Vous avez donc compris que l’expérience employé ne consiste pas à ce que que les gens vivent des choses agréables mais les vivent quand ils font leur travail, qu’il y a donc une subtile différence entre « être au travail » et « être en train de travailler » et qu’au final « vivre des choses agréables » signifie »travailler de manière efficace et fluide avec tout le support nécessaire et sans entraves inutiles ». C’est bien. Maintenant il convient d’en tirer les conséquences.
Le vrai travail après les grands principes
En tant que manager au niveau de votre équipe ou que directeur de l’expérience employé à un niveau plus global savoir quels principes directeurs appliquer est assez simple.
1°) Simplifier
2°) Rendre plus fluide
3°) Automatiser
Tout cela est très bien mais une fois qu’on a dit ça on fait quoi ? Quand il s’agit de transformer une organisation la prophétie autoréalisatrice ne fonctionne pas. Utiliser des méthodes « soft » comme le travail sur les soft skills ou je ne sais quelle forme d'(auto) coaching peut accompagner mais ne changera rien au problème car on ne parle pas ici que de mauvaises habitudes prises par les collaborateurs mais surtout de règles et process prescrits par l’entreprise.
Il faut une vision claire de ce qui coince pour pouvoir s’y attaquer et pour cela il y faut descendre dans les détails.
L’expérience est dans les détails
C’est très intéressant de demander à un manager ce que font ses collaborateurs au travail. Quand vous posez la question la réponse la plus naturelle et logique est de décrire la mission des uns et des autres. Mais ça n’est pas la question posée : la mission c’est qu’ils doivent accomplir, pas comment ils le font.
Alors quand on commence à creuser le « comment » on arrive à avoir une liste d’activités à un niveau assez macro qui décrit le quotidien de leurs collaborateurs. « Ils font des rendez vous », « ils élaborent des propositions commerciales », « ils suivent la rentabilité des projets », « ils organisent et pilotent des ressources », « ils font telle ou telle chose sur la base de telles instructions », « ils font tel type de reporting », « ils assurent le lien entre xxxx et xxxx »…
Rien de surprenant ou de choquant ici. On est encore dans le « quoi ». Mais on peut déjà se rendre compte que certains pans de leur activité pourraient déjà être automatisés.
Non, le « comment » demande de rentrer dans un niveau de détail encore supérieur. A savoir, et a minima
- Qu’est ce qui déclenche cette activité
- De quelles information disposent ils à ce moment. Comment sont elles transmises, par qui, où se trouvent elles.
- Le flux de tâches qui composent cette activité est il formalisé (même de manières large pour les choses qui demandent de l’adaptabilité), existe-t-il une « check list » des choses à ne pas oublier (très utile pour les nouveaux mais pas uniquement). est il, justement, rigide ou flexible ?
- Doivent ils réinventer la roue à chaque fois ou des templates de livrables existent-ils ?
- L’information dont ils ont besoin est elle facilement disponible et utilisable ? Doivent ils la retraiter pour pouvoir l’utiliser ?
- De manière générale quel est le cycle de vie de l’information utilisée ? Passe-t-elle de manière fluide d’outil en outil, de traitement en traitement, passe-t-on son temps à faire du copier/coller d’un outil à un autre ? Qui saisit quelle information ? Qui l’utilise ? Qui la traite et la retraite ? Combien de temps tout cela prend ?
- Que se passe-t-il en cas de « problème » ? Selon les types de problème comment, à quelles conditions, en mobilisant qui, en procédant comment et selon quel procédure obtient on une solution ?
- Quelles validations sont nécessaires en cours de flux ? Provenant de qui ? Sur la base de quoi ? A quelle vitesse sont elles obtenues ?
- Quel est le reporting nécessaire ? Sur quelles données s’appuie-t-il ? Quel volume de travail suppose-t-il ? A quel rythme.
- Quelles sont les interfaces de pilotage et de contrôle ? Quelles réunions (et comment sont elles suivies et préparées), avec qui, à quel rythme, quelles en sont les inputs et les inputs, quelle charge de travaille demandent elles ?
- Quelles autres personnes interviennent ? Comment se passe la collaboration, la coordination entre ces personnes et a fortiori lorsqu’elles ne sont pas membres de la même équipe ?
