Que penser du rachat de Slack par Salesforce ?

Cela fait longtemps qu’on n’avait pas eu une annonce majeure dans le petit monde de la Digital Workplace et bien nous voilà servis : Salesforce vient de mettre la main sur Slack pour la modique somme de 27,7 milliards de dollars.

Depuis les projections sur les potentielles synergies entre les deux vont bon train ainsi que sur l’avenir du produit Slack. Essayons d’y voir un peu plus clair.

A propos de Slack

Slack est un éditeur de solution de travail collaboratif qui, pour faire simple, a trouvé le bon milieu entre le réseau social d’entreprise et la messagerie, le tout dopé par des capacités d’intégration avec à peu près tous les outils qu’on peut trouver en entreprise.

Slack est très populaire dans les entreprises de la tech et les populations techniques, beaucoup moins chez l’utilisateur lambda et les grandes entreprises où il rentre le plus souvent sous le radar ou de manière isolée au niveau d’une équipe et d’un département.

Slack ne communique plus sur son nombre d’utilisateurs depuis 2019 (12M).

A propos de Salesforce

Salesforce est un des leaders si ça n’est le leader dans le domaine de gestion de la relation client (CRM). Il est le pure player qui avec un modèle 100% Saas a relegué les leaders du moment (SAP, Siebel (Oracle)) au rang d’antiquités et a servi d’exemple à toute une nouvelle vague de logiciels d’entreprise. Mais force est de reconnaitre qu’en dehors de Salesforce et Workday (SIRH) aucun ne s’est fait une place au soleil durablement aux côtés des « usual suspects » que sont SAP, Oracle, Microsoft ou encore IBM.

Salesforce s’est également essayé au collaboratif avec Chatter ou Work.com mais sans grand succès.

Qu’achète Salesforce ?

Salesforce s’achète ce qui est le seul acteur « achetable » dans le domaine de la collaboration d’entreprise (par achetable j’entend avec un produit éprouvé, scalable, une base d’utilisateurs et qui n’appartient pas à un autre mastodonte).

Le collaboratif n’est pas un domaine nouveau pour Salesforce mais malgré de belles promesses il n’y a jamais réussi. Aujourd’hui avec la transformation du travail liée à la pandémie il s’agit d’un secteur en pleine croissance dont un acteur tel que Salesforce ne peut être absent et si les solutions internes n’ont pas perçé il n’est pas illogique de s’appuyer sur un spécialiste à la réussite avérée.

Mais il n’y a pas que ça et pour le comprendre il faut revenir une dizaine d’années en arrière.

A cette époque le sujet n’est pas tant la messagerie que les réseaux sociaux d’entreprise même si le futur a montré que ce qui fonctionnait était une hybridation des deux. On était en plein débat sur la question du ROI des réseaux sociaux et (j’étais aux premières loges à l’époque en travaillant pour un acteur du secteur) le modèle dans lequel on avait d’un coté des espaces conversationnels et de l’autre des outils métiers ne fonctionnait pas. Sans vouloir revenir sur le sujet je me souviens à l’époque avoir écrit une tonne d’articles sur la nécessité de coupler ce qu’on appelait le « social » aux outils business. La logique était simple : les outils métiers contiennent de la donnée sur la base de laquelle on prend des décisions et ces décisions sont plus rapides et de meilleure qualité grâce aux conversations générées dans les outils conversationnels en mobilisant parties prenantes et experts. Il fallait donc lier le conversationnel a un « objet business ». Aussi évident que cela puisse sembler on faisait face à deux mondes qui pensaient détenir la vérité et ne voulaient pas se parler.

Puis vint Salesforce Chatter, un dispositif conversationnel imbriqué dans le CRM de Salesforce mais également disponible en standalone avec la promesse de pouvoir créer une dynamique conversationnelle autour de n’importe quel processus métier. Et vu que le monde des réseaux sociaux d’entreprise de l’époque n’avait pas envie d’aller voir celui des processus autant faire le chemin dans l’autre sens. Je n’étais pas fan du fait de voir naitre des plateformes collaboratives dispersées, une par application métier, mais si on était pas capable de ramener de l’information métier actionnable dans un réseau social global autant choisir la moins mauvaise des approches. Donc pour moi Chatter signifiait la mort des réseaux sociaux en Standalone. Sujet sur lequel je me suis trompé…ou plutôt sur lequel j’ai été plus vite que la maturité du marché.

