Pourquoi RH et managers auraient du regarder Bayern-PSG

Ce fut un été de vaches maigres pour les amateurs de sport mais au moins la Ligue des Champions de football a pu aller à son terme. Même sans être spécialement amateur ni supporter, j’ai tout de même remarqué quelques détails dans l’histoire de ce match qui devraient donner matière à réflexion aux RH et managers.

Un jeune talent est un talent confirmé en devenir

L’histoire retiendra donc que le Bayern a battu le PSG sur un but de Kingsley Coman qui a la particularité d’avoir été formé…au PSG. Ca n’est pas un fait nouveau : nombreux sont les exemples de clubs qui n’ont pas pu ou voulu garder leurs jeunes talents formés à la maison et qui un jour les ont vu briller sous un autre maillot. Et parfois même contre eux.

Ca n’est pas nouveau au PSG qui a un mal fou à garder les jeunes joueurs qu’il forme. Et il en forme beaucoup et de très bons qui ensuite s’en vont briller ailleurs sans qu’il en ait vraiment profité sportivement ou financièrement.

Mais pourquoi donc un jeune joueur quitte donc le club qui l’a formé, surtout quand celui-ci est au sommet de la hiérarchie ? Quitter un petit club pour aller dans un plus prestigieux on comprend, quitter un club qui est dans le top 8 européen cela pose des questions.

Souvent cela arrive car le joueur pense que l’horizon est bouché. Trop de stars et de joueurs confirmés devant lui. Il pense qu’il n’aura jamais sa chance et préfère aller là où il pense avoir du temps de jeu. Parfois à tort, parfois à raison.

Cela arrive également, mais les deux sont souvent liés, parce que le club a une politique de « stars ». Pour la reconnaissance, pour le marketing, il faut des « noms ». Donc peu importe qu’on ait sous la main les jeunes qui dans 2 ou 3 ans auront le niveau pour prendre la place des « vieux », on joue la carte des joueurs reconnus et on prête finalement peu d’importance aux jeunes qu’on a pourtant sous la main. On n’essaie même pas de les retenir.

Et puis ça n’est pas grave. On ne perd pas beaucoup à laisser partir un jeune. Il a couté cher à former mais il n’est pas payé cher donc on ne perd rien sur la valeur de l’effectif. Si par contre on ne valorise pas un joueur acheté 50 millions et qui touche 1 million par mois sa valeur va baisser donc celle de l’effectif. Et la valeur marketing du club aussi. Donc on perd moins à laisser partir un jeune prometteur qu’à mettre sur le banc ou brader un vieux confirmé quand bien même son niveau réel poserait question ou s’il commençait à décliner.

Tout le monde trouve cela normal jusqu’au jour où un de ces jeunes ruine vos espérances un beau soir d’été.

C’est un peu pareil en entreprise. On a des tonnes de stagiaires mais les traite-t-on comme des salariés à part entière ? Font ils l’objet de la même attention ? Ont ils le même onboarding ? Le même offboarding ? Sont ils invités aux événements de l’entreprise ? Autant de signes qui feront qu’à l’issue de leur stage, même si vous voulez les garder ils préféreront aller voir ailleurs.

D’ailleurs à propos de décider de les garder où non combien de temps prend on à étudier leur cas ? Pas grand chose car il est plus important de passer du temps à se demander comment « rentabiliser » en le mettant à la bonne place un collaborateur confirmé ou un manager expérimenté car ils coutent plus cher. De la même manière qu’en matière de prise de décision règle la règle du HiPPO (Highest Paid Person Opinion) qui dit qu’à la fin c’est l’avis de la personne la mieux payée qui l’emporte, ici quand une personne ne coûte pas cher on peut se permettre de la « gâcher ».

Bien sur ils sont encore « jeunes ». Mais au moment d’arbitrer entre aller chercher une personne qui a 2/3 ans d’expérience et la débaucher et faire le pari d’un jeune qui peut arriver au même niveau en 2 ans, qu’on a déjà vu à l’oeuvre pendant un an, et qui coutera in fine moins cher (sachant qu’on paie plus cher pour aller recruter dehors que pour promouvoir en interne) on peut parfois se poser la question.

Alors bien sur on ne peut donner sa chance à tout le monde. Il y a des limites au nombre de places à pourvoir, il faut maintenir un équilibre des générations, un équilibre entre les jeunes et les expérimentés.

