Le vrai problème qui fait que collaborateurs et entreprises ne sont pas satisfaits de leurs managers est qu’on a trop tendance à prendre le management pour un art, un exercice de figures libres qui ne repose que sur un certain talent et une certaine sensibilité alors que c’est un rôle qui comprend de nombreuses figures imposées jamais formalisées.
Dans cet article
- Le malentendu managérial
- La pyramide de Maslow du manager
- Des delivery models pour tout sauf pour le management
- Que mettre dans un management delivery model
- Comment faire accepter un management delivery model
- Comment concevoir son management delivery model ?
- Conclusion
Le grand malentendu managérial
Manager c’est quoi ? Posez la question autour de vous et vous aurez souvent les mêmes réponses : amener une équipe et des individus à atteindre des résultats, les faire progresser dans le temps, maintenir la cohésion, l’engagement et la motivation….
Si tout le monde est d’accord pour le sujet comment se fait il que si vous posez la question « êtes vous satisfaits de votre/vos manager(s) » la réponse est non, qu’on la pose aux managés comme aux managers des managers ou aux dirigeants ?
Je pense détenir une partie de la réponse. Tout le monde s’accordera ou presque sur les objectifs du manager et c’est d’autant plus simple qu’ils sont en général clairement formalisés dans sa fiche de poste, dans son contrat et qu’à la fin c’est ce qui permettra de l’évaluer. Mais ça ne sont que des objectifs, le « comment » lui, reste très vague voire n’est jamais formalisé, laissé à la libre interprétation de chacun.
Si je devais comparer le management à du patinage artistique on a tendance à croire que ça n’est qu’un exercice de figures libres ou s’exprime la sensibilité, la personnalité, la façon de faire et la manière d’être de chacun. Je pense effectivement qu’à la fin c’est ce qui fait la différence entre un bon manager et les autres.
Mais c’est également un exerce plein de figures imposées, souvent passées sous silence car elles ramènent à un travail que d’aucuns perçoivent comme trop administratif et éloigné du soit disant prestige de la fonction mais elles existent. Pire encore, ces figures imposées et la manière de les exécuter diffèrent d’une entreprise à une autre voire, dans une entreprise, d’une entité à une autre.
Et si pour qui touche à la dimension business du rôle de manager tout est bien documenté, notamment pour ce qui touche au sacro saint reporting, pour la dimension purement managériale on reste dans le flou le plus complet.
La pyramide de Maslow du manager
- Quel est mon rôle dans le onboarding d’un nouveau collaborateur ?
- Comment je déclare un nouveau recrutement, comment je déclare une ouverture de poste ?
- Que dois-je faire si je détecte un cas de souffrance au travail ?
- Que faire un un collaborateur m’annonce son départ ?
- Je veux faire suivre une formation à un collaborateur, comment faire ?
- …
C’est une liste vraiment non exhaustive de questions qu’un manager pose souvent. Il sait que face à certaines situations il doit faire quelque chose. Mais quoi ? Et comment ?
A l’inverse côté salarié on entend d’autres choses
- Il est en retard pour valider mes congés.
- Il est en retard pour valider mes notes de frais.
- On est en aout et je n’ai toujours pas eu mon entretien semestriel.
- …
Et enfin côté RH…
- Il est en retard pour traiter les candidatures qu’on lui envoie.
- On n’a pas reçu ses évaluations pour les variables.
- …
Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord cette face cachée du rôle du manager, comme je l’ai dit, diffère d’une entreprise à une autre. Elle diffère en terme d’attributions (parfois une tâche est chez les RH, parfois chez le manager, parfois chez une autre personne ou un autre service), de process, et d’outils.
Ensuite on prend tout cela pour acquis. Un manager sait quoi faire et comment. Et bien non. Sait ce qu’on attend de lui globalement mais pas dans les détails et surtout ne sait pas comment cela se passe dans une entreprise donnée.