Puis on a vu Tibbr, de Tibco, avec cette promesse également de marier processus métier et conversationnel. N’oublions pas IBM Connections et son « embedded expérience » qui permettait de ramener des l’information d’outils métier dans le réseau social et de la rendre actionnable avec l’idée de ramener du contexte métier dans la collaboration et de ne pas avoir à jongler avec les outils. En matière de gestion de projet collaborative j’avais également eu un coup de cœur pour ProjExec de Trilog. Tout cela participait de la même logique.

Et rien de tout cela n’a fonctionné. Les raisons sont multiples. Des outils inaboutis. Des intégrations trop compliquées (et chères) à mettre en place. Un manque de valeur perçue ou pas le courage d’engager les moyens nécessaires pour prouver que cela fonctionne. Une multiplication des canaux conversationnels et collaboratifs (mail, messagerie, vidéo, audio, réseaux sociaux…) qui constituaient autant de silos qui nuisaient à la fluidité de la collaboration. Un manque de maturité du marché. Aucun sentiment d’urgence.

Chatter est un échec. Peu utilisé au sein des solutions Salesforce, encore moins en dehors. Que sont devenus les acteurs stars du marché des réseaux sociaux : Jive et Tibbr survivent sur des micro niches, IBM a (dans le cadre d’une stratégie plus globale) revendu Connections à HCL, blueKiwi est mort, Yammer agonise, quoi qu’on en dise, dans l’ombre de Teams. La seule bonne nouvelle est que la disparition de Sharepoint du marché du collaboratif n’est pas tant un échec qu’un repositionnement logique maintenant que le portfolio de Microsoft est assez riche pour ne plus avoir à nous faire croire que Sharepoint peut et sait tout faire, notammment du réseau social d’entreprise.

Pendant qu’une vague se brisait une autre naissait et le premier à la surfer a été Slack. Ni réseau social ni messagerie mais un peu des deux à la fois, utile en standalone mais brillant par sa capacité à s’intégrer avec les outils que les gens utilisent vraiment pour travailler. Un succès rapide et indéniable auprès d’une certaine population et de certains types d’entreprise et une empreinte globale qu’on ne peut négliger. L’incarnation de l’environnement collaboratif léger, versatile, connecté et multi-usages. Puis il y a eu Teams. Slack en mieux avec toute la puissance de feu de Microsoft et la vidéo.

Slack c’est un peu ce que Chatter aurait du ou pu être s’il avait été conçu quelques années plus tard à l’aune des enseignements d’un marché qui se transformait. Salesforce a eu raison trop tôt et n’a que peu fait évoluer son produit qui était un « nice to have » à l’époque pour l’éditeur et, maintenant qu’il devient un « must have » a fait le choix logique de s’acheter quelque chose qui fonctionne plutôt que reprendre le développement de zéro.

Voilà ce qu’achète Salesforce : dans un monde où la collaboration distancielle explose, une solution versatile et ouverte de collaboration capable d’accélérer le travail au sein des clients de ses solutions, rendre leurs organisations plus agiles et lui permettre de prendre pied sur un marché à la fois historique et porteur. Et, pour être honnête, la seule solution de ce genre à part…Teams. Pas seulement un produit à succès sur un marché nouveau mais également le moyen de sérieusement remettre à jour une solution maison qui a pris un sérieux coup de vieux sans jamais avoir décollé.

Salesforce s’achète également la capacité pour ses clients « multicloud » (Sales cloud, marketing cloud, commerce cloud…) de faciliter la collaboration entre les utilisateurs de chacun afin de mieux suivre le cycle de vie du client. Quand les outils se parlent peu (à part sur des slides) le plus efficace est en effet de faire se parler les humain.

Salesforce s’achète aussi un écosystème, étant donné qu’aujourd’hui Slack s’intègre avec plus de 2400 applications d’entreprise.

Salesforce s’achète enfin (pêché d’orgueil ?) la capacité à aller concurrencer sur ses terres un géant du secteur à qui il n’avait pas grand chose à opposer pour le moment : Microsoft.

Quel avenir pour le produit Slack ?

Je ne pense pas qu’il faille s’attendre à une révolution chez Slack. Tout laisse à penser que Salesforce l’exploitera de deux manières : toujours en Standalone et intégré dans ses propres produits en remplacement de Chatter. Dans cette optique c’est davantage Chatter qui va subir un grand lifting, euphémisme pour dire qu’il risque fort de disparaitre.

