De l’expérience employé au service employé

Cela fait une quinzaine d’années que ce j’appelle la consumérisation des organisations est en marche. Ce que j’entend par là est que le collaborateur, dans l’entreprise, va retrouver les mêmes types d’outils, d’expériences, ce dispositifs que ce dont il dispose dans la vie personnelle et en tant que client.

Cela a commencé au début avec les outils quand au mileu des années 2000 et le fameux « web 2.0 » on a donné aux individus des outils plus efficaces, ergonomiques et intuitifs que ce dont ils disposaient en entreprise. Et irrémédiablement ces outils et (surtout) les usages qu’ils rendaient possible sont rentrés dans l’entreprise. Aujourd’hui tout le monde trouve évident de disposer d’outils en mode Saas, de réseaux sociaux d’entreprise, d’outils collaboratifs simples et fluides, d’APIs qui permettent de connecter les outils entre eux facilement. En 2005 laissez moi vous dire qu’on en était loin. Je pense que l’exemple le plus significatif est qu’à la fin des années 2000 les entreprises voulaient des outils « à la Facebook » mais qui n’étaient pas Facebook. Aujourd’hui Workplace par Facebook est un vrai succès.

L’entreprise se consumérise…et la fonction RH/People aussi

Ensuite, et pour abréger l’histoire, on a parlé d’expérience client et peu après est arrivée l’expérience employé. Cela fait longtemps qu’on parlait de symétrie des attentions mais il y a fallu que d’un seul coup on se rendre compte qu’au delà de la relation et de marque c’était l’expérience qui comptait pour que d’un seul coup une prise de conscience et une accélération côté collaborateur.

Donc en poussant la logique jusqu’au bout il me semblait évident qu’on allait arriver à deux choses :

1°) Un SIRH qui va ressembler de plus en plus à un CRM et suivre l’intégralité du parcours employé et son « cycle de vie ».

2°) La notion de « service employé » qu’il n’est pas besoin d’expliquer tant on est familiers avec son équivalent côté client.

Pour ce qui est du SIRH la chose est entendue. On y va lentement mais sûrement.

Pour ce qui est du service employé on est loin du compte. Globalement je vois deux types de réactions sur le sujet.

Le « service employé » ? Trop c’est trop !

La première est de dire « mais ça existe c’est le job des RH ». Et bien non ça n’existe pas, ça n’est pas le job des RH (ou pas celui qu’on leur assigne ou pas ce qu’elles en comprennent). Les RH donnent un cadre, accompagnent mais ne sont pas à proprement parler un département « service employé », ce qui impliquerait une obligation de réactivité et, sinon de résultat, en tout cas d’engagement des moyens. D’autres ajouteraient que les RH se sont pas au service des employés mais de l’entreprise mais ça ne me semble pas illogique. En fait elles devraient être au service des deux.

La seconde est de dire « mais un service employé, vous n’y pensez pas ! ». Quand on creuse cela signifie deux choses.

1°) Mais ca va couter super cher !

2°) Les salariés sont au service de l’entreprise et pas l’inverse.

A bien y réfléchir peu importe la manière dont c’est exprimé on retrouve la même logique derrière.

Et pourtant si on regarde l’évolution du concept d’expérience employé depuis son émergence la tendance est claire.

Engagement et expérience employé : du sondage au coaching

1°) Héritage historique. On part des bons vieux baromètres de satisfaction et on les transforme en enquête d’engagement. Le tempo est mauvais (annuel), on confond satisfaction et engagement, on score une satisfaction sans savoir ce que le collaborateur recherche. Bref on en est l’âge de pierre.

2°) L’ère du feedback. On se rend enfin compte qu’un questionnaire préformaté et annuel ne répond pas au besoin. Le rythme s’intensifie et on laisse également le collaborateur émettre un feedback quand il le veut. On sonde 3 ou 4 points précis au lieu de proposer une liste de questions de 4 pages. Et on laisse le collaborateur sortir du cadre et faire un feedback sur le sujet de son choix même s’il n’est pas prévu au départ par l’entreprise. C’est également le moment où ces « prises de pouls » deviennent « mobiles » pour favoriser le temps réel et toucher les « frontline workers » qui sont en usine, en magasin et sont en général les parents pauvres de ce type de démarche.

