Quand une lettre nous fait oublier ce qui compte

ASAP, CRM, KPI….que ce soit dans notre vie professionnelle ou personnelle nous raffolons d’acronymes que nous utilisons à longueur de journée.

L’acronyme, précis, véhicule un contexte

L’acronyme a un intérêt : il est court, plus simple à écrire, à prononcer. D’aucuns vous diront également qu’il donne un ton à nos propos, véhicule un contexte. Dès que possible c’est bien, ASAP ça « claque » quand même davantage et la sonorité diffuse un sentiment d’urgence. Parler les KPIs du CRM ça fait quand même plus pro qu’évoquer les indicateurs clé de la relation client, en dehors même du fait que ça soit plus court. En tout cas ça crée une barrière entre « ceux qui savent » et « ceux qui ne savent pas » de quoi on parle.

Et puis l’acronyme ça aide à placer des anglicismes à tout bout de phrase sans utiliser de mot anglais. Je ne fais pas du tout partie de ceux qui font déclaré la guerre aux anglicismes et je trouve que beaucoup d’entre eux véhiculent, justement, un contexte que la traduction française quoi qu’exacte ne véhicule pas, de la même manière que les anglo saxons raffolent de mots français dans certains métiers. Mais au moins l’acronyme permet l’utilisation d’un vocable étranger que je qualifierai de furtive.

Concentré, raccourci, l’acronyme donnerait donc de la force et de la précision à nos propos. En fait pas du tout.

L’acronyme nous fait perdre de vue le sens des choses

Le problème de l’acronyme c’est qu’à se concentrer sur les lettres on en oublie les mots et quand on oublie les mots on perd le sens des choses.Et quand on perd le sens des choses on en fait n’importe quoi car, une fois encore comme le disait Albert Camus, « mal nommer les choses c’est ajouter aux malheurs du monde« .

Quelques exemples courants.

ASAP : As soon as POSSIBLE

Celui là tout le monde le connait, ou presque. Ce qui m’amuse avec lui c’est qu’entre celui qui l’utilise et celui qui l’entend il ne signifie pas en général la même chose. Pourquoi ? On oublie que le P signifie Possible.

Quand une personne dit « ASAP » elle veut souvent dire « immédiatement » sans oser le dire. Celle à qui cela s’adresse pourra, elle, comprendre « dès que possible » ce qui peut vouloir dire dans un certain temps.

Personnellement j’ai toujours un sourire quand quelqu’un me dit « ASAP ». Je sais que la personne veut en général dire « tout de suite ou presque », mais si je prend le terme au pied de la lettre en fonction de mon agenda et de mes priorités je me dis dans un coin de ma tête « d’ici deux semaines au mieux… ».

KPI : KEY Performance Indicator

Nous sommes dans une société qui se drogue à la mesure et quelque chose me dit que c’est davantage pour se donner l’illusion qu’on garde le contrôle que par volonté d’avoir des indicateurs qui permettent de comprendre comment les choses se passent vraiment.

Quand on parle de définir les KPIs d’un dispositif je vois souvent les gens arriver avec 10, 20, 50… chiffres qu’ils aimeraient voir apparaitre dans un tableau de bord. Mon avis, mais ça n’est que mon point de vue, c’est que quand vous suivez 40 indicateurs vous ne voyez plus rien. Cela vous rassure de dire que vous regardez tout mais quand on regarde tout on ne voit rien.

Comme le notait d’ailleurs Yves Morieux dans Smart Simplicity : en 1955 les entreprises avaient entre 4 et 7 impératifs de performance contre entre 25 et 50 aujourd’hui. Dont 50% sont contradictoires entre eux.

Bref, dans KPI le K signifie Clé et tout le monde l’oublie au profit du I de Indicators ! A mon sens il y a 3 KPIs maximum pour quoi que ce soit. Après on peut avoir une foule d’indicateurs de 2e ou 3e niveau pour approfondir lorsque nécessaire mais pour embrasser une situation en un clin d’oeil, savoir si les choses vont bien ou pas et décider de creuser davantage ou non 3 chiffres suffisent.

CRM : Customer RELATIONSHIP Management

CRM veut parfois dire « Crew Relationship Management ». Cela fait partie du vocabulaire du monde de l’aérien et je pense que beaucoup d’entreprises et de managers devraient se former à cette discipline propre aux pilotes et qui permet de communiquer et collaborer efficacement sous stress.

Mais le plus souvent pour nous CRM signifie « Customer RELATIONSHIP Management » ou gestion de la relation client.

