Transformer l’ expérience opérationnelle de travail : les pièges à éviter

Une fois qu’on a pris conscience de ce que les collaborateurs font vraiment au travail et qu’on a identifié tous les facteurs qui génèrent de la frustration, de la douleur et de l’inefficacité, reste à savoir comment améliorer les choses au bénéfice de votre expérience employé et donc in fine de vos clients, de votre entreprise et de vos collaborateurs.

Dans ce domaine, améliorer les choses ne signifie que rarement se contenter de mesures superficielles. Oui parfois une partie du problème se situe au niveau du collaborateur et c’est à lui de travailler sur lui. Problèmes d’organisation, de priorisation, de lâcher prise, de séparation entre sa vie professionnelle et sa vie privée dans le cadre d’un télétravail imposé et mal vécu, voire problèmes avec le travail à distance tout court…

Oui ces cas existent et sont à traiter pour tout ou partie au niveau de l’individu par le biais d’un (auto?) coaching et d’un programme orienté soft skills. Mais cela ne fait pas tout et en matière d’expérience employé dans le domaine opérationnel le remède se trouve au niveau du système et pas de l’individu.

Comment procéder vu l’ampleur et la complexité du sujet ?

Apprendre à changer la roue d’une voiture qui roule

Avant de se bercer d’illusions il faut bien se rappeler le contexte qu’on connait tous mais que certains aiment oublier tout autant que d’autres s’en servent un peu trop volontiers comme prétexte à ne rien faire.

Vos équipes ont une mission, un travail à faire au quotidien. C’est pour cela qu’elles sont là, qu’on les paie et le critère sur lequel on les mesure.

A côté de cela vous allez avoir un plan de transformation. De vraie transformation dans la mesure où on va toucher aux process, au flux de travail, aux rôles, outils, interfaces de pilotage, contrôle et coordination… Une tâche qui constituera un projet en tant que tel. En plus des projets du quotidien qui permettent de faire tourner l’entreprise.

Vous aurez même différents projets de transformation. Pour l’avoir fait et le faire moi-même, vous n’allez pas pouvoir adresser toutes les activités de votre équipe au travers d’un chantier unique. C’est irréaliste. Pour ma part j’ai identifié 5 volets à mon projet dès le premier jour sachant que d’autres sont apparus ensuite au fil du temps. Il a donc fallu les prioriser voire les faire avancer par moment de front ou alternativement en fonction de leurs interdépendances.

Vous allez donc devoir mener la transformation de votre modèle opérationnel (car c’est bien de cela qu’on qu’on parle sous le terme plus vendeur et racoleur d’expérience employé) en même temps que le modèle et l’organisation actuels fonctionnent. En même temps et souvent contre !

En effet l’héritage du taylorisme est fort dans nos entreprises et même dans les entreprises dites de service ou dont le métier constitue à transformer et fabriquer de l’information ou du savoir. Elles sont conçues selon le modèle industriel historique dont l’objectif et de « répliquer la perfection à l’infini » en considérant (à juste titre dans ce contexte très précis) qu’écarts et exceptions sont les ennemis. Aujourd’hui lorsqu’on essaie, justement, de faire faire un écart à une organisation dans un contexte où l’exception devient la norme pour certaines industries, le modèle protecteur marque simplement contre son camp.

L’entreprise (et surtout en France) est également vaccinée contre ce qui n’a pas été inventé par elle. Le syndrome « NIH » pour « Not Invented Here » tue chaque année de nombreux virus (ou vus comme tels) qui ne sont que des idées « importées » de l’extérieur. Mais aujourd’hui dans de nombreux domaines les bonnes idées ont déjà été inventées ailleurs, l’expérience existe déjà ailleurs, reste à comprendre ce qu’il faut en retenir et comment l’adapter sans copier bêtement. Mais un filtre demeure qui empêche encore trop souvent d’en arriver là.

Donc transformer l’expérience opérationnelle de ses employés c’est non seulement changer la roue d’une voiture qui roule mais, qui plus est, avec une roue munie d’écrous antivol !

