Lorsqu’on regarde la manière dont les entreprises s’y prennent pour améliorer le travail des collaborateurs on observe trois types d’initiatives.
Trois niveaux d’intervention pour l’expérience employé
Les premières sont périphériques au travail et d’ailleurs on peut se demander si elles ont leur place ici car elles jouent la nuance entre « au travail » et « pendant le travail ». Ce sont en gros tout ce qui touche à l’expérience employé hors contexte métier, à la qualité de vie au travail etc.
Exemple : le collaborateur qui profite des avantages de son comité d’entreprise est au travail tout comme celui joue à la playstation dans le coin dédié de l’open space, profite de la salle de gym nouvellement installée ou du cours de yoga dispensé pendant la pause de midi. A l’inverse celui qui est à son bureau devant son ordinateur en train de faire son travail ou derrière une machine en train d’affiner ses réglages sont en train de travailler.
Les secondes se passent dans le flux de travail, peu importe que ce flux soit rigide ou informel afin de supprimer les points de friction, de rendre les choses plus fluides.
Exemple : simplification et digitalisation des process, mise en place d’une démarche Lean/Agile, dispositifs d’automatisation des tâches et du reporting.
Les troisièmes sont à la frontière entre les deux premières quoiqu’à mon avis plus proches des secondes. Elles touchent le contexte dans lequel le collaborateur fait son travail, ce sont les choses qui font que le flux de travail est fluidifié et facilité.
Exemple : travail sur les soft skills des collaborateurs, mise en place d’un modèle managérial, dispositifs et outils de formation, de fixation des objectifs, mise en place du digital workplace totalement intégrée avec emphase sur l’intégration entre outils métiers d’un côté et outils collaboratifs et métier de l’autre
Impact vs Durabilité
Lesquelles sont les plus importantes ? Je ne pense pas que ce soit la bonne manière dont poser la question. Pour moi toutes ces approches sont aussi importantes mais ne visent pas les mêmes objectifs.
Impact business | Nature | Catégorie | |
Périphériques au flux de travail | Faible | Qualitative | Durabilité |
Dans le flux de travail | Fort | Opérationnelle | Business |
Sur le contexte du flux de travail | Relatif | Transformative | Infrastructure |
Tout cela mérite quelques explications.
Les initiatives périphériques au flux de travail ont un impact sur le business qui ne se manifeste que dans la durée et qui s’il est certain reste mineur par rapport aux deux autres. Il s’agit davantage d’améliorer la relation qualitative de l’individu à l’entreprise, au travail pour lui permettre de s’inscrire dans la durée sans essoufflement physique ou mental.
Les initiatives portant sur le flux de travail ont un impact business fort car on touche à l’activité même de production et de création de valeur. On est donc dans une logique d’excellence opérationnelle tant du point de vue de l’organisation que des individus. L’objectif est donc exclusivement business.
Les initiatives portant sur le contexte du flux travail de travail n’ont qu’un impact relatif sur le business. En effet il s’agit de mettre un potentiel au service de l’organisation et du collaborateur, un potentiel de compétences, d’outils…. mais ce potentiel ne sera exploité que si les opérations (le flux de travail) sont pensés pour en tirer partie en transformant le potentiel en valeur. Ici on crée donc une sorte d’infrastructure qui rend les choses possibles.
Les leçons apprises du collaboratif
Pour les plus anciens de mes lecteurs cela se sera pas sans rappeler des débats qu’on avait déjà dans les années 2005-2010 lorsqu’on parlait de collaboration et plus spécifiquement de nouvelles formes et usages rendues possibles par les outils du web social comme les réseaux sociaux d’entreprise.
On distinguait alors la collaboration « in the flow » qui se passait dans le cadre des process de l’entreprise et la collaboration « above the flow » qui était purement volontaire et informelle, se passait hors du flux de travail même si elle avait vocation à y contribuer.
Vu qu’on a déjà connu la même situation et qu’on sait d’ailleurs pourquoi le problème n’est toujours pas résolu on peut s’appuyer dessus pour accélérer notre courbe d’apprentissage au niveau de l’expérience employé.
1°) Ca n’est pas une question de business mais de culture
Choisissez une personne, donnez lui le sujet, la manière dont elle se positionnera vis à vis des trois approches sera le résultat de sa culture et de celle de l’entreprise. Vous verrez les gens qui ont un prisme 100% humain, ceux qui sont drivés par l’organisation et les process et ceux qui sont entre les deux et veulent faire avancer les deux ensemble de manière cohérente.
2°) « Ou » vs « Et »
Vu que le débat est d’ordre culturel on va avoir tendance à opposer l’intérêt et les bénéfices de telle ou telle approche alors qu’elles sont indispensablement complémentaires.
3°) On ne touche pas au coeur du réacteur
Plus on s’approche du flux de travail plus l’organisation se protège de tout changement de manière quasi inconsciente. On vous laissera plus facilement acheter des playstations pour la salle de repos que changer la manière dont le travail est effectivement fait.
4°) Mais à la fin il y a le business
Levitt nous disait que le but d’une entreprise est « créer et conserver des clients ». Dit autrement à la fin c’est la dimension business qui est la finalité du dispositif même si elle a besoin des deux autres. Sinon elle sera rapidement dysfonctionnelle et peu durable en termes de performance. Là encore il ne faut pas de tromper : l’idée n’est pas de dire qu’elle seule compte mais que tout ce qui fait ailleurs et qui n’y contribue pas par nature n’a aucune utilité et que ce qui y contribue par nature mais n’y est pas utilisé est gâché.
5°) Le besoin d’allier vision et compétence métier pour transformer
A l’époque je disais qu’on ne pouvait pas être « expert en collaboration » car sans connaissance du métier des collaborateurs on n’avait que des principes à appliquer. Des principes qui peuvent être novateurs, qui peuvent changer les choses mais qui doivent se traduire dans la réalité du terrain pour chaque collaborateur, pour chaque équipe. Il en est de même pour l’expérience employé : c’est une vision plus qu’un métier : le métier demande une connaissance du terrain pour avoir un impact. Si une personne ne peut avoir les deux alors elle doit se faire des alliés sur le terrain.
Le plafond de verre
Le concept d’expérience employé se heurte au même plafond de verre que nombre d’autres sujets avant lui : casser le plafond de verre qui sépare les bonnes intentions des opérations.
La bonne nouvelle c’est que côté expérience client cela a été fait. Mais on sait tous qu’il est plus facile de projeter le changement vers l’extérieur que se changer soi-même, même si à un moment l’écart entre les deux devient tellement important qu’il devient insupportable. Raison de plus pour changer ?
Image : les deux facettes du cerveau de Alberto Loose via Shutterstock