Très souvent je vois la question de l’expérience employé traitée en même temps que celle de la marque employeur. D’un côté ça n’est que logique car si la manière dont un collaborateur vit son travail ne faisait pas partie de la marque employeur on pourrait se poser des questions sur la pertinence ce celle-ci.
Mais d’un autre côté c’est inquiétant dans la mesure où parlant de marque employeur on parle surtout de communication. D’aucuns diraient que dans cette optique l’expérience employé n’est qu’un boniment au service de vendeurs qui de toute manière n’ont aucun pouvoir sur le produit qu’ils vendent. Pire encore : ce ne sera pas à eux d’assumer les conséquences d’assumer le côté déceptif d’un produit survendu mais à des RH et surtout des managers qui sont les premiers à trouver normal d’un peu embellir les choses mais ont compris qu’ils n’avaient rien à gagne à pousser le bouchon trop loin sauf à aimer voir des gens partir en pleine période d’essai ou gérer la déception voire la frustration de leurs équipes dans la durée.
Le marketing RH est un marketing comme un autre
Le marketing RH est un marketing comme un autre. Il y a celui qui vend et celui qui fait face à la déception du client et ça ne sont pas les mêmes personnes. Les uns amènent des candidats/clients à coup de promesses et les autres essaient de les tenir. Quand c’est possible.
En matière de recrutement il y a tout de même une différence : le manager, pris entre deux feux. D’un côté il a un besoin de recruter mais d’un autre il sait que s’il tombe dans la surpromesse cela va se retourner contre lui.
Je discutais l’autre jour avec quelqu’un qui va prochainement changer de job, comme quoi même en ces temps difficiles le marché n’est pas totalement à l’arrêt.
ll me disait avoir postulé après avoir vu le site carrière de l’entreprise. Comme souvent la promesse était un peu trop belle pour être vraie mais comme il s’agit un profil expérimenté il a su faire la part des choses, ne pas prendre les mots pour argent comptant et ne pas exagérer ses propres attentes en attendant de parler à des êtres humains.
Premier contact avec un recruteur. Tout va bien d’un point de vue valeurs/compétences. Et on lui « vend » peu ou prou ce qu’il a pu lire sur le site. Mais déjà il détecte que les réponses à certaines de ses questions un peu trop précises sont un peu vagues et génées.
Deux entretiens plus tard il se retrouve devant celui qui sera son futur manager. Viennent des questions relatives à l’expérience employé. Pas seulement le cadre de travail, les avantages divers, la (forcément bonne) ambiance qui règne dans l’entreprise mais l’organisation des équipes, management agile ou pas, comment on collabore, quels outils, l’entreprise est elle malade de réunionite etc.
Avec 20 ans d’expérience professionnelle il accordait autant d’importance à son contexte de travail, à la manière dont le travail se passait que ce qu’il y a avait autour de son travail. Il savait de quoi dépendrait sa performance et préférait savoir où il mettait les pieds.
Le manager a été clair. « On progresse mais on est encore loin du compte. On va vers un management agile à reculons, niveau outils collaboratifs on les a mais on collabore mal, on a encore un côté bureaucratique qui nous ralentit. Je préfère être honnête avec vous car si vous nous rejoignez il faut qu’on travaille en confiance ».
Le candidat a pesé le pour et le contre et a accepté l’offre. Pourquoi ? Parce que le manager a été honnête, le job l’intéressait vraiment et même si tout était loin d’être parfait il y a avait tout de même une trajectoire qui laissait espérer pour l’avenir.
Mais il a ajouté « s’il ne m’avait pas dit la vérité, que j’ai choisi de les rejoindre et que je me sois rendu compte de l’écart entre la promesse et la réalité par moi même je pense que je serais parti en plein milieu de période d’essai. »
Je pense de mon côté que si les RH savaient ce que le manager avait dit pendant l’entretien il se serait fait taper sur les doigts.
Votre marque employeur ne vous appartient plus
Aujourd’hui le concept de marque est avalé par celui d’expérience. Une marque n’est plus ce qu’elle dit être mais ce que les clients vivent à son contact. Avant l’achat, pendant l’achat, pendant l’utilisation du produit ou du service et lors des échanges avec le service client.
Pour une marque employeur c’est exactement pareil. Plus personne ne donne aucun crédit aux discours lénifiants de la com’RH. Cela choque certains communicants à qui je dis cela mais quand je leur demande s’ils font confiance à une pub télé pour connaitre les qualités d’un produit ils baissent les yeux.
