Le pire ennemi de l’entreprise ne sont pas ses concurrents mais le temps. Temps pour comprendre, temps pour décider, temps pour agir, temps pour résoudre un problème. Le temps est la seule chose qu’on ne peut retrouver ou remplacer une fois qu’on l’a perdu.
Le temps est le pire ennemi du business
Ca n’est pas une nouveauté et la plupart en sont conscientes. Il existe aujourd’hui une exhortation à aller vite que ressentent tous les collaborateurs, peu importe leur métier ou leur secteur d’activité. Les premiers à la ressentir tout autant qu’ils en comprennent la nécessité sont les collaborateurs de terrain. Ils ont en face d’eux un client sans cesse plus exigeant, versatile et pour qui le temps est également une donné clé, mais ils sont également les premiers confrontés à la vitesse des concurrents. Et comme le disait Jack Welch l’ancien CEO de General Electric : « lorsque la vitesse du changement hors de l’entreprise dépasse la vitesse du changement dans l’entreprise, la fin est proche« .
Sur le terrain on parle donc beaucoup de rythme et de vitesse et cela a d’ailleurs contribué à largement faire évoluer les méthodes de travail au fil du temps dans de nombreux métiers. Pour autant et aussi motivés soient ils les collaborateurs ne vont pas toujours aussi vite qu’ils le pourraient ou qu’il le voudraient. Une des raisons en est la complication d’une organisation qui leur attache des boulets aux pieds tout en leur demandant de courir toujours plus vite mais ça n’est pas la seule.
Une autre raison en est les différents rythmes de l’organisation car tous les étages de l’entreprise n’avancent pas à la même vitesse.
Sur le terrain partons du principe que tout le monde essaie d’aller au rythme du marché et des clients. On vit avec des horizons qui varient de la journée à la semaine.
Tout va vite tant qu’on a besoin de personne
Parfois une question ou un problème se pose qui nécessite l’intervention d’un manager, d’un chef de projet, d’un expert ou autre pour apporter une solution, prendre une décision, valider une option, donner une autorisation…
On a affaire à des personnes en général très occupées (que l’occupation soit productive ou non est un autre sujet quand on voit le temps passé en réunion ou à faire des reportings…) qui parfois ne peuvent réagir dans la journée mais sous plusieurs jours.
La chose empire quand la personne concernée n’a pas la connaissance, les compétences ou l’autorité nécessaire pour agir. A ce moment elle doit évoquer le problème avec d’autres personnes. Cela peut se faire plus ou moins vite voire attendre une des réunions hebdomadaires, mensuelles, voire plus espacées que ces personnes ont entre pairs (à condition qu’elle arrive à placer le sujet dans l’ordre du jour).
Elle peut également « escalader » le problème à une personne « au dessus ». Cette personne a encore moins de temps et il se peut qu’elle n’ait pas la solution non plus et doive escalader à son tour ou attendre d’être en présence des bonnes personnes. Bien sur le résultat d’une réunion peut aussi être d’escalader (on a donc perdu du temps) ou de transmettre le sujet à d’autres personnes ou groupes de personnes.
Et ainsi de suite jusqu’à arriver à des personnes dont l’attention et la disponibilité font que leur temps de réaction se compte en général en semaines et plus en jour et qu’ils participent à des réunions qui ont des rythmes mensuels ou trimestriels.
Plus on est nombreux et plus on a besoin de la hiérarchie moins on va vite
De manière générale il existe deux théorème qui se vérifient toujours :
1°) la vitesse d’une organisation ralentit au fur et à mesure qu’on met plus de personnes dans une discussion et qu’on monte dans sa hiérarchie.
2°) Plus une personne est occupée moins elle va avoir le temps de spontanément organiser une réunion pour aborder un sujet (et moins les autres en auront pour y participer) donc elle va avoir tendance à attendre la prochaine réunion programmée, rituelle, où elle va rencontrer les bonnes personnes pour aborder un sujet.
Cela peut se passer pour d’excellentes raisons comme pour de moins bonnes mais c’est en général comme cela que ça se passe.