Quelles opportunités en termes de business ?

Salesforce va ainsi doper sa proposition de valeur à l’égard de ses clients existants et pouvoir s’attaquer de plus à des marchés nouveaux tout en bénéficiant d’une base installée. On regardera avec attention le potentiel de cross-sell :

  • Vendre du slack aux clients Salesforce (Slack remplacerait Chatter au sein des solutions Salesforce mais il existerait une version « premium » pour les clients désirant l’utiliser au delà de Salesforce)
  • Vendre du Salesforce aux clients slack

L’intégration de Slack dans Salesforce (le produit, pas les équipes) ne sera fera pas en un jour donc dans un premier temps on peut s’attendre à voir Salesforce pousser au maximum Slack « Standalone » qui est commercialisable tel quel. Et voir Salesforce créer une nouvelle offre, un « collaboration cloud » ? C’est plus que probable. Si ça n’était pas le cas cela voudrait dire que Salesforce renonce à une partie de la valeur « marché » du produit et, à terme, aux clients existants. Je n’y crois guère.

Ce qui peut prêter à question est le maintien de la version gratuite de Slack. Le gratuit ne fait pas partie de la culture de Salesforce ni d’aucun grand éditeur, par contre il est clé dans la réussite de Slack. C’est en rentrant « gratuitement » dans les entreprises et en créant des besoins nouveaux qu’il génère des souscriptions payantes.

Jusque là le mariage est séduisant non ? Regardons maintenant le revers de la médaille

Salesforce, sa culture, et le marché de l’enterprise Software

Déjà comme dans tout rachat va se poser la question de l’intégration, pas celle du produit cette fois mais celle des équipes. Slack est encore une jeune entreprise (créée en 2013) et comme toute startup elle a une culture très forte. Il est facile de créer des mythes sur les cultures d’entreprise et je prend toujours les discours à ce sujet avec des pincettes mais Slack a développé une culture très « employee centric ». Exigeante, soit, car on n’arrive pas là où ils sont arrivés en jouant les bisounours mais « people centric ».

Salesforce a également une culture forte et ça n’est pas trahir un secret que de dire qu‘elle est plus « result centric » que people centric. Une entreprise épanouissante pour les amateurs de challenges et de « hard work » mais qui peut facilement broyer les autres.

Pour dire les choses autrement, rien ne dit que la greffe Slack prenne facilement dans Salesforce, et quand on sait que Salesforce n’a pas l’habitude de laisser ses acquisitions vivre leur vie dans leur coin…

C’est un sujet sensible dans toutes les acquisitions et pas seulement s’agissant de Slack et Salesforce mais dans ce cas précis le sujet risque bien d’être encore plus sensible.

De la même manière quand un jeune éditeur « sympa » est racheté par un gros il s’en suit souvent un changement de culture mal vécu par les clients. Parfois on n’attend même pas le changement culturel : il y a un a priori qui existe dans la tête des clients contre lequel il est difficile d’aller. Quand on signe avec une startup c’est pour certaines raisons et on n’a pas envie de se retrouver le lendemain à discuter avec un commercial de chez SAP, Oracle, Salesforce ou autre…. Quand on connait la réputation de « hard sell » de Salesforce je pense que certains clients sont déjà inquiets de ce qui va leur arriver.

Un autre sujet me vient à l’esprit : l’intégration du produit dans le business de Salesforce. Intégrer les équipes Slack et, pourquoi pas, crée un « Collaboration Cloud » est facile, même si des questions culturelles vont se poser comme on l’a vu. Mais encore faut il valoriser le produit.

Car les échecs de Chatter et Work.com sont tout sauf anodins. Il y a des choses qu’on peut s’acheter et d’autres non. Une culture de marché en est une. Une culture marketing et CRM est une chose, une culture des solutions « internes » et plus spécifiquement du collaboratif en est une autre. On ne « pense » pas collaboratif avec les mêmes personnes et le même ADN qu’on pense marketing, ventes ou e-commerce. Ca n’est pas pour rien que même ceux qui ont un portefeuille de produits large sont plutôt « étiquetés » spécialiste de telle ou telle gamme de produit.

