Clients et projets : irritant #12 de l’expérience employé

On ne pouvait passer en revue les irritants de l’expérience employé sans parler de ce qui est central dans toute entreprise, de sa raison d’être : les clients et les projets des clients. Théodore Levitt, économiste et professeur de marketing ne disait il pas que « la raison d’être d’une entreprise c’est de créer et garder un client » ?

Pas besoin d’être Prix Nobel d’économie pour comprendre que sans client l’entreprise ne va pas loin et n’a pas besoin d’employés. Mais sans employés ou avec des salariés inadaptés, mal organisés, mal managés, mal outillées, démotivés ou désengagés (ou tout cela à la fois) si on peut envisager de « créer » le client il va être compliqué d’atteindre le second objectif qui est de le garder.

Les deux sont donc indissociables même si on continue à faire exister une barrière mentale qui sépare intellectuellement les deux. L’un est vu comme un objectif et l’autre comme une contrainte, l’un comme un revenu et l’autre comme un coût etc. Mais qu’on travaille dans les services ou dans le commerce, que le client soit une personne ou une entreprise, que l’on ait avec lui une relation de travail qui s’étire sur des mois ou une relation commerciale qui peut ne durer que quelques minutes, si les deux ne fonctionnent pas bien ou pas bien ensemble et bien les choses ne fonctionnent simplement pas.

Il est acquis par tout qu’en interne une équipe qui fonctionne mal ensemble n’est pas une équipe performante. Mais à un moment donné le client et les employés forment une équipe qui réussira ou échouera ensemble.

Cela peut sembler assez évident à comprendre dans le monde des services donc je ne m’étendrai pas sur le sujet. Mais même quand une personne rentre dans un magasin, pendant 5 minutes et une heure elle va former une équipe avec le vendeur, l’un ayant un besoin et l’autre devant le satisfaire. De la qualité de leur échange, de la qualité de leur relation aussi courte soit elle, de l’énergie que l’un mettra à comprendre et conseiller et l’autre à se faire comprendre dépendra qu’une fasse se fasse ou pas, qu’un client revienne ou pas. A la sortie soit les deux ont gagné soit les deux ont perdu (si on considère que réussir à vendre n’importe quoi fait le client ne reviendra pas donc ne sera pas « gardé »).

Clients et projets font partie de l’expérience employé

Dans la mesure où il est central pour l’entreprise on ne peut sortir le client et le projet (même si le projet est à vocation interne et le client également) de l’équation de l’expérience employé. On peut en effet partir du principe que le client est un facteur externe sur lequel on a peu ou pas de pouvoir et donc que dans le pire des cas il faut le subir quoi qu’il en coûte mais ça n’est pas une bonne approche.

Quand un collaborateur ou une équipe subissent un client cela se traduit en général par un niveau de qualité et de performance en dessous des attentes, des revenus moindres, des collaborateurs de plus en plus démotivés et désengagés au fil du temps (si ça n’est pas pire) et à la fin un client rarement satisfait.

Mais on ne va pas se mentir : une entreprise n’a pas autant la main sur ses clients qu’elle l’a sur son interne, même si on a déjà vu des entreprises « virer » des clients et refuser de travailler avec eux. Par contre ça ne veut pas dire qu’elle n’a aucun moyen de faire en sorte que les choses se passent bien pour les uns et les autres. Par « se passent bien » je ne parle pas que de relationnel et de collaboration mais surtout de résultat : l’un est satisfait de ce qu’il a, reviendra et recommandera l’entreprise, l’autre est satisfait de son travail et les deux sont heureux de la manière dont cela s’est passé.

Quand une mauvaise relation commerciale pénalise l’exécution

Il arrive qu’une relation soit commercialement tendue, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. C’est la vie. Par contre ce qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que souvent celui qui vend n’est pas celui qui exécute après. Il peut être légitime de tendre une relation commerciale mais il faut toujours avoir en tête que derrière ce sont ceux qui sont dans l’exécution au quotidien qui vont en supporter une partie des conséquences. Parfois le jeu en vaut vraiment la chandelle, parfois pas du tout.