Enfin on demande beaucoup aux managers. Entre leur rôle dans le business et l’opérationnel, leur rôle de leader et cette dimension plus administrative ils manquent de temps et leur attention est dispersée. Donc il vont privilégier inconsciemment ce qui est visible, a un impact business et qu’ils savent faire par rapport à ce qui est plus flou, mal documenté. Un arbitrage logique quand on manque de temps et qu’on est sous pression.
Si on devait élaborer une pyramide de Maslow très simplifiée du rôle du manager on aurait ceci :
Tout est aussi important mais il y a un décalage significatif entre ce que valorisera l’entreprise et sur quoi sera d’ailleurs principalement évalué le manager et ce qui a de l’importance au quotidien pour le collaborateur.
D’où la nécessité pour aider les managers de simplifier au maximum ce qui se trouve dans la partie basse de la pyramide. Ce qui peut prendre deux formes :
- Par les process et les outils en simplifiant, améliorant l’expérience utilisateur, faisant en sorte que les outils communiquent mieux entre eux, automatisant ce qui peut l’être.
- Par la formalisation en fournissant au manager une bouée de sauvetage qui lui permet de savoir ce qu’il doit faire et comment le faire en fonction des sujets et des circonstances.
Il existe des delivery models pour tout sauf pour le management
Toute entreprise qui se respecte a des delivery models plus ou moins élaborés à peu près pour tout. Pour ceux qui ne seraient pas familiers de ce terme hérité de l’IT mais qui tend à se généraliser ailleurs c’est simplement un guide de référence qui explique, pour faire simple, comment on fait les choses.
Les bénéfices d’un delivery model sont multiples et dans le cas qui nous concerne j’en citerai deux : aligner la manière de procéder dans l’entreprise (tout le monde fait pareil) et fournir une sorte de bouée de sauvetage à laquelle quiconque peut se raccrocher pour savoir ce qu’on attend de lui dans un contexte donnée.
Il n’est pas besoin de se livrer à une recherche très approfondie pour se rendre compte que si on trouve des delivery models à peu près pour tout rien n’existe pour la fonction managériale comme si le manager qui arrivait dans une entreprise avait la science infuse et connaissait tout de ses pratiques ou comme si le rôle du manager était un exercice d’interprétation libre qui laissait libre cours à la créativité et à l’interprétation de chacun.
Autrement dit il est essentiel de s’assurer que les opérationnels suivent un minimum de règles et modes opératoires partagés, qu’ils n’oublient pas (peu importe pourquoi) une tâche ou une étape clé mais pour les managers cela n’a aucune importance.
Je disais plus haut qu’on avait tendance à beaucoup se plaindre des managers qui ne faisaient pas leur travail mais si on fait le même sondage au niveau des managers ils vous diront qu’ils ont l’impression de bien le faire. Qui se trompe ? Qui ment ? Personne. Il n’y a pas simplement d’entente sur ce qu’est le travail du manager donc les uns attendent des choses que l’autre ne pense pas être de son ressort ou ne sait pas comment les effectuer ou qu’il a tendance à « oublier » dans le feu de l’action.
Le but d’un management delivery model est tout simplement de rappeler au manager ce qui est attendu de lui et comment le faire, notamment concernant les tâches élémentaires et quotidiennes très souvent liées à la partie RH de sa fonction mais pas seulement : vous verrez plus loin qu’il est vite tentant d’y inclure une dimension métier à laquelle j’ai vite succombé. Ca n’a pas d’autre prétention.
Le management delivery model ne fera pas de quelqu’un un bon manager ou un grand leader. Cela ne l’aidera pas à avoir un plus grand impact sur l’organisation ou le business. Cela l’aiderai juste à ne pas être pris en défaut sur des sujets très basiques sur lesquels ses équipes le jugent au quotidien et qui sont pour elles le préalable à tout. Une personne peut avoir un grand impact et être un leader inspirant, cela ne suffira pas pour satisfaire les membres de son équipe s’il est défaillant sur ce qui est vital pour elles d’un point de vue très terre à terre.
