Quelle méthode pour concevoir votre expérience employé ?

Vous avez récolté des besoins et des idées, vous les avez priorisé, mais maintenant reste la question primordiale : « on fait quoi ? ».

Identifier un point de friction est une chose, l’adresser en est une autre. Faut il juste améliorer ? Transformer les choses en profondeur ? Quelle est la cible idéale pour le collaborateur ? Pour les autres personnes impactées ?

Parfois la solution vient toute seule

Parfois la solution vient d’elle-même et est évidente. A problème simple réponse simple. C’est dans ce cas que les boites à idées fonctionnent le mieux, mais pour les choses les plus complexes il est souvent nécessaire de remonter du problème perçu par le collaborateur aux causes premières et on se retrouve à devoir véritablement designer des solutions, des parcours dans intégralité.

Je rappelle juste à ce ce propos que ce qu’on appelle « parcours » et que certains mettent spontanément dans la case « design et autres légèretés » est une autre manière de dire « process ». Il s’agit des deux facettes d’une même réalité : ce que les collaborateurs vivent et la manière dont l’entreprise s’organise pour que cela fonctionne. Le débat étant ensuite de savoir lequel prend la main sur l’autre.

Cela implique de plus souvent de prendre en compte les besoins, contraintes et possiblement les intérêts divergents de plusieurs types de population.

Tout seul on va dans le mur…

Devant tant de complexité on peut être tenté d’y aller tout seul et de tout penser en mode « top-down ». Après tout avec quelques bons cerveaux en haut de l’échelle on doit facilement résoudre tous les problèmes qui se trouvent en bas.

Cela n’est pas propre à l’expérience employé mais comme c’est notre sujet profitons en pour rappeler quelque chose que tout le monde devrait savoir à défaut de le mettre en œuvre : cela ne fonctionne pas.

Le « haut » peut décider des grands axes, arbitrer au niveau du « quoi » (les problèmes à adresser) mais pas au niveau du « comment » (ce qu’on va mettre en œuvre pour le résoudre). Et cela pour deux raisons évidentes :

  • La première est que ce qui « tombe du ciel » est généralement mal accepté en terme de conduite du changement. Les relais que vous devez mobiliser pour mettre en œuvre et porter le changement sur le terrain vont y aller à reculons et l’utilisateur final refusera ou contournera ce qu’on lui propose.

Je suis le premier à dire que lorsqu’on résout les problèmes des gens et qu’on leur simplifie le travail ils acceptent en général de bon cœur et en général cela se vérifie. Mais parfois cela n’arrive pas et plus souvent qu’on ne le croit et ce pour deux raisons. Soit que la méthode ne plait pas (« les gens ne détestent pas le changement mais la manière dont vous voulez les faire changer ») soit que la solution ne leur convient pas. C’est justement la deuxième cause d’échec.

  • La seconde est que la solution ne règle aucun problème. J’ai parfois eu à discuter avec des RH ou des gens de la fonction expérience employé quoi voulaient « transformer ce que les gens vivent sur le terrain » et m’annonçaient une foule d’initiative de leur cru qu’ils comptaient déployer.

Là j’ai une question. Comment en étant au siège, en étant dans les hautes strates de l’entreprise peut on envisager de transformer le quotidien des gens, si on part bien sûr du principe que leur quotidien c’est de travailler.

Même avec la meilleure volonté du monde qui sait vraiment ce qui vivent et ressentent des conseillers clients dans un magasin, un chef de projet, une hôtesse de l’air, un opérateur dans une usine, une assistante…

Quand j’ai voulu m’attaquer au problème il a fallu que je rentre véritablement dans le quotidien des gens pour comprendre ce qu’ils faisaient vraiment. Pas seulement leur métier de manière macro mais toutes leurs tâches, leur flux de travail. Il a fallu cartographier tous les flux et les process pour objectiver ce qui se passait et en discuter. Et à ce moment là on a qu’une vision objective et rationnelle des choses, ce qui ne suffit pas. On peut objectivement comprendre que cela ne va pas, mais on n’a pas le ressenti de quelqu’un qui le vit jour après jour, mois après mois, année après année.

