Alors ? Plus ou moins productifs en télétravail ?

C’était une des grandes objections de ceux qui à tord ou à raison ne voulaient pas entendre parler du télétravail : en télétravail les gens seraient moins productifs. Derrière cette objection une foule d’arguments parfois totalement imaginaires ou au contraire bancals.

Un procès en fainéantise malvenu !

Premier argument facile : en télétravail les gens peuvent se planquer, travailler moins et donc au final seront moins productifs. Un argument qui vole en éclat si on se fie à tous les partages d’expérience sur le sujet et, par ailleurs, que confirme ma propre expérience.

Par honnêteté intellectuelle commençons par ce qui peut aller dans le sens de cet argument. Oui, quand une personne démarre le télétravail elle peut avoir tendance à lever le pied et à souffler un peu. Mais ça n’est en aucun cas par fainéantise mais c’est tout simplement un effet de balancier par rapport à la vie au bureau. « Enfin seul ». « Enfin tranquille ». Donc dans un premier temps on peu comprendre que le premier réflexe soit de savourer.

Et puis admettons que dans un premier temps le télétravail demande un peu d’adaptation, ce qui fait que dans les premiers temps tout le monde ne retrouve pas immédiatement sa pleine efficacité.

Mais cela ne dure qu’un temps car il est également établi que le plus grand danger avec le télétravail n’est pas que le collaborateur n’en fasse pas assez mais qu’il en fasse trop. Parce que son manager n’est pas à l’aise, n’a pas confiance, parce qu’on n’est pas encore dans une culture du résultat, mais aussi parce dans un contexte où le télétravail n’est pas une pratique normalisée, acceptée et pratiquée par tous, sur laquelle on a un minium de recul, le télétravailleur culpabilise !

Il ne veut pas qu’on puisse penser que parce qu’on ne le voit pas il en fait moins, qu’il ne travaille pas, alors pour compenser il en fait plus quitte à en faire trop et que ça se retourne contre lui. Et il est facile de s’engager dans cette spirale négative quand on est chez soi, qu’il n’y a pas à devoir rentrer à la maison, qu’aucun collègue ne vient vous rappeler qu’il est l’heure de faire une pause ou de rentrer.

En fait moins on télétravaille plus on savoure ces moments, plus on télétravaille plus on bascule dans une culture du résultat, plus responsabilisante et autonomisante où, au, contraire il n’est plus possible de se planquer.

Pour piloter le dispositif de télétravail dans une entreprise où on le pratique à haute dose depuis des années et où le passage en télétravail à marche forcée s’est fait en un clin d’oeil sans le moindre problème je peux vous dire que ma principale préoccupation en termes de dispositif de suivi c’est d’identifier ceux qui en font trop et mettent leur santé et leur équilibre en danger à long terme car les autres on les identifie tout de suite à leur niveau de « delivery » et je peux vous dire que ce sont des cas plus que marginaux.

D’ailleurs une étude de 2019 montrait que si les télétravailleurs se sentaient plus productifs, ils constataient une vraie augmentation de leur charge de travail et de leur temps de travail. Un étude réalisée avant le « Grand Confinement » de 2020 mais donc plus fiable car plus proche de l’e<xercice du télétravail en conditions « normales » avec des salariés normalement préparés et entrainés.

Une productivité individuelle accrue

A l’inverse de ceux qui pensent que les collaborateurs sont moins productifs en télétravail, quasiment toutes les études montrent des gains de productivité. Selon une étude effectuée à la demande du gouvernement français on parle de 5 à 30% de productivité en plus…ce qui laisse de la marge. Mais peu importe les sources on tourne autours d’une productivité en hausse en moyenne de 15%

Bien sur comme souvent je me permet de rester sceptique sur la qualité de la mesure mais cela correspond à mon ressenti personnel. Je pense gagner 2 à 3h en télétravail mais il est vrai que j’ai 15 ans de pratique régulière derrière moi.

Mais il ne faut pas non plus croire à une hausse de productivité miraculeuse. Toutes les études réalisées avant la COVID-19 ont concerné des entreprises qui avaient une vraie politique de télétravail et des salariés entrainés. Il est certain que le bilan de l’expérience COVID sera tout autre mais ça ne sera pas la faute du télétravail mais celle des entreprises qui ont confondu gadget RH et mode de production et qui se sont contenté de porter à distance des scénarios de travail inappropriés ou mal maitrisés. Le télétravail ça se prépare, ça se manage, ça s’encadre.