C’est ce qui entraine souvent des différences de perception au sein d’une entreprise. Là où des extérieurs à l’équipe verront un leader et quelqu’un qui fait avancer les choses, les membres diront « c’est bien gentil mais cela fait 3 semaines qu’il n’a pas validé mes congés, je n’ai aucune nouvelle de mon nouveau job ou de la formation que j’ai demandé et j’attend toujours d’avoir l’entretien que j’ai demandé ». Ou dit autrement « si tu veux que je me dépasse dans mon travail, essaie déjà de montrer l’exemple en faisant le tien ».
Ou l’art de perdre la confiance de ses équipes et voir leur engagement diminuer pour des choses qui peuvent sembler anecdotiques quand on a plein de sujets à traiter mais qui, pour elles, sont le minimum vital sans lequel elles accorderont peu d’importance au reste.
Que mettre dans un management delivery model ?
Chaque entreprise peut être libre de concevoir son management delivery model comme elle l’entend en fonction du rôle qu’elle donne à son manager, dont elle l’articule avec les RH, des manquements qu’elle constate et du périmètre qu’elle veut lui donner, si elle veut y inclure également les process métier….
En ce qui me concerne j’avais opté pour quelque chose qui suit le cycle de vie des collaborateurs dans l’entreprise : recrutement, onboarding, formation, entretiens, opérationnel quotidien…, départ.
La forme doit être des plus simple : on parle d’un guide, d’un repère, pas d’un recueil de procédures. Donc au sein de chaque partie des événements et des tâches avec pour seule organisation : quoi, quand, comment voire qui lorsque des interactions sont nécessaires avec d’autres fonctions.
C’est aussi simple que cela. Un management delivery model n’est pas le fruit d’un concours d’innovation managériale ni une thèse en sciences de gestion, c’est simplement écrire comment les choses se passent.
Le vrai challenge est plutôt de deux ordres : en faire accepter le principe et ne pas en faire un empilement de règles inutiles et sans sens.
Comment faire accepter un management delivery model ?
Je pars du principe que personne ne refuse jamais ce qui lui simplifie la vie et le management delivery model rentre bien dans ce cas. Allez dire à quelqu’un « tiens voilà des fiches pratiques de toutes les choses qui ne sont pas évidentes pour toi et que tu n’as pas le temps d’essayer de te rappeler » et vous serez en général bien accueilli.
On ne parle pas ici, je le rappelle de la manière de manager, juste des basiques à ne pas oublier sur la dimension opérationnelle et rh du management voire du business, donc pas de risque de faire mal aux égos.
Mais comme toujours quand on met un outil en place (oui ça n’est qu’un outil) il faut lui donner du sens et ce sens va venir de la méthode même utilisée pour concevoir le management delivery model.
Comment concevoir son management delivery model ?
Le risque à éviter est que votre outil ne soit vu que comme un paquet de règles en plus alors que ça ne sont que des choses qui existaient déjà mais étaient mal connues, mal appliquées, ce qui causait un préjudice à la fois aux collaborateurs et à l’entreprise.
Donc le management delivery model doit être vu comme quelque chose d’utile, qui a une valeur ajoutée et qui a du sens.
Une grosse erreur serait de le concevoir en partant du rôle du manager tel que vous le concevez : vous risquez d’oublier des choses et, à l’inverse, de le surcharger de choses inutiles.
Il ne faut pas oublier en effet qu’un management delivery model s’inscrit dans une logique d’expérience employé, dans laquelle le rôle du manager est majeur, et qu’il doit donc s’inscrire dans la logique intellectuelle de la démarche.
- 1°) L’entreprise fait une promesse au marché, à ses clients et ses candidats
- 2°) Le manager et l’organisation doivent aider le collaborateur à tenir cette promesse
- 3°) L’organisation doit aider le manager à aider le collaborateur à tenir cette promesse
On part donc de la promesse faite au marché, aux clients et candidats et ce qu’elle implique pour le collaborateur, peu importe son métier. Du vendeur au logisticien tout le monde est concerné par cette promesse et contribue à la tenir d’une manière ou d’une autre.
