S’il faut virer au moins virez propre !

La crise actuelle va laisser des traces de différentes manières et notamment en termes d’emploi. Moins de clients, des trésoreries qui fondent à vue d’oeil et pas de perspectives à moyen terme, il ne faut pas être devin pour deviner que les vagues de licenciement vont être nombreuses et souvent massives.

Il y a quelques semaines Uber a ainsi licencié 3500 employés affectés au service client. D’un pur point de vue économique on ne peut y redire grand chose : quand il n’y a presque plus de clients et que même en temps normal on perd beaucoup d’argent il ne faut pas grand chose pour que la limite du supportable soit atteinte et la COVID-19 était beaucoup plus que pas grand chose.

Ca n’est pas le fait que Uber ait licencié qui a fait grand bruit mais la manière. Par Zoom. 3500 salariés invités à une conférence Zoom sans savoir de quoi on allait parler et qui en 3 minutes se faisaient expliquer que c’était leur dernier jour chez Uber et que le soir ils seraient chômeurs.

Avant Uber c’est Bird qui avait procédé pareil, puis Trip Action, puis Weight Watchers (qui pour le coup était bien dans une stratégie d’amaigrissement) et la liste est longue. On parle de Uber à cause de sa notoriété, à cause du volume de licenciements proportionnel à la taille de l’entreprise mais le vrai sujet n’est pas l’entreprise mais la manière. (On ne discutera pas la violence et la rapidité de l’opération qui n’est pas une question de culture d’entreprise mais de lois qui permettent des choses dans certains pays et pas dans d’autres).

Pourquoi licencier massivement en visioconférence ?

Le premier argument est la rapidité. 3 minutes pour se séparer de 3500 personnes c’est d’une rare efficacité. Même si on avait dit à leurs managers locaux de le faire cela aurait pris beaucoup plus de 3 minutes par personne et se serait étalé sur une plus longue période. Une période où, la chose finissant par se savoir, le malaise aurait même fini par atteindre ceux qui restaient mais ne savaient pas encore et seraient resté dans l’incertitude. La moindre des choses qu’on attend après une opération aussi difficile c’est que ceux qui restent soient dans les moins mauvaises dispositions possibles car on a besoin d’eux pour mener le combat pour la survie de l’entreprise.

Un autre argument est la protection des managers. Quiconque a déjà eu à licencier quelqu’un sait que ça n’est pas une expérience facile en dehors des cas où c’est pour se débarrasser d’une personne toxique, néfaste pour le groupe ou encore qui aurait commis un délit à l’encontre de l’entreprise. Mais dans de telles circonstances je ne pense pas que les managers ayant à annoncer individuellement la nouvelle individuellement se seraient senti tellement bien à la fin de la journée. Mais là encore aussi cynique que cela puisse paraître, on aura besoin d’eux pour l’avenir. Alors autant ne pas les exposer, autant ne pas les faire se sentir mal, responsables ou coupables de quoi que ce soit. On note au passage que celle qui a été désignée pour annoncer la nouvelle a l’air tout sauf fière de le faire et on peut penser qu’elle portera ce poids pour tous les autres pendant longtemps. Il y a des gens qui veulent devenir une star sur les réseaux sociaux mais je ne pense pas que quiconque veuille le devenir pour cette raison précise. Raison pour laquelle, ceci dit, j’ai mis une illustration « neutre » à cette article et pas une copie d’écran de la vidéo, je pense qu’elle mérite mieux que de voir son visage associé à vie à cette opération.

Un troisième argument serait, lui, véritablement cynique. Vu que désormais on fait tout à distance, que certains de ces collaborateurs étaient peut être même en travail à distance, pourquoi ne pas utiliser pour ça les outils qu’on utilise pour tout le reste ! Cela fonctionne, tout le monde les as adopté alors autant en profiter.

Un licenciement n’est jamais beau mais il peut être propre

Partons du principe, comme je le disais plus haut, que dans de telles circonstances un licenciement n’est jamais agréable pour personne, et même pas pour celui qui l’annonce. Un licenciement n’est jamais beau quand on regarde ses conséquences mais on peut penser qu’un peu d’humanité peut être la bienvenue, ne serait-ce que par respect pour la personne qui part.

