Aujourd’hui on présente l’agilité comme un remède à tous les maux de nos organisations. Mais cette approche fondée sur le dialogue entre les parties prenantes, la prééminence du but sur les processus et in fine la capacité à s’adapter en permanence à un environnement changeant peut elle fonctionner pour des activités soumises à de nombreuses contraintes, notamment réglementaires et dont le but est de préserver une forme de stabilité. Comme les RH par exemple.
C’est le sujet d’un livre. blanc très intéressant publié en 2019 par le cabinet Julhiet-Sterwen, nommé « Agilité : la nouvelle arme du DRH » et qui n’a pas pris une ride. Mieux, il est encore davantage d’actualité dans le contexte actuel.
Agilité ? De quoi parle-t-on ?
Pour beaucoup de monde l’agilité c’est « un truc pour les gens qui font de l’informatique ». Pas faux, en tout cas au début. Car si c’est par les développeurs que l’agilité est rentrée dans l’entreprise elle s’y diffuse aujourd’hui à grande échelle dans toutes les fonctions, entrainant une refonte parfois profonde de leurs modes opératoires.
Pour dire les choses de la manière dont je les perçois, l’agilité est un ensemble de principes qui donnent la possibilité de se réorienter et se réinventer en permanence à l’inverse d’un modèle qui privilégie la stabilité dans la durée.
Alors oui je sais que la notion de stabilité dans la durée rassure mais elle n’est plus réaliste dans le monde d’aujourd’hui où 6 mois représentent déjà du long terme et où si on attend 2 ans pour délivrer un projet majeur on a toutes les chances d’arriver avec la bonne solution… à un problème qui a déjà muté, évolué, ce qui rend la solution de facto obsolète.
Ou pour dire les choses autrement c’est comme viser une cible avec un arc et une flèche. Si la cible ne bouge pas tout va bien, si la cible bouge rapidement et fréquemment mieux vaut adapter une approche agile.
Bref nous sommes dans un monde « VUCA » et les méthodes qui permettaient de réussir dans un monde stable et prévisible y montrent leurs limites.
RH et agilité : incompatibles par nature
Si de plus en plus de personnes se disent « une entreprise totalement agile, pourquoi pas ? » un certain scepticisme existe quant à la pertinence de l’agilité pour la fonction RH.
En effet la fonction RH est par nature contrainte par un certain nombre de responsabilités « historiques », légales et sa mission est de donner du cadre et de la stabilité dans la durée en réduisant au maximum le risque d’erreur et l’exposition au risque en général. On est loin de la notion d’équipe auto-organisée ou de la primauté de l’individu et du besoin sur le process.
On pourrait même dire que le but de la fonction HR, en partie, de protéger l’entreprise des facteurs externes voire de ses propres salariés alors que l’agilité vise à s’adapter aux variations internes en faisant confiance aux salariés.
Mais a-t-on vraiment le choix ? Si l’instabilité et la vitesse de changement de l’environnement externe est une donnée on ne peut plus continuer à mettre en œuvre des modèles conçus pour un monde stable et prédictible dans un monde qui n’est plus et ne le sera plus. Sauf à se mentir.
L’enjeu pour les RH n’est dès lors plus d’essayer de protéger le passé et agir comme si le monde était tel qu’elles aimeraient qu’il soit mais d’exister dans le présent dans un monde qui est ce qu’il est. Passer pour un frein au changement, être la fonction qui empêche l’entreprise de s’adapter aux exigences de son époque ou apporter des solutions et être vue comme un moteur de changement.
Derrière le débat entre « RH agile ou pas » c’est simplement la question du poids de la fonction RH dans l’entreprise qui se pose.
RH agile = RH utile
En prenant un peu de hauteur ce que je retiens de ce livre blanc peut se résumer en une phrase : les RH ont le choix entre être utiles à l’entreprise ou être un poids. Si elles optent pour la première solution alors l’agilité s’impose comme la vois à suivre.
« Ainsi, il peut être nécessaire d’inverser les priorités : ces processus doivent être au service de la création de valeur et non peser dessus. »
On ne peut pas avoir de RH lourdes dans une entreprise dont toutes les fonctions veulent gagner en adaptabilité, en vitesse. Pour servir une organisation qui devient de plus en plus agile, les RH doivent donc commencer par devenir agiles elles-mêmes.
Qu’est ce qu’une DRH agile ?
Avant de changer la manière dont elle sert l’entreprise la fonction RH doit donc déjà faire sa propre révolution et commencer par changer la vision qu’elle a de son rôle, de sa mission de son contexte.
Et pour commencer elle devra gérer un paradoxe : faire cohabiter un monde sans cesse plus réglementé et un impératif de vitesse et de simplification en interne. A elle de « digérer » l’un pour le rendre plus simple pour les autres.
Cela me rappelle, il y a une dizaine d’année de cela, une réunion à laquelle j’avais assisté avec le PDG d’un grand groupe qui s’adressait à certains membres de son Comex car il trouvait qu’un projet qui lui tenait à cœur (on parlait de collaboration et d’environnement de travail digital) n’allait pas assez vite.
Je me souviendrai toujours de son propos qui était à peu près « je ne paie pas des gens brillants pour qu’ils me disent que les choses sont compliquées ou impossibles mais pour les rendre possibles. Pour savoir que c’est compliqué je n’ai qu’à embaucher des stagiaires et encore je suis sûr qu’ils oseraient plus« .
Et bien c’est là qu’en sont certaines fonctions dont la fonction RH : devoir vivre au rythme des évolutions de la société, des clients, des marchés en rendant possible voire simple ce qui est à priori impossible ou compliqué.