Ce à quoi les candidats font confiance c’est ce que disent ceux qui travaillent chez vous. On peut dire que dans un monde devenu digital et social c’est la nouvelle norme mais ne tombons pas dans ce genre de raccourcis hâtifs. Cela a toujours été le cas, la seule chose qui change c’est qu’avec des plateformes comme Glassdoor (encore que je doute de son réel impact sur certains marchés comme la France par exemple) et des réseaux professionnels comme Linkedin voire d’autres plus personnels cela change d’échelle. On a toujours parlé de son travail à ses amis, à sa famille. On a toujours un avis sur les business qui sont nos clients à force de les côtoyer, on trouve que c’est sympa ou non d’y travailler et forcément on partage notre avis autour de nous. Parfois on connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un pour lui demander information ou alors une personne à qui on parlait parlait autour d’elle. Aujourd’hui ces discussions qui se passaient lors d’un repas professionnel, familial ou amical, dans un bar ou une discussion informelle ont changé d’échelle et vont plus loin et plus vite. Bref la prise de parole individuelle et l’effet réseau quant à une entreprise n’ont rien de nouveau et existaient avant le digital. Aujourd’hui ce qui change c’est que cela porte beaucoup plus.
Cela pose la question de savoir ce que les gens racontent sur leur expérience au travail. Sans surprise ils ne parlent de pas la promesse, ou alors c’est secondaire.
Ils parlent de ce qu’ils vivent vraiment et encore, ça n’est pas vraiment exact. Ce dont ils parlent c’est de la différence entre la promesse et le vécu et c’est tout autre chose. L’expérience vécue peut être moyenne, ca n’est pas ou peu grave si la promesse l’est également, c’est une catastrophe si elle est élevée.
Quand on vole sur une compagnie qui fait une promesse low cost et qu’on a un service low cost on ne se plaint pas. Quand on vole sur une compagnie qui a une promesse premium et qu’on a une prestation low cost, là on se plaint.
Ca n’est pas donc qu’une question de vécu ou de promesse mais d’adéquation entre les deux.
On juge une entreprise sur le travail, pas sur les à cotés
On peut aussi s’intéresser aux sujets que les collaborateurs prennent en compte pour évaluer leur expérience.
Les collègues sont sympas ? On a de beaux bureaux ? On a pleins d’avantages ? Une politique RH généreuse ? On est bien payés ? Oui bien sur cela compte et cela compte d’autant plus que le collaborateur vient d’arriver et n’a pas été confronté à de nombreuses situations de travail, de production.
Mais dans la durée le jugement se fait sur la capacité d’une entreprise a donner à ses collaborateurs les moyens de réussir. C’est logique, ils seront jugés sur leur performance, alors une entreprise qui leur accroche un boulet à la cheville non seulement ça leur fait mal (friction) mais en plus ça les met en danger (performance) et crée une forme de frustration due au fait que ceux qui les évaluent sont ceux là même qui les empêchent de réussir (engagement, confiance).
Une fois qu’on en a fini avec l’emballage on s’intéresse au contenu du paquet qui correspond d’ailleurs à 95% des interactions qu’on a avec l’entreprise. Les discours sur l’ambiance et la bonne ambiance sont remplacés sur ceux sur la complication, la lenteur, le manque de culture digitale, la culture bureaucratique, les outils préhistoriques, le déficit dans telles ou telles compétences, les problèmes pour collaborer avec des collègues ou d’autres départements.
Autrement dit une entreprise peut être « sympa », « cool », offrir de bonnes conditions salariales, à un moment ce qu’y voit le collaborateur c’est sa capacité à tenir sa promesse face aux clients et aider ses collaborateurs à la tenir, à exploiter leur potentiel au maximum.
On peut être attiré par une entreprise et s’y plaire au début parce quelle est « sympa » mais on la quitte car son fonctionnement est pesant et les points de frictions nombreux. Quand quelqu’un me parle de son entreprise j’entend très peu de choses sur les conditions de travail, beaucoup sur le travail lui même.
De la promesse à la marque employeur
Donc si on récapitule vous avez
1°) La promesse explicite ou implicite de l’entreprise
2°) Ce que le collaborateur vit au travail et en travaillant (ce qui n’est pas pareil)
3°) La différence entre les deux qui conditionne ce qu’ils diffuseront et partageront.
Aujourd’hui la communication ne se substitue plus à l’exécution. Une marque n’est que ce qu’elle fait vivre à ses clients et ses collaborateurs, une expérience au sens large.
Sans travail sur l’expérience employé une entreprise n’est qu' »une boite qui offre des jobs« . Alimentaire. Sans engagement. On la choisit faute de mieux, on fait son travail mais pas plus, et on la quitte dès qu’on peut.
Et sans cohérence entre la communication, la promesse, et l’expérience vécue, une entreprise n’est qu’une machine à décevoir.
Photo : marque employeur de Artur Szczybylo via Shutterstock