Ajoutez à cela la capacité qu’ont certains à « passer la patate chaude » pour ne jamais se mouiller (ce qui relève de la culture d’entreprise à certains endroits) et vous pouvez deviner sans trop de problèmes ce qui se passe.
Je ne peux d’ailleurs résister à l’idée de rappeler ici une anecdote qui fait toujours son effet. En 2008 Alcatel Lucent devait recruter une assistante administrative en Pologne. Au moment de valider le recrutement le manager décide de se couvrir et demande l’avis de son propre manager. Lequel n’a visiblement pas envie d’assumer un tel risque et forwarde la demande à un autre. Après que 16 managers et dirigeants refusent de se mouiller et passent le bébé à l’échelon d’au dessus, l’email a fini par atterrir chez Ben Verwaayen, le PDG. Lequel a répondu en mettant tout le monde en copie « Je ne veux plus voir cela ».
Quand on a pour horizon la journée on ne peut dépendre de quelqu’un qui a pour horizon le mois
En fonction du niveau d’autonomie, de subsidiarité et de confiance qui existe dans une organisation, on demande à des gens à qui ont pour horizon la journée de dépendre pour avancer de personnes qui ont des horizons en termes de semaines, mois ou trimestre.
Ajoutons bien sur à cela qu‘un problème qui peut être bloquant sur le terrain peut être vu comme anecdotique un ou deux étages au dessus et donc sa résolution sera non prioritaire à l’échelle des sujets d’un manager mais essentielle à l’échelle des préoccupations du collaborateur sur le terrain.
On retrouve ainsi des personnes bloquées, empêchées d’avancer, en attente d’une information ou d’un décision qui viendra dans quelques jours voire quelques semaines. Le pire est que souvent elles peuvent savoir quoi faire mais n’ont pas l’autorité pour le décider et qu’on leur reprochera plus tard le retard pris.
Le pire c’est que la bonne volonté des personnes chez qui « atterrit » le problème n’est souvent pas en cause. Elles ont leurs propres sujets, héritent en plus des sujets des autres, elles ont leur propres priorités et leur propre rythme en fonction des cycles de réunions et de travail dans lequel elles sont impliquées.
Mais au final il n’en reste pas moins que l’entreprise avance à plusieurs vitesses et que quand le terrain ne peut plus suivre le rythme du client et du marché parce, au dessus de lui, ça avance moins vite, la fin est proche comme dirait Jack Welch. Ou, dit autrement, une entreprise n’est jamais plus rapide que la capacité de son management à répondre aux questions des collaborateurs et résoudre leurs problèmes.
Pourquoi l’organisation ralentit les collaborateurs ?
Les causes ont les connait :
• Pas assez de subsidiarité qui fait que trop de problèmes remontent et surchargent les managers qui n’ont pas de temps pour les choses qui en valent la peine. On trouve souvent un problème de confiance derrière cela.
• Un mauvais alignement des objectifs qui fait que ce qui est prioritaire pour les uns ne l’est pas pour les autres. Quand un problème bloquant sur le terrain n’est pas une urgence pour le manager ou le manager du manager il y a un vrai problème d’alignement dans l’entreprise.
• Le gaspillage institutionnalisé du temps des managers en réunions et reportings inutiles qui leur laisse moins de temps pour faire leur travail : régler les problèmes que les autres ne peuvent régler et les faire grandir.
• Une culture du « busy-ness » (à l’opposé du business) qui fait qu’organiser son occupation, montrer qu’on est occupé et qu’on a pas de temps est vu comme un marqueur qui montre l’importance et le pouvoir des gens (en fonction de leur capacité à ralentir le travail des autres et les forcer à s’adapter à leur rythme).
En attendant on voit encore trop de salariés « bloqués » car ils attendent quelque chose de quelqu’un. Cela fabrique des salariés frustrés, démotivés et surtout peu performants, des clients mécontents et des managers surchargés. Et ce à tous les niveaux : on parle ici du collaborateur de terrain, mais son manager est lui-même bloqué pour des raisons similaires et ainsi de suite.
Resynchroniser les différentes strates de l’entreprise est avant tout un enjeu de performance opérationnelle et doit être vu comme tel.
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Photo : organisation synchrone de katacarix via Shutterstock