Dans le télétravail ce qui compte c’est…le travail

D’une manière ou d’une autre le télétravail est parti pour rester. Après le choc du début les entreprises essaient de s’adapter pour mieux l’appréhender. Mais en essayant de mieux gérer la distance elles font une énorme erreur car le vrai sujet est de mieux gérer le travail.

Le télétravail : paradis pour les uns, enfer pour les autres

Inutile de rappeler que le passage au télétravail à marche forcée à été diversement vécu par les collaborateurs.

Il y a les adeptes inconditionnels du télétravail, qui le pratiquaient déjà auparavant, qui l’ont bien vécu même si eux-mêmes ont finit parfois par en souffrir. Des problèmes pas nécessairement liés au télétravail mais au contexte : un télétravail à plein temps imposé, dans des conditions parfois difficiles par rapport à un télétravail « normal » (enfants etc) et sans possibilité de s’aérer après une journée de travail.

Il y a ceux qui n’étaient pas prêts, peu importe qu’ils aient été en demande ou pas pour qui apprendre à nager sans bouée dès le premier jour a été douloureux. Ajoutons qu’à leur impréparation personnelle s’est ajoutée celle de leur entreprise.

Et il y a enfin ce salarié si particulier qu’est le manager qui a souvent mal vécu une forme de perte de contrôle et la nécessité de réinventer son rôle et sa posture dans l’urgence.

Si on prend en compte tous ces facteurs liés à la personne, à son emploi, à son entreprise, au contexte personnel et professionnel dans lequel les choses ont eu lieu les expériences ont donc varié d’excellentes à catastophiques selon les personnes même si globalement les choses ont été plutôt positives vu l’état d’impréparation de beaucoup.

Le difficile retour à 100% au bureau

L’épisode pandémique va progressivement passer derrière nous mais il en restera quelque chose. Même si ça n’était pas du « vrai télétravail », l’année qui vient de s’écouler signifiera la fin de quelque chose et d’une certaine vision du travail.

Même si j’ai cette expression en horreur, « rien ne sera plus jamais pareil ». Les collaborateurs ont appris qu’ils n’avaient pas besoin d’être tout le temps au bureau pour travailler, les entreprises ne pourront plus leur dire « ça ne fonctionne pas, pas chez nous, pas dans notre culture ». Et peu importe l’expérience que chacun en a retiré, le rapport que chacun entretient avec le bureau sera irrémédiablement affecté ! Ajoutons pour finir que les entreprises ont pour la plupart, je l’espère, compris que le télétravail n’était pas un gadget pour faire plaisir ou récompenser untel ou untel mais bel et bien un élément clé d’un plan de continuité d’activité en temps de crise !

Tout le monde ne reviendra pas à 100% au bureau, peu importe que cela vienne d’une envie ou d’une contrainte, de l’entreprise ou du collaborateur. Il y aura un juste milieu à trouver, plus ou moins large et flexible, mais il faudra apprendre à travailler à distance à plus grande échelle et plus souvent qu’avant.

Les entreprises essaient de s’adapter à la distance

Les entreprises l’ont compris et elles essaient de s’adapter à la distance, d’intégrer ce facteur dans leurs opérations, leur management, leur culture.

Une manière simple mais peu efficace de s’adapter à la distance est de la limiter, voire l’interdire.

Peu efficace car à partir du moment où une personne est à distance par rapport aux autres tout le monde est à distance . Quand dans une équipe de 5 personnes chacun est à distance un jour par semaine il n’y a pas grande différence d’un point de vue opérationnelle avec le fait que tout le monde soit à distance tout le temps. Quant à totalement interdire le télétravail…c’est quelque chose de désormais difficilement envisageable.

Quoi qu’il en soit les entreprises se concentrent sur la gestion de distance en question. Combien de jour peut on être à distance dans la semaine ? Qui a le droit d’être à distance ? Comment contrôler la personne à distance ? Et quelles distances sont autorisées ou pas ?

En effet, et c’en est presque risible, pour certains être à distance n’est pas pareil selon l’endroit où on est à distance. Etre dans un tiers lieu « officiel » mis à disposition par l’entreprise c’est très bien. Chez soi c’est bien. Dans sa résidence secondaire c’est beaucoup moins bien. Décider de partir se changer les idées au soleil et travailler depuis son lieu de villégiature c’est inacceptable.

C’est d’autant plus surprenant que dans nombre d’entreprises le travail à distance est déjà la norme. On travaille avec des collègues présents sur d’autres sites, dans d’autres villes, d’autres pays. Pour certains cela concerne une fraction de leur temps, pour d’autres l’essentiel de leur temps. Mais peu importe la distance tant qu’on est sous la supervision « visuelle » de l’entreprise. Opérationnellement cela pose les mêmes problèmes que quand les salariés sont à la maison mais jusque là on faisait comme si tout allait bien.

La question de la distance est donc un faux pretexte invoqué pour cacher une réelle peur de perdre le contrôle.

