La gestion des carrières : le temps long de l’expérience employé

Si on part de principe qu’une expérience est quelque chose que l’on vit, elle a nécessairement un caractère instantané, même si dans l’idéal elle doit laisser une trace mémorielle dans la durée. Dans ma conception de l’expérience employé qui est très liée à une logique d’efficacité opérationnelle, cela se traduit donc principalement au niveau de points de contacts avec lesquels on a des interactions très tangibles : outils, process, circuits décisionnels, collègues et managers…

En effet ce sont des choses auxquels le collaborateur est confronté à longueur de journée et au moment même de l’interaction il est capable de dire s’il a affaire à un élément fluidificateur ou à un point de friction qui le ralentit.

Mais l’expérience employé comporte également un temps long qui est le parcours du collaborateur de l’entreprise ou, dit autrement, la gestion de sa carrière.

Il n’y a pas pire que d’être perdu dans son parcours

Si l’on revient à l’analogie avec l’expérience client qui, pour beaucoup de monde, sert sinon de base ou en tout cas d’inspiration à l’expérience employé, l’importance d’un parcours clair et lisible est évidente.

Comment se passe mon parcours d’achat ? Quelle est la prochaine étape ? Que dois-je encore faire pour arriver à la prochaine étape ou au bout du parcours ? Ah je croyais toucher au but mais on me demande encore une formalité supplémentaire. Je pensais être éligible mais alors que je suis bien avancé dans le parcours on me dit que je ne le suis pas. Je ne découvre qu’au moment de payer ma commande que le produit n’est pas disponible. En tant que membre d’un programme de fidélité hôtelier je me demande si j’aurais bien mon surclassement une fois à l’hôtel et si les bénéfices du dit programme seront bien délivrés…

Autant de choses qui frustrent, irritent, font que même si on va au bout on n’est pas satisfait et qu’on n’y reviendra pas forcément. Autant de choses qui font qu’on peut même abandonner en cours de route. Autant de choses qui font qu’on partagera des retours d’expérience négatifs autour de nous.

Et bien c’est exactement pareil en matière d’expérience employé.

La carrière : le temps long de l’expérience employé

Le collaborateurs suit une multitude de parcours dans l’entreprise. Certains sont courts comme poser des congés, suivre un process administratif, prendre une décision (quoique…), suivre les règles pour passer une commande à un fournisseur, suivre une formation.

D’autres, et un en particulier, sont longs : la carrière au sein de l’entreprise. Elle peut durer quelques mois pour certains, plusieurs années en général et plusieurs dizaines d’années pour d’autres.

Quand on aborde le sujet je suis surpris que pour beaucoup il ne fasse pas débat. Il y a des parcours, des dispositifs de gestion de carrière, ils sont pilotés donc tout va bien. Oui mais cela c’est la vue de l’entreprise.

Du côté du collaborateur la chose est beaucoup moins claire. Demandez à n’importe qui où il se voit dans 2 ou 3 ans. Où il devrait être et où il aimerait être.

Où il devrait être ? Parfois il ne sait pas. Dans certains métiers comme le conseil par exemple c’est assez linéaire, on connait les étapes qui vont de junior à Partner et on sait de toute manière qu’à un moment si on n’arrive pas à monter comme attendu on sort. Mais dans la plupart des entreprises c’est déjà un peu flou car rien n’est mécanique et dépend d’abord des places qui se libèrent au dessus ou ailleurs et ensuite du fait que la personne ait les compétences ou pas pour y prétendre.

Où il aimerait être ? Là tout le monde a des idées, après tout on a le droit de rêver, d’être ambitieux, de vouloir prendre en main sa carrière (c’est d’ailleurs conseillé) voire tout simplement de se projeter.

Mais vous voyez que, selon les cas cela pose d’autres questions.

Où puis-je aller ? Aujourd’hui les carrières sont de plus en plus complexes, moins linéaires, résultat de la nécessité de s’adapter à un monde changeant et de mieux prendre en compte l’évolution des aspirations du collaborateur au fil de sa carrière. Là encore la plupart des entreprises l’ont compris et proposent une grande variété de parcours, voire des parcours sur mesure à tous les collaborateurs pour qui cela peut être pertinent. Mais là encore ces dispositifs sont obscurs pour le collaborateur. Disons que les routes existent mais que personne ne leur a jamais donné la carte !

