Les chiffres : une bonne manière de ne pas voir la réalité ?

Les chiffres sont le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour rendre compte de la réalité. Mais ils cachent également la diversité des situations dont ils rendent compte.

Objectivité ou déshumanisation : une question de point de vue

Quand on doit se forger une compréhension rapide d’une situation on ne peut pas regarder chaque cas dans le détail : on utilise des indicateurs qui rendent compte d’une grande diversité de cas. Et du point de vue de l’entreprise, du gestionnaire, c’est tout ce dont on a besoin.

Turnover, taux de satisfaction du client, charge de travail des équipes, recours au chômage partiel, taux de conversion : ce sont des indicateurs utilisés au quotidien à divers endroits de l’entreprise et correspondent à ce que l’entreprise a besoin de savoir.

Mais si on prend le point de vue des sujets de la mesure la situation peut être radicalement différente de ce que disent les chiffres, et notamment lorsque parle de personnes.

Un chiffre acceptable d’un côté peut traduire une réalité inacceptable de l’autre et cette inacceptabilité on ne s’en rend compte que lorsqu’il est trop tard.

La plupart des indicateurs sont faux si on se met du coté de leur sujet

Je me souviendrai toujours d’une phrase d’un de mes anciens professeurs d’économie politique qui m’avait marqué. « Les chiffres du chômage sont faux. Pour celui qui est au chômage le taux de chômage est de 100% !« .

Partons d’une hypothèse de 5% de chômage, soit 95% de personnes qui n’y sont pas. En effet d’un point de vue macro on peut se dire que ça n’est pas si mal. Mais la réalité est que personne n’est au chômage à 5% : il y a ceux qui ont ont un travail et ceux qui n’en ont pas et le fait que ceux qui n’en ont pas soient peu nombreux n’enlève rien au fait qu’ils n’en aient pas. Peu importe le taux de chômage, pour le chômeur le taux est de 100% !

75% des stagiaires se voient proposer un CDI à la fin de leur stage. A la sortie personne n’a 75% d’un CDI : il y a ceux qui en ont un et ceux qui n’en ont aucun.

99,9% de la population n’est pas morte du COVID. Mais pour les 0,1% il n’y a pas mort partielle, il ne sont pas « peu » ou « quasiment pas » morts. Ils le sont.

75% des clients recommanderaient un produit ? Cela ne veut pas dire que chaque client a 75% de chances de vous faire de la publicité mais que 25% ne le feront jamais !

93% des salariés d’une entreprise engagés ne signifie pas que chacun donne 93% de son plein potentiel mais que certains donnent 100% et d’autres 0.

Une équipe dont la charge de travail est de 80% peut être un bon indicateur. Mais dans la réalité cela peut signifier que certains sont au bord du burn out et d’autres désœuvrés en train de se désengager, ou « non utilisés » pour une raison qu’il est important de comprendre vite.

On peut trouver des exemples à l’infini mais pour celui qui est l’objet de la mesure la situation est le plus souvent binaire. Oui ou non. Gagné ou perdu. Bon ou mauvais.

Le pouvoir des signaux faibles

Plus un indicateur est bon moins on prête d’importance aux cas qui constituent son « côté sombre ». 5% de chômeurs, 3% de clients insatisfaits, 7% de salariés peu ou pas engagés…c’est pas mal non ?

Mais notre chômeur est 100% au chômage avec tout ce que cela implique (et le vit d’autant plus mal d’ailleurs qu’il fait partie d’une catégorie « rare »), le client insatisfait est totalement insatisfait (et sera d’autant plus véhément que voir que tout le monde autour de lui ne partage pas son avis), le salarié désengagé est totalement désengagé (et pourra devenir toxique s’il se sent isolé et décide de mener une croisade pour rallier du monde à sa cause), le salarié surchargé continue à s’épuiser pendant qu’il en voit d’autres se tourner les pouces/

C’est d’ailleurs d’autant plus important que plus une personne se sent seule dans sa situation, faisant partie d’une population « très minoritaire », plus elle le vivra mal et pourra sur-réagir.

De bons indicateurs globaux ne devraient jamais nous faire négliger les situations individuelles car un jour où l’autre elles portent leur fruit : le chômeur perd sa maison, le client insatisfait parle de plus en plus fort, le salarié désengagé diffuse son mal être et le salarié débordé fait son burn out…

Image : pourcentages de 3D character via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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