Donc penser les choses seul ou en petit comité hors sol et déconnecté du client ne fonctionne pas.

…mais ensemble on fait mieux…

La solution est connue et largement mise en œuvre : associer le terrain et les différentes parties prenantes qui, je le répète, ne font pas nécessairement partie de la population concernée. Changez quelque chose sur le terrain et vous aurez un impact sur les fonctions support. On peut se dire que ce changement peut les braquer mais souvent vous vous rendrez compte que la situation actuelle ne leur convient pas non plus. Mais sans les impliquer il est impossible de le savoir et de les convaincre.

Quand on dit associer tout le monde ne comprend pas la même chose. Pour certains c’est informer, pour d’autres c’est écouter, pour d’autres enfin c’est collaborer.

Aujourd’hui ce qu’on voit comme la panacée est le design thinking. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la démarche c’est c’est une approche de l’innovation et de son management a mi-chemin entre pensée analytique et intuitive. Il s’appuie sur un processus de co-créativité impliquant des retours de l’utilisateur final. Le point de départ est la compréhension non seulement du besoin du « client » mais aussi de son ressenti voire de son contexte.

La littérature sur le sujet est à ce point abondante sur les entreprises qui se sont transformées grâce au design thinking que je ne m’étendrai pas sur le sujet. J’ajouterai tout de même que le design thinking est à la base du design sprint, une méthodologie que j’affectionne car elle permet de résoudre des défis organisationnels, managériaux et opérationnels de manière relativement agile et, chose primordiale, sous contrainte de temps.

Vous pourrez lire par exemple comment IBM a co-créé sont expérience employé avec ses collaborateurs en utilisante le design thinking.

Pour faire court si vous désirez arriver des solutions qui fonctionnement vraiment c’est l’approche à utiliser.

Mais je n’ai pas pris l’exemple d’IBM par hasard. Certains y verront la preuve que cela fonctionne dans une très grande entreprise et à grande échelle. Moi j’y vois la preuve que….cela fonctionne dans une très grande entreprise et à grande échelle.

…encore faut il avoir les ressources pour le faire

Tout le monde n’est pas IBM, tout le monde n’est pas une entreprise de plusieurs centaines de milliers de collaborateurs. Et même dans une grande entreprise, parfois on arrivera à devoir penser des choses sur un périmètre d’une centaine voire d’une dizaine d’employés.

Cela me rappelle un vieux débat sur la participation des salariés sur les réseaux sociaux d’entreprise qui touche finalement à une problématique assez similaire.

Quand vous êtes 300 000 vous trouverez toujours les quelques personnes nécessaires pour créer une dynamique, pour participer. Parce que peu importe la taille de la population finale adressée la taille du noyau dure ne change pas. Quand vous avez 5 ou 10 personnes hyper actives dans une communauté elle fonctionnera, peu importe que l’audience passive (ceux qui lisent régulièrement ou occasionnellement) soit de 100, 1 000, 10 000 ou 100 000 personnes. Ne disait on pas que ces dynamiques dites communautaires fonctionnaient sur la règle du 1-9-90 ? 1% de contributeurs actifs, 10% de participants (qui commentent) et 90% de passifs qui se content de lire ?

Si vous êtres à l’échelle d’une PME ou d’une petite unité d’une grande entreprise il vous sera moins facile de mobiliser les 5 ou 10 personnes nécessaires que si vous pouvez piocher dans un réservoir de 100 000 personnes. L’expérience de onboarding d’une grand entreprise concerne tout le monde alors que revoir l’expérience opérationnelle d’une équipe de 10 personnes ne concerne que les 10 personnes. Quand on sait que mobiliser des personnes sur une telle démarche revient à les enlever des opérations, cela peut revenir à sérieusement dégrader le fonctionnement de l’entreprise même pour un temps court.

Disons les choses franchement : tout le monde n’aura pas le luxe de pouvoir constituer un groupe de 10 personnes pour mener un design sprint d’une semaine !

Ca c’est pour la contrainte « logistique ». Je passerai sur le fait que tout le monde n’ait pas envie de s’impliquer ou que certains, désabusés par toutes les promesses faites par le passé et jamais tenues, considèrent qu’ils ont mieux à faire.