Mais surtout et enfin comment à quelles conditions puis-je y aller ? Dois-je obtenir un certain niveau de résultats ? Suivre un certain nombre de formations, certifiantes ou pas ? Valider un certain nombre de compétences (lesquelles et de quelles manières) ? Obtenir un certain nombre de certifications ? Ou simplement être bien vu par mon manager ?

Et bien là je peux vous dire que les « règles du jeu » sont le plus souvent définies de manière assez vagues et en tout cas de manière pas si systématiques qu’on pourrait le croire. Et quant à leur mise en application elle est, selon les entreprises voire les départements au sein d’une entreprise, des plus variables. Là encore on a la situation suivante :

  • Les entreprises ont défini des règles de manière plus ou moins détaillée, parfois à titre d’indication parfois à titre de règle absolue.
  • Ces règles, peu importe leur niveau de formalisme et leur caractère obligatoire, sont souvent peu ou mal connues des collaborateurs.
  • Les collaborateurs ont l’impression que l’application des règles en question, notamment lorsqu’elles laissent une certaine place à l’appréciation, dépend soit de personnes qu’elles n’ont jamais rencontré et qui le les connaissent pas, soit relèvent du fait du prince (leur manager).

Un enjeu de formalisme, de lisibilité et de confiance

On voit donc ici on a un triple sujet : le formalisme du dispositif, sa lisibilité par le collaborateur et la confiance dans la manière dont il fonctionne et est appliqué.

Parlons du formalisme tout d’abord. Formalisme ne veut pas dire rigidité ni complication excessive. Cela peut être au contraire très flexible. Cela veut dire « écrire ce qu’on fait », ce qui est le meilleur moyen, ensuite, de faire ce qu’on dit. Ce qui n’est pas ou mal formalisé ne peut être communiqué ou le sera mal et sera donc peu lisible.

La lisibilité donc ensuite. C’est bien de savoir qu’un dispositif existe mais encore faut il comment il fonctionne et comment on peut en bénéficier à savoir selon quelles modalités et à quelles conditions.

Enfin la confiance : plus les conditions seront objectives et moins de place sera laissée au fait du prince où à des intervenants jugés lointains plus la confiance dans le dispositif sera grande. A l’inverse…

L’alternative à une gestion de carrière opaque ? Le désengagement ou la démission !

Comme pour tout sujet qui nécessite une part de changement il est important d’évaluer le rapport coût/bénéfice. Pourquoi formaliser et approfondir un tel dispositif, ce qui peut s’avérer très lourd à mettre en place dans une grande entreprise ? (Quoique proportionnellement à ses moyens c’est également un vrai sujet dans des structures plus petites).

Parce que la conséquence logique pour un collaborateur de ne pas savoir où il en est, où il va ou peut aller et quand/comment il y arrivera est de se désengager ou d’aller voir ailleurs. Rien ne sert de donner de la lisibilité et de la visibilité à long terme, il faut simplement que les possibilités immédiates à court terme soient claires.

Aller voir ailleurs car la route pour y aller est claire. Se dégengager car quand on avance sur une route dans un brouillard profond le réflexe le plus naturel est de ralentir, voire de s’arrêter sur le bas-côté en attendant que les conditions changent.

Vous trouvez qu’il s’agit d’une solution radicale ? Ne pas savoir où on est ni ce qu’on a devant soi est anxiogène. Essayez en voiture et vous verrez ! Mais les faits sont sans appel : quand une personne rêve d’un job et que la manière d’y accéder semble plus claire et simple en changeant d’employeur qu’en choisissant la voie interne il y a un problème.

Une partie de l’expérience employé se joue sur un temps long, tellement long qu’on n’en perçoit pas l’impact immédiat. Mais quand, du point de vue de l’entreprise, le salarié se trouve dans une logique de long terme, lente, et qu’il n’existe donc pas de sentiment d’urgence, pour le collaborateur, sa perception immédiate est la seule chose qui compte. Si a un moment donné il doute, sa carrière entière n’est qu’un immense doute.

Photo : gestion de carrière de Sergey Nivens via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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