Si Chatter n’a pas été amélioré au fil du temps c’est une question de culture avant d’être une question d’arbitrages ou de gestion du produit. Si Salesforce n’a pas été sur certains domaines où on l’attendait (comme les RH par exemple), c’est une question de culture. On ne fait tout simplement pas des outils de productivité à destination des employés avec l’état d’esprit avec lequel on fait des outils destinés à la relation client et même si je pense que les premiers gagneraient à s’inspirer plus souvent des seconds. Quand on a un mindset « vente et marketing » on n’a pas une grande passion pour le collaboratif et les RH. Et récipropquement.

Au fait vous vous souvenez qu’à un moment tout le monde était persuadé que Salesforce après avoir investi dans Seesmic, la startup de Loic Le Meur, allait finir par la racheter ? Et bien cela n’est pas arrivé et Seesmic est mort de sa belle mort (enfin a été racheté par HootSuite mais le résultat est le même) alors que sa proposition de valeur me semblait très intéressante et novatrice dans le domaine de la relation client voire à plus long terme en collaboration interne avec des usages qui, là, restaient à inventer. Sans être dans le secret des dieux on peut penser qu’une des raisons pour laquelle ça n’a pas été plus loin est le manque de sensibilité culturel de Salesforce par rapport à ces sujets.

Ca n’est pas la première fois que l’on verrait un produit vidé de son sens et de son ADN agoniser peu à peu après un rachat. Peu importe l’ambition qui existait au départ et selon l’expression consacrée, la culture d’entreprise mange votre stratégie au petit déjeuner.

Ca n’est pas parce que Marc Benioff, le CEO de Salesforce, a eu une vision et a « compris un truc » que toute l’organisation va avoir une révélation. C’est un problème aussi vieux que le monde et il se pourrait fort que Slack l’apprenne rapidement à ses dépens.

Slack et l’ombre de Teams (ou Teams et l’ombre de Slack)

Slack est un vrai succès, c’est indéniable. L’entreprise ne s’est pas seulement imposée sur le marché des outils de productivité en entreprise, elle a créé un marché nouveau, marché qu’elle incarne elle-même. Ou qu’elle a longtemps incarné.

Puis Microsoft à sorti Teams avec une approche similaire. Si aujourd’hui le nombre d’intégrations proposé par Teams est de loin inférieur à celui de Slack, Teams a profité de plusieurs choses.

Tout d’abord l’implantation de Microsoft et de Microsoft 365 que l’on trouve quasiment dans toutes les entreprises qui constitue une clientèle captive.

Ensuite le fait que Teams propose de la vidéo et pas Slack.

Enfin le fait que Slack est cher alors que Teams est perçu comme gratuit car inclus dans Microsoft 365.

Au final on est passés d’une situation ou Teams était dans l’ombre de Slack à une autre où Slack n’est plus qu’une ombre face à Teams.

Aujourd’hui Slack a cessé de communiquer sur son nombre d’utilisateurs qui était de 12M en 2019 (dont seulement 6M payants), ce qui n’est en général pas bon signe. Plus inquiétant, les informations convergent pour dire que Slack a en partie raté l' »effet COVID » en raison d’une lacune majeure : l’absence de vidéo. A l’inverse de Teams et Zoom qui ont profité à plein de cette transformation accélérée des modes de travail.

Selon les derniers chiffres Teams compte aujourd’hui 115 millions d’utilisateurs actifs quotidiens. C’était prévisible et comme je l’avais anticipé lors de la sortie de Teams, Slack n’a pas pesé lourd face au produit de Microsoft. Entendons nous bien, Slack n’est pas mort, mais le momentum est passé et on sait d’ores et déjà que Slack ne grandira plus hors de ses marchés habituels.

Pire encore, si Slack est un succès dans les entreprises de la tech et jouit d’une vraie cote d’amour auprès des utilisateurs, les grandes entreprises qui sont quand même le cœur de cible de Salesforce sont toutes clients Teams voire Webex.

Est-ce que le fait d’intégrer Slack dans l’offre Salesforce boosterait son adoption dans des entreprises où Teams est installé ? Si l’intégration avec les produits Salesforce est bonne et que ça « a l’air gratuit » pourquoi pas. Mais ça ne rapporterait rien à Salesforce et il faudrait donc que la proposition de valeur pour le client soit très élevée afin que le produit ne se diffuse pas uniquement chez les clients existants mais aide Salesforce à en signer d’autres. Loin d’être évident.

Donc Salesforce achète un produit qui sans être en perte de vitesse est désormais dominé par la concurrence, est enfermé dans une niche de marché dont il ne pourra que difficilement sortir, qui a déjà un concurrent bien en place chez ses clients et auquel il manque une fonctionnalité clé : la vidéo.