Mais le fait est que de nombreux Kingsley Coman quittent chaque année les entreprises qui les ont eu en stage sans qu’on ne se préoccupe trop de leur cas, sans même qu’ils aient été inclus dans les revues où l’on discute des carrières et de l’avancement des uns et des autres. Certains seront même remplacés par des jeunes diplomés de niveau équivalent venant d’ailleurs. Simplement parce qu’on n’a pas fait attention à eux. Parce qu’on ne les a jamais considéré comme faisant vraiment partie de l’entreprise, juste une force de travail d’appoint un peu décorative.

Ironiquement un jour un recruteur de l’entreprise passera sur leur profil Linkedin, décidera d’essayer de les débaucher et se rendra compte qu’ils étaient là il y a 3, 5 ans ou plus. Entre temps les prix auront grimpé et le sentiment d’avoir été négligés impactera peut être leur réponse.

Des divas ne valent pas un collectif

Il y a un point qui ne souffrait d’aucune discussion : les deux joueurs les plus talentueux sur la pelouse étaient du côté du PSG. M’Bappé et Neymar pour ne pas les citer. Lewandowski au Bayern ? Un joueur de classe mondiale mais selon les spécialistes il ne peut pas faire la différence seul, contrairement aux deux autres. Il a besoin des autres, de pourvoyeurs de ballons, alors que les deux stars parisiennes peuvent gagner un match à elles seules.

Qu’en est il advenu ? Malgré ses efforts et de nombreuses occasions Lewandowski n’a pas marqué, les stars parisiennes sont passées à côté de leur match (surtout une) et à la fin le Bayern a gagné grâce à un joueur de très haut niveau, soit, mais qui est loin de figurer dans le gotha mondial. Un excellent joueur d’équipe mais pas quelqu’un qui en permanence porter une équipe à bout de bras.

Que des très bons joueurs au Bayern mais aucun hors norme. Mais il a gagné. Et au fil du match, des remplacements, le niveau de l’équipe restait le même. Même malgré les blessés. Paris ne pouvait se permettre de faire sortir ses stars même si elles étaient à côté de leur sujet sur ce match.

Deux joueurs qui surperforment peuvent régulièrement vous sauver la mise mais vous n’avez aucune garantie le jour où ils sont moins bien. Vous ne pouvez pas gagner s’ils passent à côté du match, mais un bon match de leur part ne garantit pas la victoire, parfois ils ont besoin des autres. Un collectif de bons joueurs vous donne davantage de garanties en termes de performance durable.

En entreprise on considère parfois que certains salariés sont indispensables. Parfois à cause de leurs performance, parfois à cause de le compétences rares, parfois en raison de leur connaissance rare du fonctionnement de l’entreprise qui leur permet de régler des problèmes opérationnels ou politiques avec facilité. Mais ils sont indispensables pour de mauvaises raisons. A un moment ils deviennent des goulots d’étranglement et trop de choses dépendent d’eux. Qu’ils partent, soient en vacances, soient malades, n’aient pas le moral ou fassent preuve de mauvaise volonté et c’est tout le collectif qui plonge.

Ces personnes sont peut être des personnes de valeur pour l’entreprise mais elles sont également son principal problème. S’ils ont une bonne mentalité ce sont les aléas de la vie qui peuvent les mettre hors jeu et fragiliser le collectif. S’il ont une mauvaise mentalité ils tiennent l’entreprise à leur merci et en deviennent toxiques.

Quand par leurs compétences, leur performance ou leur savoir des personnes monopolisent les premiers rôles (que ce soit volontairement ou involontairement) en ne laissant pas de place aux autres, les autres ne seront pas en mesure de compenser le jour elles vont défaillir. Pour certains, verrouiller leur « zone » en ne partageant pas leur savoir et se rendant indispensable est aussi une manière de sécuriser leur job sans pour autant être performant.

Quand le fonctionnement d’une équipe repose sur deux personnes et que cela a empêché ou rendu inutile la construction d’un vrai collectif, ce collectif ne sera pas la pour les suppléer en cas de besoin.

