Dès que la COVID-19 a commencé à se propager et atteint le stade de pandémie la première conclusion qu’on en a tiré est que les pays occidentaux devaient relocaliser la production sur leur territoire.
Entendons nous bien, la préoccupation ici n’est pas de lutter contre la propagation d’un quelconque virus ou d’empêcher son apparition à l’avenir (sujet qui est totalement sorti des radars ceci étant) mais bien de garantir les capacités de production et d’approvisionnement mises à mal lorsque d’un seul coup un pays « usine du monde » décide de cesser toute activité.
La relocalisation : un enjeu qui va bien au delà du cas COVID-19
Ici on parle de pays occidentaux (et en l’occurence de le France), de la Chine, d’un virus et d’activités principalement manufacturières mais étendre la réflexion à un cadre plus large a du sens.
- Les activités manufacturières ne sont pas les seules visées : à partir du moment où on ne peut plus se rendre sur son lieu de travail toutes les activités sont potentiellement touchées. Le télétravail peut s’appliquer à un partie des activités mais un centre d’appel ou un centre de recherche situés à l’étranger auront tout de même du mal à fonctionner.
- On parle de pays ou d’entreprises ayant délocalisé leur production mais, même sans cela, un confinement généralisé à l’échelle d’un pays, quel qu’il soit, peut bloquer des chaines d’approvisionnement. Il existe des entreprises européennes qui produisent en Europe, plutôt sur des industries de pointe hyper spécialisées ou demandant un savoir faire spécifique, qui si elles s’arrêtent vont toucher le monde entier car il n’y a pas d’alternatives ailleurs.
- On parle d’un virus mais d’autres causes peuvent avoir les mêmes effets : une catastrophe naturelle, une guerre… Et dans ces cas le problème sera largement plus durable car une fois l’événement passé il faudra souvent remettre en état voire reconstruire avant de produire.
Regarder la question de la relocalisation avec des oeillères avec la seule COVID-19 en vue serait une erreur. La pandémie est juste un exemple parmi d’autre de phénomènes qui doivent nous amener à nous interroger sur le risque que fait peser toute forme de délocalisation sur nos chaines d’approvisionnement et par ricochet sur nos économies nationales.
Hypothèse d’une crise dans un monde non délocalisé
Pour bien mesurer à quel point la délocalisation a constitué une faiblesse qui amène à la remettre en cause, imaginons ce qui aurait pu se passer si de nombreuses entreprises n’avaient pas délocalisé tout ou partie de leur production en Chine.
D’abord cela n’aurait rien changé par rapport à l’apparition et à la diffusion du virus. Ca n’est pas la délocalisation qui l’a fait apparaitre et ça n’est pas la délocalisation qui l’a propagé, les personnes voyageant à travers le monde ne le faisant pas toutes pour aller visiter un centre de production en Chine ! Et quand bien même on aurait, dès le premier jour, mis la Chine sous cloche pour empêcher la propagation du virus au reste du monde cela n’aurait pas empêché l’arrêt total de la production là bas. Donc le problème aurait été le même. Alors bien sur on peut dire que pas de virus ou un virus qui serait resté chinois aurait voulu dire pas de masques et donc pas besoin d’acheter des masques en Chine, mais l’approvisionnement en masques n’est qu’une infime partie des problèmes qui se sont posés.
Par contre on aurait pu continuer à produire dans nos usines locales et donc continuer à faire tourner les circuits économiques comme si ne rien n’était et donc ne pas arrêter des chaines de production locales en attente de pièces détachées venant de Chine ou ne pas stopper pour cause de pénurie les activités commerciales concernant des produits fabriqués là bas.
Oui mais…
Il n’y a pas que la Chine sur terre
Oui mais le virus s’est propagé et il a fallu cesser de produire chez nous également. Retour à la case départ.
Et puis, si on part du principe que chacun produit chez soi, on n’est pas à l’abris de catastrophes naturelles dont ne sont pas protégés les pays, occidentaux ou non, à coût de main d’œuvre élevé. Un tsunami au Japon, on a vu. Un tremblement de terre dans la Silicon Valley c’est prévu et attendu. Un ouragan dans le centre des Etats-Unis c’est tous les ans et demain l’Europe sera soumise aux mêmes phénomènes. J’allais dire que les pays en question ne sont pas exposés au risque de guerre où à l’instabilité sociale mais l’exemple de l’Amérique du Sud doit nous amener à y penser à deux fois (et oui si on relocalise tout le monde relocalise…) et, surtout, l’exemple des gilets jaunes en France nous montre que se croire à l’abris de tels phénomènes serait très présomptueux. Ajoutons à cela que les Etats-Unis ne sont pas à l’abris d’un nouveau « Tea Party » et qu’on ne sait pas ce que le Royaume-Uni post Brexit nous réserve.
Donc que se serait il passé dans une économie localisée si, dans le cas de la France, un virus était né chez nous (et pourquoi pas ?), si les gilets jaunes avaient décidé de brûler le tissu productif capitaliste ou si un ouragan ou un tremblement de terre (il y en a…) avait détruit une zone manufacturière majeure ?
On aurait hurlé à une mauvaise anticipation du risque et exhorté nos dirigeants à délocaliser notre production pour nous prémunir contre des risques locaux.
Délocalisation ou Distribution ?
Le sujet n’est donc pas aussi simple qu’il n’y parait si on le dépollue des considérations purement politiques et qu’on reste sur le seul sujet de la capacité d’un pays à maintenir ses sources d’approvisionnements. D’autant plus que, hors considération politiques là aussi, maintenir son système de production à flot ne garantit en rien de maintenir son approvisionnement sauf à viser l’autosuffisance dans tous les domaines ce qui est totalement impossible. En effet si les autres pays chez qui on s’approvisionnent restent exposés aux risques dont on s’est soustrait cela ne change pas grand chose.
La meilleure solution ne semble donc pas être la délocalisation à marche forcée comme on l’a fait, ni la relocation à outrance comme on le promet, sous le coup de l’émotion certainement. Ce à quoi il faut arriver c’est une meilleure distribution des activités de production.
N’oublions pas que la question de départ est bien l’approvisionnement et pas l’emploi. Ce que nous apprend l’épisode que nous venons de vivre et si on essaie de généraliser c’est que le débat ne doit pas être entre délocalisation et relocalisation mais entre concentration et distribution.
Le risque n’est pas de produire ailleurs mais de tout produire au même endroit, peu importe lequel ! Plutôt qu’une délocalisation aveugle il importe davantage de distribuer de manière intelligente pour produire à différent endroits, dont chez soi, de manière à ce que si une partie du globe est à l’arrêt on garde une capacité de production opérationnelle, moindre, mais opérationnelle.
Et je ne parle même pas des questions de coûts qui ferait qu’une production locale serait soit une production sans emploi soit une production inabordable
Photo : usine de Fishman64 par Shutterstock