Idem dans un cas de survente. Quand l’un promet trop, l’autre est systématiquement pris en défaut et doit tenir des promesses intenables. Ceux qui travaillent dans le département service d’un éditeur de logiciel ne le savent souvent que trop, mais il n’y a pas qu’eux.

Je me souviens aussi d’une entreprise de service où le commercial voulait vendre « à tout prix ». Il avait ainsi vendu un projet à un interlocuteur qui voulait le faire échouer. Ce dernier avait été nommé responsable d’un « Proof of Concept » sur un sujet alors qu’il était défenseur d’une autre solution qui n’avait pas été retenue par sa direction. Il ne voulait pas que cela fonctionne et le commercial l’avait détecté mais avait vendu sans rien dire à ses équipes. Résultat : des collaborateurs qui ne comprenaient pas pourquoi leur travail était sans cesse critiqué et remis en cause et, logiquement, pourquoi leur manager le leur reprochait. Résultat : un projet qui laisse des séquelles et une équipe composé de collaborateurs motivés et talentueux qui ont tous démissionnés dans les 6 mois qui ont suivi.

Mais dans de telles circonstances le collaborateur vit en général très mal son projet. Parfois c’est un mal nécessaire, parfois non.

Le problème du mur mental entre l’interne et l’externe

Trop souvent on voit dans les entreprises une culture du « eux et nous » vis à vis du client. Le problème est qu’un projet se mène à deux, se réussit à deux et se rate à deux.

Même si le rôle de chacun est de veiller aux intérêts de sa propre entreprise, il ne faut pas oublier que si on ne partage pas le même employeur on partage le même intérêt au sein d’un projet commun : le voir réussir.

Dans un monde idéal il n’y a pas deux équipes projet, une chez le client et une chez les prestataire mais une seule au sein de laquelle les deux collaborent. Et la bonne nouvelle est que cela ne relève pas d’un vœux pieux. Dans les équipes qui pratiquent l’agilité et la pratiquent bien on a coutume d’entendre que « le client fait partie de l’équipe ». Et quand les gestes suivent la parole, en général cela se passe bien.

Le manque d’éducation du client

Je ne parle pas là de problèmes de comportement et de politesse qui peuvent être destructeurs pour le collaborateur et nuisibles à la réussite du projet quoi qu’ils ne soient pas rédhibitoires. Après, tout est question de courage et d’assumer ses positions voire une certaine éthique. On a déjà vu des clients demander à leur prestataire de retirer telle ou telle personne avec qui ça se passait mal et le dit prestataire s’exécute en général sans broncher peu importe que la demande soit motivée ou non et que la responsabilité soit d’un côté ou de l’autre. Plus rare mais très apprécié lorsque cela arrive, j’ai déjà vu des entreprises demander à leur client de « sortir » un chef de projet voire un décideur d’un projet au motif que leur attitude vis à vis de leurs collaborateurs n’était pas acceptable.

Mais quand je dis éducation je pense plutôt à la manière de faire les choses. Parfois l’un a sa méthodologie, son approche, l’autre la sienne et lorsqu’on donne le coup d’envoi chacun part de son côté sans écouter l’autre. Et on finit avec deux équipes irréconciliables, un peu comme essayer de faire collaborer des gens qui ne parlent pas la même langue. Depuis la tour de Babel on sait tous comment cela se finit.

Je parlais d’agilité plus haut, il y a des entreprises qui forment leurs clients à leurs méthodes de travail et méthodes projet avant de commencer afin que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Un peu de temps investi au départ pour en gagner beaucoup après et une manière d’améliorer à la fois l’expérience employé et l’expérience client.

Quand compétence rime avec appétence

Alors bien sûr quand on affecte quelqu’un à une tâche ou à un projet on le fait en priorité à partir de ses compétences. Par contre il arrive trop souvent qu’on oublie le volet appétence.