C’est tout ce qui distingue les startups qu’on ne cesse d’ériger en exemple pour leurs modèles novateurs des entreprises existantes. Démarrer d’une feuille blanche et transformer une organisation qui fonctionne sont deux choses radicalement différentes. Je ne sais pas ce que les fondateurs d’Amazon, Tesla ou Spotify auraient fait si ils avaient du reprendre un de leurs concurrents de l' »ancien monde ». D’ailleurs dans le cas de Tesla on se rend également compte que le modèle industriel n’est pas scalable et qu’il faut désormais copier les « anciens » du secteur. L’exemple de comment s’est transformé un Netflix (qui au départ louait des DVD) ou comment se sont transformés au fil du temps des GE, des IBM, des St Gobain, des Peugeot et en général toutes ces entreprises centenaires ou presque est au moins aussi intéressant.

Le grand soir ou les petits matins ?

Dans le monde digital et dès lors qu’une déferlante semble pousser d’un seul coup les entreprises au changement on parle souvent de révolution. On a bien vu ce qu’il en est de toutes les révolutions qu’on a vu passer ces dernières années : révolution digitale, révolution de la data, révolution des nouvelles générations, révolution du web 2.0 dans les années 2000….au final tout cela s’est passé ou se passera mais dans les faits sur des logiques de 5 à 10 ans au moins. Pas vraiment une révolution.

Sauf à pouvoir tout arrêter, cesser de travailler, et rédemarrer, oubliez le big bang. Il faudra faire de l’incrémental. Le Big Bang sera pour quand vous lancerez une nouvelle activité, créerez un nouveau département. Pour le reste il faudra avancer pas à pas. Avec fermeté mais pas à pas. Et, comme on l’a dit, justement améliorer peu à peu un dispositif pendant qu’il fonctionne.

Créer de la confiance, vite !

J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : vos équipes n’auront, en tout cas au début, rien à faire de votre projet. Pour ensuite c’est à vous justement de gagner leur confiance.

En effet des projets de transformation ils en ont vu plein et quasiment aucun n’est allé au bout. En plus ils estiment pour de bonnes ou de mauvaises raisons cela ne leur a jamais profité voire a empiré les choses pour eux. Alors pour avoir leur adhésion il va falloir montrer patte blanche et gagner leur adhésion.

Le premier moyen pour y arriver est de montrer des bénéfices rapides, les fameux quick wins. On fait une annonce et très vite ils tirent avantage de ce qui se met en place. Simple question d’exemplarité et de preuve par l’exemple.

Pour être honnête je n’ai jamais été fan de cette approche mais je l’ai adoptée car elle fonctionne. C’est tout, il faut savoir être pragmatique. C’est aussi une question de personnalité

  • J’aime faire les choses dans l’ordre et avec logique
  • J’aime traiter les sujets de fond et d' »infrastructure » (humaine, technologique, organisationnelle) avant de construire dessus.
  • Même si je sais que tout change au fil du temps et que des sujets/problèmes nouveaux ne peuvent qu’émerger au fil du temps j’aime bien anticiper autant que possible.
  • Parfois il faut traiter des sujets de fond, invisible, avant de faire les choses visibles. Mais pour donner de la réalité au changement il faut parfois savoir bricoler des choses visibles et qui fonctionnent, quitte à y revenir plus tard pour terminer le travail ou les refaire en mieux.

D’autres sont plus à l’aise avec la notion de « bricolage provisoire » (dans le sens noble du terme) mais en tant qu’adepte du principe de réalité je m’y suis vite converti.

De la visibilité et du rythme SVP !

Un autre problème qui se pose avec ce type de projet de fond qui se passe en parallèle du « vrai travail » c’est

  • Qu’ils peuvent ralentir voire être oubliés ou mis en sommeil car il y a toujours d’autres sujets qui peuvent accaparer notre attention et sans capacité à faire la part des choses entre court et long terme la tyrannie du court terme l’emportera toujours.
  • Que les collaborateurs n’aiment pas les effet tunnel. Des quick wins oui mais si rien ne se passe ensuite c’est comme si on avait rien fait.

Il faut donc donner de la visibilité et du rythme à ces projets. Et là je ne rentrerai pas davantage dans les détails car ça fera l’objet de nombreux billets à venir.

Disons juste, pour vous donner quelques pistes, que

  • L’agilité ne s’applique pas qu’aux équipes IT
  • C’est une approche idéale pour faire vivre des projets de fond en parallèle du business quotidien.
  • Qui permet de se focaliser sur la valeur pour l’utilisateur final, pour l’entreprise et sur rien d’autre
  • Qui repose sur la livraison d’incréments.