Panic Buy, Panic Sell ou les deux ?

Dans le monde du sport on parle de « Panic Buy » quand un club achète un joueur de manière précipitée dans les dernières minutes de la période des transferts faute d’avoir réussi à recruter ceux qu’il voulait avant. Ou dit autrement, quand un club achète sous la pression du temps un joueur qu’il n’aurait pas acheté normalement, simplement parce qu’il faut acheter quelqu’un.

Pour Salesforce on peut craindre qu’on soit à la limite entre le « Panic Buy » et le pêché d’orgueil.

Le pêché d’orgueil pour commencer. Derrière le rachat de Slack il n’y a qu’un et un seul objectif : aller concurrencer Microsoft en allant jouer sur son terrain. Je ne veux pas être défaitiste mais tous ceux qui ont essayé à ce jeu ont perdu. Pire : ils ont perdu à une époque où ils avaient parfois de meilleurs produits que Microsoft alors que ces dernières années l’entreprise de Redmond a fait un vrai effort sur son expérience utilisateur et la complémentarité de ses solutions. On est loin de l’époque où ils vendaient Sharepoint comme un couteau suisse qui faisait tout.

Le Panic Buy ensuite. Puisque Slack était le seul acteur digne d’être acheté sur le marché et qu’on est en plein boom des usages collaboratifs à distance on peut avoir l’impression que chez Salesforce on s’est dit « vite achetons les avant que quelqu’un d’autre ne le fasse » et pour le projet industriel on verra après.

Aux dernières nouvelles Slack visait 1 milliard de revenu annuel ce qui fait un achat à 27 fois le chiffre d’affaire. Quand on sait que Salesforce n’avait déboursé « que » 2,8mds pour l’achat de Demandware, $237M de CA (E-commerce) donc un multiplicateur de 14 et $15,7 Mds pour Tableau Software qui réalisait un CA de $1,2 Mds (analyse et visualisation de données) donc un multiplicateur de 13, qui sont davantage « core business » pour l’éditeur. Alors d’accord Slack est rentable alors que Tableau ne l’était pas et Demandware à peine.

Cela fait quand même cher pour un produit à l’intégration incertaine dans le business et la culture de Salesforce. Pour mémoire Microsoft avait déboursé 1,2 Mds pour Yammer (CA non communiqué) en 2012.

Si on regarde les choses côté Slack même si cela peut ressembler à un « Panic Sell » (vente dans l’urgence), le mouvement est plus rationnel. Malgré un beau parcours Slack est aujourd’hui et pour les raisons invoquées plus haut dans une impasse ou, plutôt, sous un plafond de verre. Il fallait à tout prix trouver un relais industriel sous peine de stagner… et dans se secteur quand on stagne on finit toujours par décliner et disparaitre. Il n’y avait pas encore urgence mais on en était pas loin et quand Salesforce a manifesté son intérêt il était difficile de faire la fine bouche, surtout à un prix qui a du ravir les actionnaires et qu’ils n’auraient sans doute jamais obtenu dans le futur.

Les plus beaux mariages sur le papier ne sont pas les plus heureux

J’ai souvent l’habitude de dire que le mariage de deux boiteux ne fait pas un valide. Ici on a pas deux boiteux mais au contraire deux entreprises à succès même si une des deux a sûrement mangé son pain blanc.

Donc un succès garanti ?

Comme le disait Pierre Dac, « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir » mais je vais quand même prendre le risque de me mouiller un peu.

Sur le papier c’est un mariage très prometteur. Mais pour moi Slack est trop loin de Salesforce en termes de culture et de produit pour que le couple délivre tous les résultats attendus. Je ne dis pas que ça ne fonctionnera pas, je pense juste que 1+1 ne fera pas 3 et peut être même pas 2. Entre 1,25 et 2 peut être. Cela peut sembler pessimiste mais quand on voit le nombre de mariages qui finissent par détruire de la valeur, ça ne serait déjà pas mal.

Et quant à voir Salesforce aller concurrencer Microsoft sur le marché des solutions de collaboration et de productivité je n’y crois pas une seconde. Pour moi après avoir un peu tangué entre 2007 et 2012 Microsoft a complètement verrouillé ce marché et pour longtemps.

Image : Slack de justplay1412 via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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