La formation : une expérience qui ne pense pas assez à son « client »

Il y a peu de choses aussi expérientielles que la la formation dans le cycle de vie du collaborateur.

Parce que c’est quelque chose qu’on reçoit donc parce que cela implique une interaction que ça soit avec un être humain ou un dispositif digital voire les deux. Parce que c’est quelque chose qu’on vit parfois seul mais aussi parfois en groupe et que le dispositif pédagogique implique aussi des interactions avec les autres participants.

Parce que c’est quelque chose qui doit améliorer la personne qui la reçoit, la faire grandir, lui permettre d’avancer dans sa carrière, en tant que personne, en tant que professionnel

Parce qu’à la fin on en ressort avec des choses à mettre en œuvre et que cette mise en œuvre est une expérience en soi, notamment les premières fois qu’on fait quelque chose de neuf ou différemment et qu’on voit que ce qu’on a appris nous permet de le faire bien ou mieux qu’avant.

Expérience de formation vs. Expérience d’apprentissage

D’où le fait que les entreprises on vite compris la nécessité de travailler leur expérience de formation. Ce qui est une bonne chose mais une seule partie du problème. Car là où les uns voient une expérience de formation, les autres voient une expérience d’apprentissage, ce qui est tout autre chose.

Il y a deux choses intimement liées ici.

Tout d’abord une entreprise qui regarde principalement la manière dont elle délivre ou fait délivrer ses formations et le collaborateur qui regarde la manière dont il la reçoit. Et c’est totalement différent. C’est un peu comme la poste qui dit « j’ai bien livré » et le client qui dit « oui mais en retard, le paquet était abimé et le contenu endommagé ». Toute la différence entre les organisations orientées produit et process et celles qui sont orientées client.

Pour l’entreprise le besoin est un « input » et la formation un « output ». Elle reçoit l’input d’un process existant qui vise a identifier les besoins, les qualifier, mettre une offre en face et planifier l’exécution et le service qui s’occupe de cet « output » ne s’occupe pas de la manière dont est géré l »input ».

C’est justement ce qui m’amène au second point. Comme le disait cet article récemment publié chez Cap Gemini :

« Dans de nombreux cas, dans de nombreuses entreprises, ces différentes fonctions se sont intégrées dans leurs domaines d’expertise de processus individuels. Chacune d’entre elles se concentre sur ce qu’elle met en place, et non sur la manière dont cela est reçu. »

Revenons donc au parcours d’apprentissage du collaborateur.

La détection des besoins d’apprentissage : le risque d’un malentendu

Avant tout chose il y a un besoin. Le besoin de formation nait d’un désalignement entre ce qu’est capable de faire un collaborateur et ce qu’on attend de lui aujourd’hui ou dans le futur dans la prévision d’une évolution de carrière.

Ensuite vient son identification. Elle peut être le fait du collaborateur, d’autres (manager, rh) ou d’un système (data, predictive/people analytics).

Dès cette étape on peut avoir un bug d’expérience. Lorsque le collaborateur identifie un besoin et qu’on ne peut le satisfaire pour des raisons qui parfois ne lui sont même pas expliquées . A fortiori lorsqu’il a l’impression que la décision est prise par des personnes lointaines, qui ne le connaissent pas et ne connaissent pas son métier voire, pire encore, que son manager n’a pas forcément appuyé voir transmis sa demande.

Il y a également les cas où on a identifié le besoin pour lui. Cela peut être une très bonne chose, cela veut dire qu’on pense à lui, proactivement. Cela peut être beaucoup plus mal vécu lorsque cela ne correspond à aucun besoin (on a des places libres qu’il faut occuper) ou qu’on a des plans futurs pour lui dont on se refuse à lui parler mais auxquels on le prépare.

N’oublions pas les cas où un avancement est conditionné à une formation/certification qu’on ne peut malheureusement pas proposer au collaborateur cette année.

Se pose aussi la question des cas trop granulaires pour être adressés : le traditionnel « comment on fait ça », « comment on utilise telle fonctionnalité »… qui correspond plus à de la formation entre pairs…pourvu qu’un tel dispositif existe pour identifier la bonne personne et prendre un peu de son temps.

Applaudissons toutefois la diffusion des dispositifs « self service », évolués (avec une vraie logique de contenus pédagogiques, ou basiques (comme de « simples » bases de connaissance) qui répondent à une partie des besoins qu’un dispositif formalisé voire industrialisé ne peut traiter. Pourvu qu’on trouve le temps de les utiliser.

Le traitement de la demande

Là on rentre dans le process administratif dont les responsables formation n’ont que peu conscience et qui de toute manière n’est pas de leur ressort comme on l’a vu plus haut.

Comme le montre une récente étude :

« En raison de l’inefficacité des processus RH, même les plus simples, faire les choses ressemble à s’arracher les dents – littéralement. Environ un salarié sur trois dit préférer aller chez le dentiste, faire la vaisselle, attendre ou rester assis dans les embouteillages plutôt que d’accomplir des tâches RH comme soumettre et approuver les demandes de congés, lire la liste des bénéfices RH fournis par l’entreprise ou compiler et soumettre les notes de frais. Le problème : les technologies qui font obstacle à l’accomplissement du travail. »

Parfois les formalités nécessaires à la soumission d’une demande en découragent plus d’un. Ou alors elles décourage le manager pour qui formation veux dire paperasse, complications et temps perdu. Sans compter que souvent on demande de communiquer des informations sont existent déjà dans un autre système. Je ne parle même pas des formulaires papier ! Là comme souvent on est face à un enjeu de simplification d’abord et de digitalisation ensuite.