3°) L’ère du design et des programmes. Recevoir du feedback pour s’améliorer c’est bien mais le coup par coup a ses limites. Donc on commence à « designer » l’expérience employé. Au lieu de réagir à une expérience négative on conçoit une expérience supposée sans friction et qui ne génère plus de feedback négatifs. On assiste donc à la création de programmes structurés visant à adresser telle ou telle dimension de l’expérience employé tout en maintenant, toujours, la logique de feedback.

4°) L’expérience employée pilotée. Au fur et à mesure que les choses se structurent et prennent de l’ampleur le besoin de pilotage se fait jour. Et là on voit l’arrivée de dispositifs de dashboarding en tout genre et d’outils de management de l’expérience employé (EXM pour Employee Experience Management). Un grand pas pour les RH mais du simple bon sens pour qui garde un œil sur ce qui existe côté expérience client.

Si je regarde ce que dit Josh Bersin sur le sujet on est relativement alignés.

Ce tableau ne prend en compte que la relation engagement/expérience employé donc il lui manque la dimension design et structure mais là logique est là :

1°) Benchmark entre les objectifs de l’entreprise et la perception du collaborateur

2°) Ecoute du collaborateur et compréhension de ses attentes.

3°) Consolidation des données pour accompagner le collaborateur dans son développement personnel.

Là où je ne suis pas forcément d’accord c’est le tour de passe passe entre les deux dernières étapes qui suggère que l’expérience employé n’est qu’une évolution de l’engagement, qu’elle se limite à la dimension RH, et qu’on l’améliorera en coachant le salarié pour l’adoption de nouveaux comportements.

De mon point de vue cela en fait partie mais c’est loin de couvrir la totalité du sujet « expérience employé » car cela néglige la dimension opérationnelle : non pas ce que ressent le collaborateur d’un point de vue personnel en général au travail mais ce qu’il vit concrètement quand il travaille. Mais je vais éviter de digresser, on aura l’occasion de revenir fréquemment sur le sujet dans un avenir proche. Retenez jusque que rendre le collaborateur seul responsable de l’amélioration de son expérience ne me va pas du tout.

La réactivité permanente : SLA de l’expérience employé

Pour être honnête je n’ai pas été exhaustif en commentant l’historique de Bersin car son tableau contenait une 4e colonne décrivant la prochaine étape de l’expérience employé : ce qu’il nomme Continuous Response et que je traduirai par « Réactivité Permanente ».

De quoi parle-t-on ? De dispositifs capables d’identifier tous les signaux relatifs à l’engagement et l’expérience employé, de les aiguiller vers la bonne personne et de suivre la suite qui leur est donnée.

Pour reprendre ses mots :

« Il ne suffit pas de sonder les gens ou de les faire participer à une conférence téléphonique pour leur demander leur avis. Nous devons collecter toutes ces informations, les analyser et les envoyer à la personne qui a besoin de les connaître. S’il s’agit d’une plainte pour harcèlement, elle doit être transmise à la justice ; si le PC est en panne, elle est transmise à l’informatique ; si la note de performance est faible, elle est transmise aux RH ou au superviseur »

Pour plus de précision :

• L’objectif : « réduire la distance entre le signal et l’action ». Autrement dit ne pas attendre qu’un signal passe de personne en personne entre celui qui l’identifie et celui qui peut/doit agir, se perde dans les process ou dans les outils de communication et éviter que son bon traitement ne dépende que de la bonne volonté et de la disponibilité des gens.

• La « bonne personne » : un employé peut avoir une multitude de problèmes qui ne relèvent pas tous des RH ou de son manager. Mais en général ce sont eux qui les collectent et essaient ensuite de les faire suivre avec le risque que signal se perde en route. J’ajouterai qu’il y a des sujets dont le collaborateur n’a pas forcément conscience, d’autres dont il ne veut pas parler mais qui doivent être traités et d’autres dont il n’ose pas parler mais qui méritent tout autant un traitement.

• Le signal : il peut être envoyé par un être humain (je fais un feedback) ou capté dans n’importe quel système (évaluations, performance). La personne concernée peut donc être consciente ou non que quelque chose se déclenche à son propos. Inutile de préciser ici que quelques précautions sont à prendre au niveau GDPR. On peut imaginer qu’à terme on identifiera les sujets aussi bien de manière réactive (identification a posteriori) que prédictive (en anticipant leur apparition par la détection de certains « patterns »).