Je me rappelle de cette anecdote qui provient, si mes souvenirs sont bons de « The Knowing Doing Gap » de Jeffrey Pfeffer. Dans un magasin on peut avoir un « super vendeur » qui vend beaucoup mieux et plus que ses collègues. A la fin il « capte » tous les clients qui rentrent et, pire, les autres se mettent en retrait et le laissent faire. Il vend beaucoup plus que ses collègues. Est-il un atout ? Non, il est un problème car il ne se met pas au service des autres pour les faire progresser. A la fin l’entreprise gagnerait plus s’il vendait beaucoup moins mais aidait chacun de ses collègues à vendre un peu plus en prenant du temps pour se mettre à leur service et les « coacher ». Il y aura toujours des stars, partout. Reste à savoir si elles s’intègrent dans un collectif ou vivent à sa marge.

Aucun homme n’est plus fort que l’institution

Et alors que tout le monde regardait les acteurs de cette finale, nous devons avoir une pensée pour ceux qui n’y ont pas participé et notamment Lionel Messi, éliminé avec le FC Barcelone.

Que peut on lui reprocher ? Rien. Pendant des années il a tiré son club vers le haut, lui permettant de gagner de nombreux titres. A fortiori depuis quelques années : alors que son club décline progressivement et obtient de moins bons résultats il s’accroche, s’engage et s’investit de plus en plus pour permettre à celui-ci de revenir au sommet. D’ailleurs le « petit Lionel » je le trouvais jusqu’alors un peu effacé et discret hors du terrain, ce qui me le rendait très sympathique. Contrairement à d’autres son terrain d’expression c’était la pelouse et uniquement la pelouse. Mais à partir de ce moment il a fait preuve d’un leadership hors du terrain que je ne lui imaginais pas : il a tout fait pour remettre le club dans la bonne direction, est impliqué de plus en plus dans sa vie, sa stratégie, son recrutement. S’en sont suivies d’inévitables frictions avec sa direction, ses entraineurs voire ses coéquipiers. Mais c’est inévitable quand quelqu’un prend ses responsabilités et les choses en main.

Mais à se croire indispensable, à tout vouloir construire pour lui, autour de lui et en fonction de ce qui le ferait briller le plus (fut-ce sincèrement au service du club) n’est il pas devenu un élément du problème dont il se voyait comme l’unique solution ? Il a provoqué des crises, semé parfois la zizanie, décidé qu’il voulait jouer avec untel et pas avec untel, fait un caprice pour faire revenir son ami Neymar, ostracisé Griezmann.

Bref il est devenu le club. Voire plus. Paradoxal dans un club dont le slogan « Més que un club » a vocation à transcender les contingences locales pour représenter un collectif supérieur, celui d’une ville, d’une région, d’un pays. Et bien au lieu de remettre le collectif, fut il hors football au dessus de l’individu, Messi s’est mis au dessus du collectif.

Aujourd’hui il y a une crise Messi à Barcelone. Celui qui est certainement encore le meilleur joueur du monde a porté le club au plus haut mais par son comportement, en se croyant la solution à tous les problèmes, a fini par en faire un problème. Si le Barça a vaincu c’est grace à Messi, s’il a décliné c’est peut être un peu à cause de lui.

L’entreprise a également ses divas et ses enfants prodigues qui a force de bons résultats réclament de plus en plus de pouvoir, de passe droits et finissent par les obtenir. Parfois de manière officielle, parfois simplement parce qu’on ferme les yeux devant leur coté « bordeline »…et cela dure jusqu’à ce qu’ils échouent, le plus souvent lourdement. Car lorsque les signaux virent à l’orange et qu’il est encore temps de corriger le tir, comme Messi, ils se retranchent derrière leurs certitudes et leur profil de sauveur et vont encore plus loin. Souvent l’issue est fatale et ils entrainent dans leur chute leur entreprise, ses actionnaires, leurs collègues qui paient une forme de mégalomanie de la diva au prix fort.

D’ailleurs regardez le maillot du Bayern de Munich, de dos, il y a un détail qui m’a toujours frappé. Là où tous les clubs inscrivent le nom du joueur en gros au dessus de son numéro, au Bayern c’est le nom du club qu’on voit en haut, au dessus du numéro. Le nom du joueur figure en plus petit, en dessous du numéro.

Quand on parle de collectif, les symboles se cachent dans les détails.

Photo : RH et management inspirés par le sport de oasisamuel via Sutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
28AbonnésS'abonner

Découvrez le livre que nous avons co-écrit avec 7 autres experts avec pleins de retours d'expérience pour aider managers et dirigeants

En version papier
En version numérique

Articles récents