Un site carrière c’est un site e-commerce qui vend des jobs

Si on adopte une logique de cycle de vie du collaborateur, rechercher un emploi et candidater sont une des des premières étapes de l’expérience employé et votre site carrière un des premiers points de contact entre lui et une entreprise donnée.

Suivant son niveau de connaissance de l’entreprise il va s’intéresser à divers sujets qui sont :

  • L’entreprise en général
  • Comment elle est organisée
  • Ce qu’elle va lui apporter en tant qu’individu (RH et développement des talents)
  • Comment cela se passe en tant que collaborateur (le quotidien, l’organisation du travail, les méthodes)
  • Quels employs propose-t-elle ?

Ca n’est pas un un parcours fixe et linéaire. Certains candidats vont regarder certains de ces sujets dans un ordre différent, certains ne regarderont pas tout (si l’entreprise est très connue par exemple).

Et tous ne vont pas commencer leur parcours au même endroit : croire qu’ils partent tous de la home page de votre site et cheminent jusqu’à l’offre est une erreur ! Un moteur de recherche peut les amener directement à l’offre et ils se renseigneront sur le reste ensuite. D’ailleurs à moins que votre marque ne soit très forte ils ne commenceront jamais par votre page mais par l’annonce car ils ne vous connaissent pas ! Et si vous continuez à avoir peu de visites directement par les offres ça n’est pas que votre site est bien fait mais au contraire que le référencement de vos offres est une catastrophe

Alors je me suis mis dans la peau d’un candidat et j’ai été me promener sur des sites carrière d’entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Et voilà ce que j’y ai trouvé le plus souvent.

Un long chemin vers l’offre

Partant de la Home page le chemin vers l’offre est long. Très long. Parfois avec des « embranchements » que je ne comprend d’ailleurs pas : pourquoi me demander si je suis débutant ou expérimenté alors que c’est un simple critère de moteur de recherche qui peut être traité plus tard et ne fait que rajouter un clic inutile à une séquence qui en comporte déjà trop.

Parfois on me demande dès le départ de choisir le métier qui m’intéresse…mais à la fin on me ramène à une page de recherche d’offres générique qui ne prend pas ce critère en compte.

Donc très souvent j’enchaine les clics et les pages en me disant « ça y est on arrive enfin aux offres » et bien non. Un peu comme si on me disait « hey attendez on a encore quelque chose à vous dire avant que vous ne postuliez ».

Trop de messages

En fait on a l’impression que le chemin vers l’offre est un prétexte pour m’exposer au plus grand nombre possible de messages. « Alors voilà qui on est ». « Tu vas bien prendre 2 minutes pour lire nos valeurs ». « Ah on avait oublié de te parler de RSE ». « Tu es sur que tu ne peux pas lire notre politique de développement des talents avant de chercher une offre ». « Oui c’est bon on te présente bientôt les offres mais avant tu dois regarder les vidéos de collaborateurs qui te racontent à quel point c’est super de bosser chez nous ».

Franchement ça donne envie de décrocher et d’aller voir ailleurs

Imaginez deux secondes un client à qui vous diriez : « tu as le droit d’acheter nos produits mais avant tu dois regarder 5 spots publicitaires ». A côté de la plaque ? Oui totalement.

On a l’impression que les communicants RH ont tellement peu l’occasion de parler aux candidats qu’ils se disent « là on les tient, on va leur en faire avaler un maximum ».

De plus je suis face à une communication très institutionnelle. J’ai l’impression qu’on essaie à tout prix de caser des messages très corporate mais pas de répondre à mes questions. Le ton des messages le confirme : là où le marketing produit est sorti depuis peu de l’ère de la « réclame » il semble bien que le marketing RH (ou plutôt la communication RH…car c’est justement une approche marketing qui manque) soit aux mains d’anciens de l’ORTF.

Allo, les personas ?

Je me dis que pour une entreprise qui recrute des métiers artisanaux aux cadres de haut niveau, de la main d’œuvre saisonnière au CDI, du stagiaire au profil expérimenté pour travailler aussi bien dans un réseau de distributeurs qu’au siège, tout cela me semble trop monolithique.

Quel que soit le métier, le profil de poste, le niveau de qualification on suit le même parcours et on nous raconte la même chose et sur le même ton. A parler à tout le monde de la même manière j’ai peur qu’on ne finisse par ne parler à personne.

Des messages pas différenciants

Trop d’information tue l’information et là on est au bord de l’écoeurement. Pire : peu importe le secteur d’activité j’ai l’impression de toujours lire la même chose. J’ai bien compris que tout le monde était, aujourd’hui, innovant, socialement responsable, soucieux du développement des collaborateurs, engagé… Mais je serais curieux de demander à des collaborateurs pris au hasard comment cela se manifeste concrètement.

Toutes les entreprises veulent afficher leurs différences dans leur marque employeur, ou en tout cas c’est ce qu’elles disent. Mais quant tout le monde est différent de la même manière tout le monde est pareil.