• Le traitement : en fonction du sujet le sujet sera « attribué » à la personne la plus pertinente. On imagine bien sûr que cela sera suivi et qu’il sera possible de collaborer sur un sujet ou le réassigner à quelqu’un.

Cela fait l’objet d’une courte étude agrémentée de cas d’usage concrets.

Les RH découvrent le support et les « tickets »

Vous serez nombreux à remarquer que le dispositif décrit ressemble à ce qu’on retrouve depuis des lustres dans les départements « support » de nombreuses entreprises où le fait que le client remonte un problème ou une question donne lieu à la création d’un « ticket ». Ce ticket est attribué à une personne, il suit un workflow, il peut être assigné à d’autres au fil du temps, différents intervenants peuvent le commenter et son « statut » est suivi.

Les esprits chagrins s’émouvront que l’on traite les sujets liés aux salariés comme de vulgaires bugs mais s’agit il d’autre chose ? D’autres seront choqués par l’obligation d’action et de réponse, mais ceux là se sont soit trompés de travail ou d’objectifs. D’autres seront outrés du fait de voir une partie de leur rôle si noble se réduire au traitement de tickets d’incident, il faudra juste qu’ils se rappellent qui est leur vrai client…et que si on crée des dispositifs qui fonctionnent on a moins de bugs à traiter. Ce sera parfois l’occasion de se poser la question de savoir qui est le véritable client de certains process RH et métier et de savoir ce qu’ils sont en droit d’en attendre..

Les acteurs de la relation client investissent la sphère RH

Je ne doute pas que, comme d’habitude, les grands acteurs du SIRH enrichissent leur offre de tels produits rapidement. En attendant vont ils laisser comme souvent un peu d’espace aux pure players ? Rien n’est moins sûr.

Car pour qu’un pure player de la HRTech émerge et acquière une empreinte significative sur le marché il faudrait que ce dernier soit vierge et ça n’est pas le cas. En effet il constitue une opportunité de choix pour les acteurs de la relation client qui ont déjà les produits et n’ont qu’à les rebrander pour les proposer aux RH. Où l’on reparle donc de consumérisation et où, une fois de plus, le SIRH ne fait que cloner ce qui existe du côté de la relation client, ce qui est une chance pour les « gros » tels Oracle et SAP qui ont déjà tout ce qu’il faut en magasin et n’ont qu’à attendre que le marché soit prêt pour apporter les quelques modifications nécessaires.

Josh Bersin, par exemple, cite Medallia. Qui est Medallia ? Un acteur établi de la relation client. Autre acteur qui se positionne mais de manière beaucoup moins aboutie : Zendesk qui reprend la logique de la FAQ et du ticket sans pousser dans une intégration forte et une captation/analyse des signaux.

A titre personnel lorsque j’ai voulu lancer à moindre coût un dispositif de feedback avec un vrai suivi des remontées (a mon sens capter le signal sans le traiter et monitorer le traitement est pire que ne pas le capter) il m’a suffi de « brancher » un formulaire sur JIRA, outil de gestion de tickets bien connu des entreprises tech pour avoir un MVP fonctionnel, qui donne entière satisfaction, en « détournant » un outil massivement utilisé dans l’entreprise pour la relation client comme j’ai pu le faire avec Zendesk pour construire une FAQ géante ou une solution de marketing automation pour garder le contact avec les candidats recrutés.

Le collaborateur est le premier client..enfin bientôt

La logique selon laquelle le collaborateur est le premier client de l’entreprise et doit être traité comme tel est donc bel et bien en marche. Quant à voir la logique de « Continuous Response » mise en place nous en sommes loin.

Il faudra bien sur que les entreprises s’équipent et au delà du ticketing ce sera l’intégration avec les systèmes existants qui sera vitale et prendra du temps. Il faudra également apprendre à trier et qualifier ces signaux et si le machine learning semble être la voie à suivre cela prendra du temps.

Mais il faudra surtout et avant tout un changement d’état d’esprit et d’approche sur le sujet. Et là cela ira très vite chez certains et ne prendra pas chez les autres.

Le service employé ? On en a jamais été si proche mais on en reste loin.

Photo : service client et service employé de docstockmedia via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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