Le problème est que dans la plupart des cas on ne prétend pas gérer la relation mais le client. On veut des noms et des information de contact pour mesurer la performance commerciale et assommer les gens à coup de campagne marketing. Le R disparait de la réflexion.

Ce qui manque à la relation client dans beaucoup d’entreprises c’est justement le R. Gérer la relation avec le client non pas d’une manière transactionnelle et quantitative mais relationnelle et qualitative.

RH : Ressources HUMAINES

Et bien oui le H de RH signifie « humaines ». La vérité c’est que beaucoup se concentrent sur la « ressource » en méconnaissant l’humain. Ou l’art de croire qu’on peut faire tenir le monde dans une feuille de calcul !

Les entreprises ont une connaissance administrative de leurs collaborateurs sans vraiment les connaitre en tant que personnes. Même critique, en forçant un peu le trait, pour la gestion des restrictions dues COVID dans certains pays dont la France : non pas qu’elles soient dénuées de rationalité dans l’absolu mais parce qu’elles (ou ceux qui les décident) méconnaissent le fait qu’elles s’adressent et s’appliquent à des être humains.

Dans les entreprises on a déjà des ERP (Enterprise Ressource Planning) qui ont vu le jour au départ dans le monde de l’industrie pour gérer des ressources « non humaines » comme des machines et des matières premières. Si, à côté, les RH se dotent de SIRH ça n’est pas pour gérer des êtres humains comme on gère n’importe quelle autre ressource. Et pourtant…

La blague dans cette histoire c’est que je pense que les entreprises en savent beaucoup plus sur leurs machines, leur historique, pas uniquement leur performance mais aussi comment on les entretenu, comment on les a réparé, comment on en a pris soin qu’elles n’en savent à propos de leurs collaborateurs. Comme j’ai déjà pu l’entendre « on suit beaucoup mieux l’état de nos machines que celui de nos collaborateurs ».

Bref quand on gère des ressources humaines avec les mêmes principes qu’on gère des ressources « non humaines », on finit par le faire de manière inhumaine.

OKR : Objectives and KEY Results

Encore un « Key » qui passe à la trappe. Si vous ne connaissez pas les OKRs c’est c’est un système de définition et de gestion des objectifs qui permet leur alignement et leur convergence à tous les niveaux de l’entreprise. Si vous ne vous y êtes pas encore intéressé vous devriez.

Mais là encore une fois qu’on a défini les objectifs on voit parfois fleurir des dizaines de « résultats clé » qui confondent allègrement résultats et choses à mettre en œuvre pour y parvenir. Et à la fin on ne s’y retroue plus, on s’y perd et on ne suit plus rien.

MVP : MINIMUM viable product

Avec les méthodes agiles qui étendent peu à peu leur empreinte dans l’entreprise la notion de MVP devient de plus en plus courante.

Je ne parle pas du « Most Valuable Player » cher au sport US mais du « Minimum Viable Product », ou produit minimum viable.

Le principe est pourtant simple : c’est le produit le plus minimaliste qui fonctionne et permet de faire ce pour quoi il a été conçu. Cela permet de livrer quelque chose de fonctionnel rapidement et de l’améliorer de manière incrémentale par la suite plutôt que prendre des mois ou des années pour livrer un produit définitif et parfait qui arrivera trop tard ou ne correspondra pas au besoin.

Mais quand on parle de définir ce qu’est un MVP pour un projet donné je vois des gens qui se concentrent sur le V de viable et oublient le M de Minimum.

La question est bien sûr que le produit soit viable mais tout produit est viable dans sa version « maximum », lorsqu’on a commencé à ajouter du « nice to have » au « must have ». L’objectif du MVP est justement de définir le moment où l’expression la plus minimaliste du projet passe de « non viable » (on ne peut le mettre entre les mains des utilisateurs) à viable (le produit fera ce que les utilisateurs en attendent même sans fioritures).

Là encore on voit donc des MVP avec une liste de fonctionnalités qui ressemblent à un inventaire à la Prevert qui ne font que surconsommer des ressources pour l’élaborer et repousser sa sortie.

Apprenez à peser chaque mot

Mon propos n’est pas de faire la chasse aux acronymes bien au contraire, si on ne les avait pas on serait bien ennuyés.

Par contre quand vous les utilisez rappelez vous chacun des mots qui les compose et demandez vous lequel est le plus important, si vous les prenez vraiment tout en compte, si vous ne passez pas à côté de quelque chose.

CQFD.

Au fait, il y d’autres acronymes dont vous constatés l’utilisation dévoyée au quotidien ?

Image : Acronymes de OneSideProFoto via shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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