Un mes films favoris est « In the Air », avec George Clooney. Ryan Bingham, le personnage qu’il interprête fait un des pires métiers du monde : il vire des gens pour les entreprises qui sont ses clientes. Preuve s’il en est que le boulot est tellement sale et mal vécu qu’on préfère parfois le laisser à des personnes externes à l’entreprise. Mais ce qu’il aime dans ce travail c’est que ça lui permet de beaucoup voyager et ça il aime ! Avec l’habitude il a appris à « dépersonnaliser » la chose. Tant mieux pour lui.

Mais un jour la technologie fait irruption dans son métier et un outil nouveau vient révolutionner les pratiques : la visioconférence. Plus simple, plus rapide et surtout moins cher que d’envoyer des consultants à travers le pays avec tous les frais que cela engendre. Lui il voit surtout le fait qu’il va cesser de voyager mais le combat contre la technologie et les gains qu’elle permet est perdu d’avance et il s’incline face à son boss. Il virera à distance.

Mais un jour une de ses collègues gère mal une situation à distance et la personne licenciée finit par se suicider.

Fin de l’expérimentation, fin des visioconférences, Ryan Bingham et ses collègues reprendront l’avion.

Ce que nous apprend la séquence c’est qu‘à distance le message ne passe pas de la même manière et qu’on est moins bien armés pour capter les sentiments des autres mais également moins outillés pour désamorcer une situation, faire en sorte que malgré la situation la personne ne s’effondre pas.

Pour la petite histoire la collègue en question, traumatisée, démissionnera sur le champ par SMS, ce qui fera dire à son boss que les jeunes générations manquent de savoir vivre.

Les salariés qui restent finissent par oublier ceux qui sont partis…

Sans envisager des cas aussi extrêmes il est des manières de faire qui sont mal appropriées à des situations critiques.

Et puis il y a ceux qui restent. Eux, me direz vous, ils ne posent pas de problème vu qu’ils gardent leur job. Et bien pas forcément.

Beaucoup peuvent ressentir ce qu’on appelle le « syndrôme du survivant » et culpabiliser du fait qu’il gardent leur emploi. Pour l’entreprise la situation est souvent difficile dans de tels moments et, malgré le drame humain que constitue un licenciement massif, il faut s’assurer que ceux qui restent sont pleinement engagés. Et suivant la manière dont on s’y prend ils le seront beaucoup moins.

Je me souviendrai aussi toujours de ce que m’avait dit un de mes premiers managers quand j’ai débuté à propos de telles situations (oui…junior dans le conseil en RH cela signifie souvent commencer par des PSE, surtout quand l’économie va mal, et pas s’occuper de projets stratégiques). Il m’avait dit que ceux qui restaient finiraient toujours par oublier, avec le temps, ceux qui étaient partis. C’est triste mais c’est comme ça. Par contre il a ajouté qu’ils n’oublieraient jamais la manière dont ils seraient partis. Mal gérer une telle séquence peut être désastreux pour l’image que les « survivants » ont de leur entreprise, pour leur engagement, leur motivation, leur envie de bien faire leur travail, de respecter les règles etc.

On se sauve pas une entreprise quand les salariés qui restent n’ont plus envie de se battre pour elle.

Dans quelques semaines ou quelques mois il y a de fortes chances que dans beaucoup d’entreprises certaines personnes aient à prendre des décisions difficiles, que d’autres aient à les annoncer et les assumer. Et cela concernera peut être même des salariés en télétravail prolongé que l’on a pas ou peu vu depuis des mois et à qui on sera tenté d’annoncer la nouvelle par les nouveaux outils qui sont sortis renforcés du télétravail. Maintenant qu’on a soit disant réussi sa transformation digitale grâce à COVID Consulting autant assumer jusqu’au bout non ?

Alors avant d’inviter un, dix, cent ou mille salariés à une visiconférence,pensez y.

Photo : employé licencié de VGstockstudio via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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