Il faut également savoir où on met le curseur. Tout semble prouver qu’à partir d’un certain nombre de jours par semaine cela devient contreproductif. Mais là encore on parle d’une situation sur laquelle on n’avait en France que peu de matière à analyser jusqu’à ce qu’il y a peu et qui dépend de l’entreprise, de son organisation, des individus. Je ne pense pas qu’en l’état actuel des connaissances et de la pratique on ne puisse tirer des conséquences trop hâtives dans un sens ni dans l’autre.

Par contre une chose est certaine : si une crise comme celle que nous avons connu devait se reproduire, mais également en cas de troubles sociaux, en cas de catastrophes naturelles, de blocage des transports et j’en passe, la capacité, pour les métiers susceptibles d’être exercés à distance, de passer dans un télétravail maitrisé et organisé est le meilleur moyen d’éviter une productivité égale à zéro.

Mais le télétravail fait quand même perdre de la productivité

Comme en toute chose il faut se méfier des discours trop angéliques ou trop noirs. En matière de productivité il a été récemment démontré que le télétravail entrainait une perte de productivité de 1% ! Contradictoire avec tout ce que je viens de dire ? Pas le moins du monde.

Et je crois en effet que cette baisse de productivité est tout aussi réelle que les hausses de productivité dont je parlais plus haut. Et elle n’est pas rédhibitoire.

En effet ce que les études ne distinguent pas c’est la différence entre productivité individuelle et productivité collective.

Cela fait longtemps (plus de 10 ans) qu’on parle sans cesse de ces sujets avec mon vieil ami et confrère Luis Suarez. Lorsque nous parlions du sujet encore dernièrement sur Twitter il me rappelait toutes les difficultés qu’ont toujours connu les entreprises par rapport à ce qu’il appelle le travail distribué. Car cela ne concerne pas que le télétravail, cela vaut dès que des personnes travaillent ensemble sans être physiquement au même endroit, ce qui arrive dans toutes les grandes entreprises depuis des lustres.

Productivité individuelle vs productivité collective

Je pense qu’il faut même aller au delà du concept de travail distribué comme le présente Luis mais parler de travail coordonné. Comme je le disais en parlant des cas d’usages de la collaboration en télétravail, tout le monde ou presque peut travailler seul sur une tâche dans son coin, ce qui est difficile est de travailler ensemble : se coordonner, prendre des décisions, être créatifs. Distribuer le travail on sait le faire et faire fonctionner le travail distribué, c’est finalement un héritage de l’ère industrielle. On découpe les tâches, on les attribue et voilà. Ce qu’on ne sait pas faire c’est collaborer et se coordonner. On le fait mal au bureau, on le fait de manière tellement catastrophique à distance que c’est parfois comme si on ne le faisait pas !

Je ne suis pas surpris donc qu’à distance et a fortiori plus la période de télétravail est longue, on arrive à la fois à être individuellement plus productif et collectivement moins productifs.

La bonne nouvelle c’est que cela n’est pas rédhibitoire mais impose deux choses :

Revoir tous les cas d’usage collaboratifs, les adapter si nécessaire, les pratiquer sans exception (qu’on soit au bureau ou à distance) et s’assurer que la technologie dont on dispose les rende effectivement possibles.

• Qu’on mette à jour la manière dont on manage et pilote des équipes, donc tant au niveau du manager que des chefs de projet.

Mais cela ne doit en aucun cas rebuter les entreprises qui peuvent faire des économies substantielles grâce au télétravail : impact sur l’immobilier d’entreprise, sur les frais de nourriture, le remboursement des frais de transport etc. Mais il est sûr que si d’un côté on pousse au télétravail et que le l’autre on n’en tire pas les conséquences cela peut ressembler à une double peine !

Le télétravail : inventez la vie qui va avec

Je ne pense pas qu’on reviendra contre l’idée de la possibilité du télétravail et il sera désormais impossible, même si tout n’est pas toujours rose, de se cacher derrière ses inconvénients sans considérer ses bénéfices.

Il y a ensuite un double enjeu entre productivité et qualité de vie (pour ne pas parler de souffrance) qui a mon avis n’appelle pas de réponse absolue et définitive. Cela dépendra des entreprises, des gens, des métiers, du contexte avec, à chaque fois, la question de savoir où on met le curseur.

Mais si la crise du COVID-19 nous a appris une chose c’est qu‘il fallait voir le télétravail au delà du prisme d’un dispositif RH, au delà de la seule productivité mais comme un nouveau modèle d’organisation de la production qui embrasse une foule d’autres dimensions.

Photo : productivité au télétravail de Soloviova Liudmyla via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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