Le livre blanc d’ailleurs n’est pas comme on peut le voir parfois qu’un éventail de bonnes idées et de théories inapplicables. Il rentre dans le détail des missions de la fonction RH, apporte des exemples concrets et les appuie par des études de cas d’entreprises.
Pour ce qui est des bases d’une fonction RH agile il identifie : la cohabitation entre agilité et réglementation, l’ouverture sur les métiers, la remise à plat des process clé (évaluation, pesée des postes), la transparence des rémunérations, la souplesse du SIRH ou encore la communication de proximité.
Peut on faire danser des éléphants ?
Le livre blanc aborde également l’impact de l’agilité sur certains piliers de la fonction RH/Managériale, le genre de sujets tellement complexes ou sensibles qu’on les met précautionneusement à l’abris de tout changement pour que même quand tout change, eux ne changent pas.
Lou Gerstner avait écrit « J’ai fait danser un éléphant » pour raconter la manière dont il avait transformé de fond en comble une IBM endormie, quasi fonctionnarisée et aux mains de baronnies locales en une entreprise à nouveau innovante, performante et proche de ses client. Le virage entre une entreprise technologique et une entreprise de services. Ici on ne parle pas de tout changer dans l’entreprise (quoique) mais le constat et le challenge à relever présentent un certain nombre de similarités.
Pour commencer le livre blanc traite de l’inévitable GPEC dont la lourdeur et le formalisme font qu’entre le moment où le business décide d’une stratégie et le moment où elle se décline sur le terrain en termes de compétences il peut se passer des mois. Le virage du « Strategic Workpforce Planning » doit contribuer à en faire un outil centré sur les compétences et plus sur les emplois et au service des collaborateurs et managers au lieu de ne servir qu’une obligation légale.
Vient ensuite la question de l’individualisation de la gestion des collaborateurs. De l’expérience candidat, liée au marketing RH, aux évaluations en passant par la gestion des carrières tout doit être revu sous l’angle du besoin du salarié et non plus sous celui du process. Là encore 3 tendances se dessinent : individualisation, cadence et proximité. Comme le client le collaborateur est un « marché d’une personne » et il va falloir s’y habituer.
Sujet suivant : la formation. Là encore tout est question de repartir du besoin du collaborateur et de rendre la formation plus granulaire, facile à « consommer » et de rendre le collaborateur davantage acteur de son parcours.
Puis l’organisation du travail avec des réflexions sur ce qu’il est commun aujourd’hui d’appeler le travail flexible notamment en termes de lieux et de temps.
On ne peut pas parler de l’organisation du travail sans parler du management qui est le sujet suivant. Le livre blanc s’essaie à une synthèse de certains sujets d’autant plus en vogue que la crise sanitaire (qui n’avait pas eu lieu à l’époque où le livre a été écrit) a bien pointé les faiblesses des modèles de management actuels dans un contexte de travail à distance. Savoir donner de l’autonomie, faire confiance, se reposer sur les individus et pas sur les process, distinguer le leader d’équipe du leader d’expertise…rien de bien nouveau mais une manière de remettre des sujets connus en perspective d’une approche dont on peut espérer qu’elle rende le changement (enfin) possible.
Et pour finir on ne pouvait faire l’économie d’une partie sur le dialogue social qui gagnerait à être plus transparent, collaboratif…point sur lequel je ne sens pas les auteurs très optimistes.
Conclusion
Je n’ai fait ici que survoler le livre blanc pour en livrer un aperçu rapide et je vous incite bien sûr à le télécharger pour rentrer dans un niveau de détail que je ne pouvais traiter ici.
Il n’y a fondamentalement aucune nouveauté dans le diagnostic de la situation, les sujets abordés et les pistes proposées. Certains feront peut être des découvertes mais qu’on y croie ou pas, qu’on trouve certaines propositions irréalistes ou pas, ce sont des choses qu’on a lues et relues de nombreuses fois depuis des années si ce n’est plus.
Par contre ce qui est intéressant c’est la mise en perspective de tous ces sujets au regard d’une seule ligne directrice. Ce qui est parfois vu comme une foule d’idées hétéroclites quant au futur des RH et du travail y gagne largement en cohérence car elles apparaissent comme la déclinaison d’un seul et unique principe dans différents domaines des RH.
C’est d’ailleurs une vraie vertu que je lui trouve. Réfléchissant beaucoup moi même à comment s’inspirer de l’agilité à tous les niveaux de l’entreprise j’ai vu des choses que je n’aurais pas relié au sujet spontanément mais qui finalement y trouvent leur place.
La seconde vertu, justement, c’est de ne pas tomber dans l’agilité intégriste ni théorique. Oui le livre blanc commence par un rappel de ce qu’est l’agilité et quels sont ses principes. C’était nécessaire. Mais ensuite il s’avère très pragmatique en prenant l’agilité pour ce qu’elle est : une philosophie et des principes et en aucun cas un carcan de règles. Cela permet de se l’approprier et de construire sa vision, de déterminer une approche raisonnablement applicable dans un contexte donné et globalement d’être créatifs dans les solutions tout en ayant un cap à suivre. Les intégristes grinceront peut être des dents mais j’y vois plutôt un point positif.
Pour ne rien gâcher tout est agrémenté de nombreux cas et interviews d’entreprise.
Donc cela ramène le sujet à un seul point : une fonction aussi centrale que les RH avec toutes ses responsabilités, l’impact qu’elle peut et doit avoir sur l’entreprise mais aussi tout le poids qui pèse sur elle peut-elle vivre dans une bulle déconnectée des grandes tendances du marché et de la société ?
Si la réponse est non alors vous pouvez considérer l’agilité comme une solution et ce livre blanc vous inspirera pour la décliner au niveau des RH mais aussi des domaines où les RH impactent les métiers et les opérations.
Bonne lecture !
Image : Agilité de Pixel-Shot via Shutterstock