur que côté client même si dans ce cas il faut admettre que la variété des outils, des canaux et des cas d’usage fait que pour le collaborateur la notion d’omnicanalité s’apprécie de manière très large.
Toutefois on voit bien que les notions de parcours fluide et « sans couture », de suppression des silos applicatifs qui sont autant de raisons à la multiplication des canaux et de facilité d’accès à l’information ne sont pas que des gadgets visant à une politique du moindre effort de la part du collaborateur. On est là encore dans une réflexion sur nos flux de production dans une économie largement dématéralisée qui contrairement au secteur industriel n’a pas forcément une conscience développée de ce concept, en tout cas sûrement pas hors des directions informatiques.
Et prix que l’organisation paie à cela est élevé.
- La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé
- Des process conçus pour les mauvaises personnes: l’irritant #2 de l’expérience employé
- Une expérience de masse. L’irritant #3 de l’expérience employé
- L’entreprise cloisonnée. Irritant #4 de l’expérience employé
- Rétention et difficulté d’accès et d’utilisation de l’information. Irritant #5 de l’expérience employé.
- Une organisation incohérente avec la manière dont on travaille. Irritant #6 de l’expérience employé
- Une expérience IT compliquée. Irritant #7 de l’expérience employé
- Salariés perdus dans les parcours RH. Irritant #8 de l’expérience employé
- Le management. Irritant #9 de l’expérience employé.
- Une entreprise pas omnicanale du tout ! Irritant #10 de l’expérience employé.
- Le lieu de travail, irritant #11 de l’expérience employé.
- Clients et projets : irritant #12 de l’expérience employé
- Une organization désynchronisée, irritant #13 de l’expérience employé
- Une organisation trop informelle, irritant #14 de l’expérience employé
Photo : omnicanal de PopTika via Shutterstock