Pour la tenir le collaborateur a besoin de compétences, de feedback, de tranquilité d’esprit, de pouvoir aller vers les fonctions où il sera le plus à même de contribuer à tenir cette promesse, d’être dans un état de forme physique, mentale et nerveuse suffisante, que les validations et arbitrages dont il a besoin pour faire son travail soient effectuées dans les temps, etc… Livrez vous à l’exercice vous verrez que vous allez pouvoir relier un grand nombre de sujets au simple fait de tenir cette promesse ! Beaucoup plus que vous ne le pensez. Et très rapidement vous allez même vous rendre compte que vous allez avoir envie d’étendre le périmètre du management delivery model au delà des choses « basiques » pour y inclure les process métier ! Personnellement c’est ce que j’ai fait très rapidement.
Ensuite étape suivant, que doit faire le manager à son niveau pour que les conditions qui font que le collaborateur soit le plus à même de tenir cette promesse soient réunies. C’est le cœur du management delivery model et il est essentiel de bien lier chaque tâche du manager à une attente du collaborateur face au client.
Mais on ne peut faire porter tout le poids du monde sur le manager à qui l’entreprise dit trop souvent « voilà tes objectifs et débrouilles toi ». Le manager doit aussi savoir ce qu’il est en droit d’attendre de l’organisation pour l’aider à aider le collaborateur. C’est la troisième phase.
Dans les faits cela demande un certain travail de construction mais a priori rien n’est à créer : tout existe déjà.
En partant du client vous donnez du sens à la démarche et vous la rendez incontestable. Qui veut aller contre le client ? Et vous vous assurez que tout ce qui est nécessaire est rendu possible. La démarche qui permet de créer le management delivery model permet de s’assurer que l’organisation est bien alignée et outillée pour tenir sa promesse au marché et vous fournit un storytelling tout prêt pour vendre le résultat en interne.
En explicitant ce que le manager peut attendre de l’organisation (et faisant en sorte que cela arrive vraiment) vous transformez ce qui peut être vu comme une contrainte en un outil à son service.
La méthode a également un avantage caché dont je ne me suis rendu compte qu’à posteriori. J’avais en tête un grand nombre de choses que je pensais utiles et voulais faire porter par les managers. Mais lorsque j’ai construit le modèle je me suis rendu compte qu’elles n’y avaient pas leur place : je n’arrivais pas à les raccrocher à quelque chose qui aide le manager ou aide le collaborateur. Cela aurait peut être été du plus bel effet de dire « j’ai mis ça en place » mais ç’aurait été des choses sans impact, donc sans utilité et qui auraient fait perdre du temps aux managers. La construction du management delivery model a donc permis également de retirer des choses qui induisaient une charge de travail sans aucun bénéfice en contrepartie autre que la satisfaction d’avoir ajouté quelque chose qui contribuait à compliquer l’organisation.
La construction du management delivery model est donc l’occasion de vous demander « pourquoi demande-t-on ça aux managers ? ». « Qui en bénéficie ? ». « A quoi cela contribue au final ? ». « Peut on l’automatiser ou le faire autrement ? ». Vous allez vous rendre compte qu’on adore mettre en place des choses qui compliquent la vie de nos subalternes pour le simple plaisir de les mettre en place et les voir fonctionner. C’est donc l’occasion de les identifier et de vite les abandonner.
Conclusion
Au départ bouée de sauvetage pour manager débordé, le management delivery model contribue à une meilleure expérience employé, une meilleure expérience pour le manager, et aide à simplifier et aligner votre organisation sur la promesse que vous faites à vos clients.
Dans ce sens le travail nécessaire à sa conception est tout aussi utile que le résultat final produit.
Image : management delivery model de Billion Photos via Shutterstock