Les gens sont plus que des utilisateurs

Qu’on parle de e-commerce, de relation client, de RH et donc d’expériences général on finit souvent par designer le sujet d’un process ou d’un dispositif par le mot « utilisateur« .

Ca n’est que logique car dans un monde devenu digital (et a fortiori depuis la pandémie) peu importe l’objectif ou l’intention, l’atteinte d’un objectif, la réalisation de l’intention passe par l’utilisation de quelque chose.

L’utilisateur est ce qu’on connait d’une personne

Mais, et la transformation du commerce pendant la pandémie a, j’espère, fini de convaincre les derniers sceptiques, le monde n’est pas digital, pas plus qu’il n’est totalement physique. Il est phygital.

L' »utilisateur » n’est pas 100% en ligne ou 100% hors ligne. Il passe de l’un à l’autre et ce qui est le plus proche de la réalité est de dire qu’il est en permanence dans les deux en même temps.

Le concept de lieu « physique », de digital ou de phygital s’applique donc au lieu de l’interaction. Lorsque le l’utilisateur est en ligne, en train d’utiliser un dispositif (une app, un site…) il est dans un environnement « fermé », maitrisé, dans lequel on peut le tracer, analyser ses actions, ses comportements.

Pour ce qui est de la dimension hors ligne cela dépend. Il peut être partiellement traçable lorsqu’il est en face d’un agent qui a un un moment donné va finir par enregistrer sa demande mais en perdant un grand nombre d’éléments de contexte qu’une application pourrait traquer. S’il est dans la rue, dans son bureau, dans son salon en train de penser à son projet ou son intention on ne sait rien Et vu qu’on ne sait rien on fait comme si cela n’existait pas. Ou, dit autrement, lorsqu’on s’intéresse à l’utilisateur on ne regarde que ce qu’on peut connaitre d’une personne.

L’utilisateur est digital, la personne est phygitale

Qu’on parle du client sur un site ecommerce, du salarié qui utilise un intranet, un logicel quelconque pour poser des congés ou gérer un projet, on n’apprend d’eux que ce que qu’on peut capter lorsqu’ils sont connectés et actifs. On ignore tout de leur relation au dispositif, de leur intention et globalement de ce qui se passe dans leur tête par rapport au sujet qui nous intéresse lorsqu’ils ne sont pas connectés et en ligne.

Ne regarder que son site, son app mobile en niant ce qui se passe dans magasin et, a fortiori, ce qui se passe quand la personne n’est pas en train d’interagir c’est perdre beaucoup d’éléments de compréhension de son contexte. Combien ? Je ne sais pas. 20% ? 50%, 80% ? Ca c’est si on a une approche par le lieu ou le point de contact.

Si on a une approche par la personne on dira justement que l’utilisteur qu’on connait n’est qu’un fragment que la personne qu’on essaie de satisfaire. La personne est un être humain.

Elle a des attentes et ce qu’elle fait en ligne ou demande à un vendeur, à son manager, à son service RH n’en représente qu’une partie. Il y a les attentes cachées, non exprimées. Il y a la vision nécessaire parcellaire qu’on a des chose car sa demande ne représente qu’un élément parmi d’autres qui lui permettent de satisfaire un besoin. Quelqu’un qui achète du gros scotch veut il emballer des cartons ou fabriquer une bombe artisanale. Celui qui pose des congés veut il partir en vacances, avoir du temps pour passer des entretiens d’embauche ailleurs ou se rendre au chevet d’un proche malade.

La personne est dans un état émotionnel. Curieuse, confiante, joyeuse, stressé, sous pression. Cela conditionnera ses interactions avec l’agent ou le système. Cela conditionnera le fait que ce qu’on lui propose la satisfasse ou pas. Qu’elle s’y prenne maladroitement, ou agressivement. Qu’elle accorde ou non un droit à l’erreur.

Je vais m’arrêter là mais ce qui distingue simple utilisateur avec lequel on interagit d’un être humain dans toute sa complexité, son unicité et dans son contexte est, selon l’angle qu’on adopte, ce qui empêche un dispositif de totalement satisfaire ceux à qui il s’adresse ou une cause majeure de non qualité ou de dysfonctionnement pour ceux qui l’opèrent.

Ca n’est pas parce que quelque chose est difficile ou impossible à connaitre que ça n’existe pas

Effectivement on parle de tout un champ de connaissance, de données qu’il est très difficile (certains diront impossible) de capter et traiter. Soit. Mais ça n’est pas parce que c’est difficile à connaitre, à comprendre, qu’il faille faire comme si ça n’existait pas. Admettre qu’il y a une zone grise c’est admettre que le dispositif est faillible, améliorable et qu’à un moment il faut savoir le contourner ou l’améliorer en donnant de l’autonomie aux agents humaines. Penser que la vérité se résume à ce qu’on connait c’est induire un nombre de biais considérable en présumant des choses qu’on ne sait pas.

Combien de fois as-t-on vu par exemple un vendeur sortir du cadre d’un process après avoir discuté avec le client, mieux compris son contexte, et ainsi décidé d’opérer d’une manière non prévue voire d’aider le client à modifier sa demande pour mieux satisfaire son besoin ?

Je dis souvent également que la différence entre un bon et un mauvais manager se voit dans l’application des process et des règles, qu’on soit dans le périmètre du métier ou des RH. Il y a ceux appliquent mécaniquement la règle et ceux qui tirent parti de leur connaissance même parcellaire du contexte pour ne pas se contenter de satisfaire une demande, ne pas se contenter d’appliquer une règle mais satisfaire un besoin.

Notons à propos des managers que quand on parle d’utiliser sa connaissance du contexte pour satisfaire une demande et un besoin on ne parle pas toujours du besoin du collaborateur. Bien sur connaitre le contexte du collaborateur permet de mieux l’accompagner et répondre à ses demandes, mais cela aide aussi à mieux le gérer en dehors de toute demande exprimée dans l’intérêt de l’organisation.

Ce manque de prise en compte du contexte amène à une situation trop souvent vécue en tant que personnes, clients ou salariés. On a un dispositif, un process, qui a la fin produit exactement ce qu’il doit produire donc vu de l’interne tout va bien. Le problème est que, vu de l’extérieur, il ne satisfait pas le besoin de la personne concernée.

La limite de la vision figée (et donc biaisée des personas)

Aujourd’hui pour concevoir un parcours, un process on utilise des personas qui représentent les utilisateurs types en termes de besoin, de démographie, de compétences, d’usages…. C’est indispensable. Tous les utilisateurs ne se ressemblent pas, ils ont des attentes, des références mais également des limites propres à chacun. Penser qu’un même dispositif peut s’appliquer à tout le monde c’est concevoir quelque chose qui ne convient à personne.

Mais la persona done une vision figée et biaisée de la réalité. C’est bien de savoir que Carine a la trentaine, qu’elle est diplômée du supérieur, aime telle type de produit et est très à l’aise avec les nouvelles technologies. Mais si on méconnait son état d’esprit à un moment donné on rate une occasion de vraiment la satisfaire.

Poser le problème est simple, y répondre est compliqué et ne se fera pas que par la technologie mais par un mix entre humain et technologie. Ce qui suppose déjà qu’on ait assez confiance dans l’humain pour le laisser influer sur le système et qu’on lui donne les moyens de le faire.

Et tant que j’y suis je vous partage une vidéo très intéressante que j’ai trouvé en faisant quelques recherches sur le sujet.

Image : Utilisateurs de fizkes via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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