A compétences égales vous pouvez avoir deux collaborateurs qui s’intéressent chacun à un secteur d’activité ou ont une chacun une passion pour une marque ou une entreprise donnée, pour tel ou tel type d’activité de finalité pour un projet. Que se passe-t-il si on les met chacun sur un projet en lien avec leur domaine de prédilection, avec quelque chose qui les passionne ou, au contraire, si on inverse ?

Dans le second cas rien de grave, on aura juste quelqu’un de compétent qui fait son job. Dans l’autre on aura quelqu’un qui se projettera, qui en plus de la réussite du projet se sentira motivé par la réussite du client, qui aura un surcroit d’engagement et de motivation et qui prendra un plaisir accru à travailler sur le sujet ! Quelle options préférez vous ?

Ici le client n’est pas responsable de ce qu’il est ni de la nature de son projet qui lui est dictée par un besoin business. Par contre cela n’empêche pas que bien malgré lui, ce client et ce projet vont devenir un motif de satisfaction, de motivation voire de plaisir pour certains collaborateurs et pas pour d’autres.

Trop d’entreprises négligent ce point et d’ailleurs n’essaient même pas d’avoir une connaissance suffisante de leurs collaborateurs pour procéder à ce type d’affectation. Parfois motiver et faire plaisir ne coute rien d’autre qu’un peu d’attention et de jugeotte.

Où l’on reparle de management et de gestion de projet

Mais pour qu’un projet procure une expérience satisfaisante il n’y a pas que le client qui joue un rôle. La manière dont se passe un projet dépend tout autant du manager et du chef de projet. Rien ne sert que les « exécutants » opèrent dans un vrai esprit gagnant gagnant, s’entendent et collaborent au mieux si au niveau d’au dessus on leur rend la vie impossible inutilement. On a déjà parlé de l’impact du management ici mais cela vaut aussi pour les chefs de projet : leurs compétences et qualités relationnelles peuvent faire d’un projet un enfer à vivre à la fois pour leurs propres équipes et pour celles d’en face et, ça en est souvent la conséquence immédiate, mener le projet droit à l’échec indépendamment de tout autre facteur.

Un facteur décisif quand le télétravail se généralise

Par rapport à beaucoup d’autres mon crédo est que l’expérience employé concerne ce qui passe quand le salarié travaille et pas uniquement quand il est au travail. Une petite nuance qui permet d’éviter les mesures cosmétiques et périphériques qui touchent à tout sauf à l’essentiel. Et aujourd’hui, sans qu’on sache encore à quel point les leçons tirées du confinement changeront ou non la face du travail, on peut tout de même prédire que le travail se passera davantage à distance que par le passé.

Quand on rentre dans une logique de télétravail et plus le télétravail concerne une partie importante du temps de travail plus le lien avec l’entreprise se distend. L’entreprise devient une entité de plus en plus abstraite et lointaine, qu’on en dise, quoi qu’on fasse pour y remédier. L’engagement du collaborateur va dès lors se jouer à deux niveaux : les gens avec qui il travaille au quotidien et les projets sur lesquels il travaille.

Dans un tel contexte l’essentiel de l’expérience employé dépendra de ce qu’il va vivre dans les projets au quotidien et moins de sa vie dans l’entreprise en général.

L’expérience avec les clients et les projets, un sujet qui coûte très cher

Le sujet des clients et des projets est le dernier irritant que je traite mais c’est loin d’être le moindre. Elle dépend bien sur du niveau de complication de l’entreprise, de l’efficacité de ses process, de la qualité de ses outils, de la qualité du management, et de tous les facteurs que nous venons d’évoquer ici.

Le prix d’une mauvaise expérience en la matière est facile à estimer quand on en voit les conséquences :

  • Projets qui se passent mal : dépassement de budget et de délais, objectifs non atteints.
  • Clients insatisfaits.
  • Collaborateurs désengagés et démotivés.

On dit toujours qu’un collaborateur rejoint une entreprise et quitte un manager. On peut également ajouter qu‘il part souvent à cause d’un client ou d’un projet qu’il a mal vécu.

Photo : réunion projet de GaudiLab via shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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