Je n’en dit pas plus, on aura l’occasion de rentrer dans les détails plus tard.

Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin !

Si vos équipes vivent dans une bulle vous avez de la chance. En général pour tout ou partie de leurs activités ils vont travailler avec des gens d’autres équipes.

  • Parce que leurs fonctions font qu’ils se partagent un sujet et doivent collaborer.
  • Parce que l’input ou l’output de leur activité vient ou va à une autre équipe
  • Parce que vous avez besoin de personnes d’autres départements pour changer les choses (à commencer par l’IT…)

Ne travailler qu’a améliorer l’expérience opérationnelle de vos propres équipes sans prendre en compte ceux avec qui ils travaillent c’est un peu comme changer votre tuyauterie sans se brancher sur l’alimentation / évacuation de l’immeuble : cela ne fonctionne pas et peut même faire empirer la situation.

Les risques :

  • Créer des effets de bord chez les autres et ne faire que déplacer le problème
  • Créer des ruptures de flux de travail et d’information entre vos équipes et les autres

Je ne vois ici les risques que sous l’angle de leur impact organisationnel et de l’expérience employé. Il y a bien sûr des impacts humains associés, des frictions que cela peut générer en différentes équipes, du ressenti à votre égard…

Il est donc utile d’intégrer les personnes concernées (en tout cas les managers) de manière permanente ou ponctuelle dans la gouvernance de votre projet.

Autre dimension du sujet « collectif » : le design de l’expérience employé cible. Plus on implique les personnes concernées plus on trouve de solutions pertinentes et mieux elles sont adoptées. Mais pour les raisons invoquées plus haut ne surestimez pas la capacité de vos collaborateurs à s’impliquer. En tout cas pas tous, pas dès le début, pas tout temps et pas avec le même niveau d’implication. Il faudra trouver la bonne articulation entre la volonté de faire participer et la nécessité de garder le rythme et avancer.

Savoir choisir ses combats

Comme vous avez vu le voir dans le billet que je cite en introduction de celui-ci, l’amélioration de l’expérience opérationnelle des collaborateurs est un sujet humain et opérationnel qui demande une certaine technicité et surtout d’aller mettre les mains dans des sujets plus ou moins sensibles, complexes (voire compliqués) et dans des domaines où on n’est pas légitime et où on n’est pas décisionnaires.

Alors selon que vous n’êtes qu’un « simple » manager qui veut changer les choses à son niveau, directeur d’un département ou membre du Comex qui porte la responsabilité de cette transformation pour toute l’entreprise tous les domaines ne seront pas faciles d’accès voire certains vous resteront interdits.

Inutile de provoquer une guerre interne et aller mener des combats perdus d’avance qui ne risquent que de vous affaiblir, quand bien même vous seriez sûr de vous et avec des convictions profondes.

Faites ce que vous pouvez à votre niveau. Plus cela fonctionnera plus vous gagnerez de la légitimité et des alliés pour aller plus loin par la suite. Et mettez ce temps à profit pour vous faire des alliés chez ceux qui décident et pourront un jour prendre les décisions et porter le risque au bon niveau, à votre place.

Car il ne faut pas oublier quand quand on fait bouger les lignes, il n’y a qu’une seule chose qui limite ce qu’on peut faire : la capacité de vos supérieurs hiérarchiques à vous protéger et prendre les coups pour vous.

L’expérience opérationnelle des salariés : une transformation structurante comme une autre

Si vous avez l’expérience des projets de transformation « structurants » ce billet ne vous a absolument rien appris, juste rappelé ce que vous saviez déjà.

Par contre si vous pensiez qu’améliorer l’expérience employé c’était principalement ajouter des initiatives de surface sans toucher à la dimension opérationnelle du travail, vous savez désormais ce à côté de quoi vous passez. Si cela ne correspond pas à votre profil, que vous soyez manager ou, et surtout, pilote d’un programme expérience employé, on comprendra que vous ne nous y risquiez pas. Mais dans ce cas, merci de laisser votre job à quelqu’un qui a les convictions, les épaules et les compétences pour le faire car en attendant vous faites perdre du temps à tout le monde et ne contribuez en rien à régler la dimension principale du sujet.

Il reste encore à voir comment cela se manifeste dans la « vraie vie ». On en parle dans un prochain billet…

Image : Design d’expérience employé de GaudiLab via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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