L’exécution de la formation

Je ne parlerai même pas du délais entre la demande et la formation ou du fait que la formation arrive trop tard ou au mauvais moment : il y a des contraintes dont on ne peut pas rendre l’entreprise responsable.

On est ici face à un cas insoluble. Tout le monde n’apprend pas de la même manière : certains ont besoin d’un dispositif classique, d’autres de quelque chose de pratique ou de participatif. Certains sont très à l’aise à distance, d’autre pas. Certains aiment les dispositifs 100% digitaux, d’autres n’y arrivent pas. Et tout le monde ne va pas à la même vitesse.

Et quand bien même on pourrait prendre en compte les spécificités de chacun, tous les sujets ne se prêtent pas à toutes les approches et ça n’est pas parce qu’une personne aime apprendre d’une manière que c’est la manière la plus adaptée pour se former dans une matière donnée.

Pour autant si l’objectif d’une formation est qu’elle ait un impact et pas uniquement de griller des budgets l’adéquation entre le mode de formation et la réceptivité de la personne a tout de même son importance.

L’après formation : la mise en œuvre

Bien entendu la moindre des choses est de demander le feedback des participants pour améliorer le dispositif et en général c’est plutôt bien fait.

Mais ensuite vient ce qui apporte le plus de satisfaction au collaborateur (et de valeur à l’entreprise) : mettre en œuvre de qu’il a appris et constater de lui-même les progrès accomplis.

Et là on a des surprises.

La formation qui ne sert à rien et ne sera pas mise en œuvre, la formation utile mais qu’on a pas l’occasion de mettre en œuvre, la formation qui nous fait travailler ou nous comporter différemment des autres et nous stigmatise…

Quand on met tout cela bout à bout on voit bien qu’une expérience satisfaisante implique alignement et contribution de différentes fonctions qui en général se contentent de bien faire « leur » partie du travail.

Quand la formation fait le grand écart

Il y a de nombreux sujets où il est facile de pointer du doigt les cause d’une expérience insatisfaisante et proposer des solutions simples pour rapidement améliorer les choses (en tout cas dans un premier temps) mais en matière de formation la critique est facile, apporter des solutions réalistes l’est moins. En tout cas pas à un horizon de temps court et avec un effort « raisonnable ».

A l’échelle de l’entreprise la formation est une immense machine qui demande une grande planification, sans même parler de toutes les contraintes administratives qui pèsent sur les entreprises. On me retorquera que je ne vois les choses que par le prise de la grande entreprise mais pour les petites et moyennes c’est pire : il n’y a souvent pas les moyens se se payer la technicité nécessaire bien piloter l’ensemble d’un dispositif de formation.

La formation doit donc faire le grand écart entre une un besoin de pilotage et de structure qui peut la rendre rigide (mais stable) et un besoin de rapidité et de réponses locales, voire individuelles ad-hoc. Et je ne parle même pas du besoin de digitaliser le process de bout en bout, quitte à délivrer certaines formations en mode dégradé car on ne pourra pas attendre d’avoir éradiqué le virus pour renvoyer les gens en formation.

  • Une vision à long terme + identifier les besoins en temps réél
  • Penser en termes d’objectifs business + décliner au niveau de l’individu
  • Garder la maitrise des dispositifs et de leur qualité + permettre des parcours flexibles mobilisant des media/approches différents
  • Planifier les capacités et les ressources nécessaires + faire face aux besoins spécifiques, urgents, adhoc avec des ressources internes, RH et non RH
  • S’assurer que le plan est déroulé + s’assurer de son impact et responsabiliser toute la chaine
  • Maitriser ses process + avoir une approche client, faire en sorte que l’intégralité du processus soit vécu comme un service apporté, pas comme une contrainte ou un parcours d’obstacles.
  • Penser en termes de grandes masses + adresser des enjeux individuels

Ce qu’on résumer en

1°) Besoin d’une nouvelle structure avec une organisation centrale mais des interlocuteurs responsables au plus proche du collaborateur. (Lien Bersin)

2°) Repenser le dispositif en mettant le collaborateur au centre (design thinking) et non plus la formation elle-même, penser en termes de réception et pas de delivery.

3°) Accélérer le cycle par le recours à la data, la digitalisation du processus

Repartir des attentes du collaborateur

Revenons encore une fois aux basiques de l’expérience employé : le collaborateur attend deux choses

1°) Qu’on lui donne les moyens de faire ce qu’on lui demande, quand on le lui demande. Les compétences en font partie et il n’attendra pas un an et demi pour être en mesure de répondre à des exigences actuelles.

2°) De sentir que son entreprise le fait progresser en tant que personne et que professionnel.

Encore une fois soyons honnêtes : c’est tout sauf simple et la formation est une des activités les plus compliquées à transformer et adapter. Mais elle est tellement vitale qu’on ne peut baisser les bras sans avoir essayer.

La bonne nouvelle c’est que çà et là on voit que ça change, par petit pas, mais que les choses vont dans le bon sens.

Photo : salarié en formation de Robert Kneschke via shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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