- Comment les personnes sont elles managées ? Quel est le style de management voire de leadership du ou des managers ?
- Si l’activité mobilise différentes personnes dans une équipe voire (et surtout) des personnes de différentes équipes, quels sont les objectifs de chacun, sont ils cohérentes et alignés pour une seule et même personne, cohérents et alignés au sein de l’équipe ?
Bon ça n’est qu’un aperçu mais c’est déjà une base de départ et en tout cas c’est le seul et unique moyen de savoir ce que font vraiment vos équipes quand elles travaillent ! Et je suis au regret de dire que beaucoup de managers n’ont qu’une vision très parcellaire du sujet ou ne mesurent pas l’ampleur des dégâts. Pire encore quand on remonte d’un niveau : leurs propres managers n’ont que faire du sujet et le manager intermédiaire se retrouve entre le marteau et l’enclume, entre des gens qui demandent tout et n’importe quoi et toujours plus vite et des équipes au bord du point de rupture.
Ce que vous apprenez quand regardez ce que font les gens au travail
La liste des conclusions que vous pouvez tirer d’une telle analyse est quasi infinie. Mais des choses devraient vous étonner voire vous indigner :
- Le manque de formalisation : des choses se passent mais personne ne sait trop comment, les process se transmettent oralement de fait que les nouveaux sont perdus et que chacun fait un peu les choses à sa manière.
- Des points de friction à à peu près toutes les étapes.
- La confusion entre formalisme et rigidité : donner une ligne directrice est indispensable mais dans de nombreux cas il faut permettre au collaborateur de s’adapter à son contexte en restant fidèle non pas à la règle mais à son esprit.
- Le nombre d’étapes inutiles qui pourraient être supprimées ou automatisées.
- Le temps perdu à saisir, traiter, retraiter de l’information et à la basculer d’un outil à un autre.
- Le temps perdu en réunions et en fabrication de documents qui alimentent ces réunions.
- La lenteur des processus décisionnels peu adaptées à l’exigence de vitesse qu’on fait porter au terrain. Idem pour la résolution de problèmes et le besoin de pouvoir trouver seul ou en groupe une solution et la mettre en œuvre.
- Des process en général conçus pour faire gagner du temps à une fonction en mettant la charge de travail sur une autre et, généralement, qui reportent sur les opérationnels une partie du travail des fonctions support qui organisent ainsi leur efficacité au détriment de celle des autres.
- L’incohérence des objectifs de différentes personnes contribuant à une activité, notamment lorsqu’elle implique des personnes de différentes équipes. Quand l’un est mesuré sur un indicateur et l’autre sur un autre je vous promets que les arbitrages sont tout sauf évident.
- Des collaborateurs qui passent leur temps à réinventer la roue.
- On a transformé des salariés soit disant opérationnels en bureaucrates, qu’ils en souffrent, qu’on continue à les évaluer sur l’opérationnel alors qu’ils passent 70% à faire de l’administratif.
- Vous ne pouvez pas changer, seul, les choses au niveau de vos équipes car beaucoup de choses que vous ferez aura un impact sur d’autres équipes (et réciproquement). Il faudra donc travailler de manière conjointe.
J’arrête la liste ici et je vous laisse la compléter selon votre propre expérience.
Et une fois qu’on sait ce que font les gens au travail on fait quoi ?
Une fois ce sain travail effectué vous aurez une vision assez claire du sujet et de vos problèmes. Vous relativiserez aussi l’importance du budget playstation que vous avez voté pour la salle de repos et de votre dernière initiative well being (ce qui ne remet en rien en cause son importance).
Vous aurez compris pourquoi vos équipes souffrent, sont frustrées, pourquoi la masse de talent à votre disposition ne produit pas les résultats escomptés et au final pourquoi vous gaspillez « un pognons dingue » en faisant essayant de faire tourner à pleine vitesse une machine grippée, au risque en plus de la casser.
Mais ensuite comment remettre les choses en ordre ? On en parle dans un prochain billet bien sûr (vous avez vu j’essaie de me soigner d’écrire des articles trop longs).
Image : employé fatigué de Ollyy via Shutterstock