Le labyrinthe des offres d’emploi

J’arrive enfin au moteur de recherche. Bon là il faut sortir de Polytechnique. Ergonomie souvent discutable. Et comment voulez vous que je connaisse les noms de toutes vos BU internes pour cibler ma recherche ? A se demander si parfois quelqu’un se dit que la personne qui postule, par définition, ne connait pas tous les codes internes à l’entreprise. Bref le ciblage de la recherche confine parfois au parcours du combattant. On fait des moteurs de recherches pour des gens externes à l’entreprise qui sont conçus pour des personnes internes qui connaissent toutes les subtilités de l’organisation.

Pour rechercher une offre on me demande de rentrer dans « cases organisationnelles » que par définition je ne connais pas. Par contre partir de moi, de mon métier, de mes compétences pour me proposer des choses auxquelles je n’aurais pas pensé, personne n’y pense.

La communication RH parle plus d’elle qu’elle ne parle du candidat ou au candidat voire ne l’écoute et c’est un problème. Le candidat achète un projet professionnel, pas un nombril que les communicants regardent un peu trop.

Une intégration bâclée du SIRH

C’est bon. J’ai à peu près réussi à cibler ma requête. Et là on me propose une liste de jobs longue comme le bras. D’ailleurs proposer est un bien grand mot : je dirai plutôt qu’on me les crache à la figure. Aucun effort de mise en forme, on se croirait sur un ERP des années 80. On s’y perd et ça ne donne pas envie de cliquer mais bon, puisque j’ai fait l’effort d’en arriver là je ne vais abandonner si proche du but.

La diarrhée verbale continue

Allez, je clique sur une offre. Présentation de l’entreprise que j’ai déjà lu 10 fois, en fait on me fait un best of de ce que j’ai déjà enduré quelques minutes auparavant. L’offre en tant que telle représente 25% du texte au maximum. Que de contorsions pour dire des choses simples. A ce stade mon esprit commence à être embrouillé. J’ai trop lu, on m’a balancé tellement de messages que j’ai du ingurgiter contraint et forcé que décrypter l’offre et en extraire la substantifique moëlle derrière le marketing RH devient pénible.

Navigation aux abonnés absents

Allez je fais « retour » pour retourner à la liste. Pas de chance il y a encore des sites où mes critères de recherche ne sont pas conservés donc je dois refaire une recherche pour accéder à la liste d’offres. Ou alors les critères ont été conservés mais pas la page sur laquelle j’étais. Etais-je sur la page 2 ou 3 des résultats de la recherche ? On me ramène à la première.

Bon je finis par trouver l’offre de mes rêves.

Heureusement que je ne suis pas arrivé directement sur l’offre

Avant de soumettre ma candidature je prends 5 minutes pour réfléchir et je me dis que la longue et laborieuse navigation qui m’a mené ici n’a pas été si inutile que cela. Si jamais j’étais arrivé ici directement par un moteur de recherche ou parce qu’on m’avait donné un lien je serais bien en peine de me faire une idée sur l’entreprise.

En effet si on peut se plaindre du trop gros volume d’information et du nombre de clics qui mènent à l’offre, si on arrive directement sur celle-ci on manque subitement d’informations essentielles . Il n’est pas forcément évident de les retrouver sauf à se lancer dans une longue navigation à travers le site et cette fois si sans parcours organisé et sans que tout soit forcément facile à trouver si on part de l’annonce sans qu’existe donc un historique de navigation dans le navigateur.

En fait tout est pensé pour partir de la home page, se renseigner sur l’entreprise et enfin avoir les offres. Si on arrive par l’offre, faire le chemin inverse est impossible.

Pire encore, j’ai vu des cas où des sites carrières avaient séparé le « contenu » et les offres, l’une sur le site de l’entreprise, l’autre dans un site dédié couplé à l’ATS (Applicant Tracking System). Merci l’expérience quand on essaie de remonter la rivière à contre courant.

C’est là que j’aimerais retrouver rapidement un ou deux témoignages de collaborateurs (idéalement faisant ce métier ou un métier similaire car la vidéo d’un RH ou marketeur quand on est dans la production on s’en moque un peu…) et des liens rapides vers des questions basiques que je peux me poser à ce stade. Et si cette offre me plait ou « presque », peut être me suggérer des offres similaires ?

Le calvaire de la candidature

Bon j’ai trouvé l’offre parfaite, essayons donc de postuler.

C’est inoui le nombre de champs de saisie face auxquels on peut parfois se retrouver. Je me demande parfois à quoi toutes ces informations servent. Et surtout ces informations sont presque toujours disponibles sur le CV qu’on me demande de joindre.

Quelques remarques en vrac :

Pourquoi ajouter un CV alors qu’on peut mettre un lien vers un profil linkedin ?

• Pourquoi limiter la taille des pièces jointes à ce point ? Si vous recrutez un designer ou certaines autres professions, le candidat aura souvent un « book » lourd à partager.