Des feedbacks valent mieux que rien

Beaucoup auront donc à trouver une sorte de voie médiane. Je ne suis pas convaincu qu’il existe une recette magique en la matière mais il y en a une que j’ai vu et fait fonctionner.

Le contexte : devoir transformer l’expérience employé opérationnelle (donc au cœur du flux de travail) d’une équipe globalement surchargée de travail, au coeur du business de l’entreprise (donc chaque heure passée à autre chose que leur travail a un impact sur le chiffre d’affaire) dont certains ne croyaient plus à la capacité de l’entreprise à se transformer et améliorer les choses pour eux.

Inutile au départ de penser les impliquer fortement. Par contre avoir une discussion avec chacun sur le thème « qu’est ce qui t’empêche de faire ton travail aussi bien que tu le voudrais » est possible.

Ensuite il a fallu sur cette base formaliser et cartographier leurs « parcours » quotidiens et leurs flux de travail. Normalement si vous êtes leur manager cela ne devrait pas poser de problème et si c’est le cas vous devriez sérieusement penser à changer de job.

A première vue il y a des améliorations et surtout des simplifications évidentes à trouver et vous aurez certainement glané un bon nombre d’idées, bonnes ou mauvaises, lors de vos entretiens. Il n’est donc pas compliqué de proposer un premier jet d’expériences (autrement dit flux de travail) amélioré.

C’est à ce moment là qu’il ne faut pas commettre l’erreur évoquée au début de cet article qui est de vouloir continuer seul. Penser seul, idéalement, après avoir consulté est une chose, mais c’est passer immédiatement à l’exécution qui est le vrai problème.

S’il n’est pas facile dans certains contextes d’impliquer des gens sur la conception de la solution, ils réagiront volontiers à une première version d’une solution que vous aurez conçu. Pourquoi ?

  • Parce que les choses deviennent concrètes et ils voient que ça n’est pas un idée qui n’aboutira pas.
  • Parce que s’ils n’ont pas été beaucoup impliqués sur l’élaboration de cette proposition ils savent qu’ils en sont un peu responsables.
  • Parce que vu que cela devient concret ils savent qu’ils ont une chance de donner leur avis si la proposition ne leur semble pas pertinente, que c’est peut être la dernière occasion et que là s’ils ne disent rien ils seront vraiment responsables de voir arriver quelque chose qui ne leur convient pas.

A ce moment vous devez arriver à un niveau d’implication et de participation que vous n’auriez pas eu autrement. Sans atteindre ce que vous auriez dans une vraie approche de design thinking vous pouvez collecter de nombreux feedbacks qui vous permettent d’améliorer votre proposition et avancer par itérations successives.

Le revers de la médaille c’est que c’est à vous de beaucoup travailler en vous contentant de feedbacks et pas d’une participation active et synchrone à la conception mais c’est mieux que rien et c’est le prix à payer pour faire avancer les choses.

Mais cela a des effets positifs à moyen et long terme. Une fois que vos équipes auront eu la preuve par l’exemple vous aurez à l’avenir de plus en plus de participation spontanée et plus d’envie de le faire même si pour des raisons opérationnelles vous ne pourrez pas les mobiliser autant que vous le voudriez.

Ensuite c’est le premier pas pour faire rentrer l’équipe dans une démarche d’amélioration continue à long terme dont je vous parlerai ultérieurement.

Tout est question de dosage

« Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » dit le proverbe. Et j’ajouterai… »on fait mieux ». Mais il y a pleins de raisons qui empêchent d’aller ensemble ou de le faire dans un délais raisonnable et dans ces cas il faut, même à regret, accepter d’avancer en mode dégradé.

Dans un monde idéal on on conçoit les choses ensemble mais il faut savoir se contenter de faire réagir les autres sur ce qu’on a fait seul, idéalement après les avoir consulté. Mais en aucun cas tout faire tout seul et mettre les gens devant le fait accompli, ce qui est valable pour tout changement d’ailleurs.

Image : Design d’Expérience de REDPIXEL.PL via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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