L’expérience mobile est en général bien réussie sur la partie « contenus », pas quand on bascule sur le moteur de recherche ou les offres. Et que dire du formulaire de candidature. Si on part du principe que le mobile devient de plus en plus la norme il faut arrêter de penser que le candidat est devant son ordinateur de bureau lorsqu’il candidate. Il n’aura probablement pas de CV sur son téléphone mais peut par contre se connecter avec son profil Linkedin. Quant à la lettre de motivation si vous pensez qu’on peut candidater sur mobile cessez d’en demander une. En dehors du fait que l’exercice soit rarement pertinent il est certain que personne ne va taper une lettre sur son mobile et que vous n’aurez au mieux qu’une lettre générique. Je crois peu au candidat qui va bookmarker l’offre pour y répondre une fois de retour chez lui…

Après la visite sur un site carrière…

Je suis venu, je me suis renseigné, j’ai candidaté ou pas (peu importe la raison). Et ensuite ? Parfois rien (à part si je candidate mais je n’ai pas poussé le vice à tester la réactivité du process de recrutement et le fait qu’on ait des réponses ou pas).

Parfois, même si je ne postule pas, on me propose de rester en contact et de donner mon email. Mais à quelles fins ? Et pourquoi ? Peut etre que l’entreprise me plait mais que je n’ai pas trouvé la bonne offre. Peut être que je suis venu par curiosité sans être vraiment en recherche. Peut être que je suis urgemment en recherche d’un emploi.

Va-t-on me parler de la même manière dans tous ces cas ? Avec la même communication dans les mêmes emailings ? Au même rythme ? Je pense que oui alors qu‘il est possible d’être beaucoup plus pertinent. Selon son contexte le candidat aura des attentes différentes en termes d’information et ne supportera pas la même « pression » marketing. (Regardez donc cette interview que j’ai faite a propos de la solution de CRM Candidat Candidate.id)

Votre site carrière est un site e-commerce qui vend des jobs !

Faire des constats c’est bien mais si on ne revient pas aux causes profondes cela ne sert à rien. Je rentrerai dans les détails dans un article à venir mais pour dire les choses de manière concise j’ai l’impression qu’il manque une prise de conscience de ce qu’est un site carrière en 2020. Ou si cette prise de conscience existe on en n’a pas tiré les conséquences ou alors en se faisant conseiller par les mauvaises personnes.

Un site carrière est un site e-commerce qui vend des jobs. Si vous vous demandez exactement ce que cela veut dire allez au bout du couloir parler à ceux qui s’occupent du e-commerce dans votre entreprise. Mais pour aller à l’essentiel :

Votre but est de convertir (avoir des candidatures), pas de communiquer. La communication aide parfois, si elle est bien faite, à avoir les « bonnes » candidatures mais elle doit être orientée vers l’objectif et pas auto-centrée (on a bien récité notre discours, la mission est accomplie). Le candidat veut des réponses à ses questions, trop de sites carrières essaient juste de faire passer en force le message de l’entreprise. Cela me rappelle ce bon vieux sketch de Thierry Le Leron : « ceci n’est pas ma question. Oui mais c’est ma réponse ».

• On perd un client au bout de 3 clics. Pareil pour un candidat.

La fiche produit (l’offre) doit être auto-suffisante sans naviguer davantage.

Ceux qui communiquent (communication/marketing) doivent collaborer avec ceux qui vendent (les recruteurs) et ils sont à leur service. La communicatio n’est pas un îlot institutionnel coupé de la réalité.

L’expérience mobile, surtout pour le « check-out » (la candidature) est primordiale.

• Plus vous demandez d’informations, plus le check-out est lourd, moins de personnes vont au bout. Est-ce un critère pertinent pour identifier un candidat motivé ? Je ne le pense pas.

• Travailler le référencement (SEO) de la partie contenu c’est bien mais a priori ceux qui vous connaissent viendront naturellement voir vos offres. Ce que vous cherchez c’est des candidats pour vos offres sans qu’ils aient pensé à votre entreprise, sans parfois qu’ils la connaissent, sans qu’ils sachent qu’elle offre de telles opportunités donc elles doivent être pensées comme des home pages en tant que telles, référencement inclus.

Trop d’entreprises pensent que leur renommée suffit à attirer les candidats et les bons. Que partant de là elles n’ont pas à convaincre mais à faire leur autopromotion. Que tous les candidats se ressemblent, avec les mêmes attentes. Que vu que c’est un job qui est en jeu peu importe la qualité de l’expérience candidat, peu importe que le process soit long, inapproprié et laborieux les candidats seront prêts à tout endurer pour déposer un CV.

Il n’est de meilleure manière de facilement illustrer le sujet de la consumérisation de l’entreprise et de l’expérience candidat. On ne peut à la fois déployer une énergie et des moyens hors du commun pour vendre des produits à des clients et faire du parcours candidat un calvaire surtout que parfois c’est l’expérience client qui engage et motive suffisamment une personne pour considérer une marque comme employeur.

Et, contrairement à ce qu’on a pu me répondre, aller au bout d’un parcours candidat en ligne compliqué et laborieux n’est pas la garantie de sélectionner des candidats sur leur motivation. Vous aurez juste les plus désespérés.

Photo : site carrière de  Kaspars Grinvalds via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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