Le télétravail ne pose pas de problèmes fondamentalement nouveaux.

Evoquer la perte de contrôle c’est déplacer le problème depuis le lieu vers le management et la culture d’entreprise.

Qu’est ce qui a dysfonctionné pendant ces derniers mois passés en télétravail (en prenant en compte, encore une fois, le fait que ça n’était pas du vrai télétravail et que personne n’était préparé) ?

Les managers ont eu du mal de manager et tenir leur rôle. Les collaborateurs ont eu du mal de collaborer. Les réunions sont devenues un enfer. La frontière entre la vie privée et la vie professionnelle s’est fissurée. Les amplitudes horaires ont augmenté. Les salariés se sont retrouvés en manque de lien social.

Est-ce vraiment nouveau et est-ce dû au télétravail. Comme je le disais dernièrement chez AppVizer, le télétravail ne pose pas de problème vraiment nouveau.

  • Cela fait 20 ans au moins qu’on dit et sait que la fonction managériale telle qu’elle a été héritée de la révolution industrielle est dépassée et doit se réinventer. Les gens sont très mal gérés au bureau. A distance c’est « juste » pire.
  • La collaboration est un soucis majeur depuis au moins aussi longtemps. Pour des raisons de culture, d’organisation, de management. On collabore déjà très mal au bureau. La preuve : les salariés ont pour certains découvert chez eux comment utiliser des outils qu’ils auraient déjà dû utiliser au bureau avant.
  • On ne sait pas organiser et gérer des réunions au bureau. A distance c’est « juste » pire car elles sont devenues les bouées de sauvetage d’un management déficient et de pratiques collaboratives inexistantes.
  • Les amplitudes horaires ne cessent d’augmenter et le fameux droit à a déconnexion n’est respecté nulle part ou presque. Mais on ne peut pas dormir au bureau et à un moment on doit rentrer chez soi. Quand on est déjà chez soi il y a un garde fou qui tombe mais le vrai problème existait déjà au bureau. Quant au « travail flexible » il n’existe souvent que dans un seul sens et jamais à l’avantage du collaborateur.
  • Quant au manque de lien social il laisserait supposer qu’en dehors des collègues beaucoup de salariés n’ont pas de vie sociale ? Que la culture de beaucoup d’entreprise soit « inclusive » voire envahissante à un point tel que les salariés n’ont pas le temps de vivre à côté de leur travail et que certaines font tout pour que leur salariés leurs appartiennent corps et âmes n’est pas une nouveauté. C’est même spécialement marqué dans certaines entreprises de la tech comme Google par exemple et ça n’est pas pour rien que ce sont ces mêmes entreprises qui veulent voir leurs salariés revenir au bureau le plus vite. Ca n’est pas le télétravail qui a isolé les gens, il leur a juste permis de réaliser que le travail au bureau les avait coupé du monde.

Bref le télétravail ne pose pas de problèmes nouveaux mais nous montre simplement que le travail tel qu’on le conçoit et l’exécute est en fin de cycle, qu’il faut le repenser et que l’élastique qui ne cessait de se tendre au bureau depuis au moins 20 ans venait de casser.

Mais ne faisons pas porter au télétravail la responsabilité de la faiblesse de l’élastique. Ou, plutôt, ne nous trompons pas de problème : ce qu’on a vu en télétravail n’était pas le problème mais la manifestation d’un problème pré-existant. Et, comme chacun sait, on ne fait pas baisser la température en cassant le thermomètre.

On ne fera pas comme avant mais à distance

Il y a deux notions dans le télétravail. La notion de distance et la notion de travail. Depuis que la crise sanitaire a rouvert le débat sur le télétravail on voit que toutes les entreprises se concentrent sur la notion de distance mais que peu parlent de réinventer le travail.

Le télétravail leur donne pourtant une occasion unique d’avancer sur des chantiers qu’elles ont pour la plupart ouvert il y a longtemps mais qui sont laissés en jachère faute de sentiment d’urgence permettant de mobiliser tout le monde et de provoquer les changement nécessaires à tous les niveaux de l’entreprise. La distance à fait naitre cette urgence mais plutôt que d’en profiter pour remettre les vrais problèmes sur la table on préfère réduire la distance.

Le télétravail ne sera pas « travailler comme avant mais d’ailleurs » car travailler comme avant ne fonctionne pas, que ce soit à distance ou ensemble dans un bureau. Et ça n’est pas parce qu’au bureau on peut masquer et compenser certains dysfonctionnements qu’ils n’existent pas. Mais le télétravail est souvent la responsabilité des RH, le reste étant diffusée de manière assez nébuleuse entre des gens en charge du collaboratif, l’informatique, la direction des opérations, les responsables d’un management delivery model ou modèle managérial qui n’existe et n’est appliqué de vaguement… On n’en voudra pas aux RH de faire ce qu’elles peuvent sur leur périmètre mais le manque de leadership sur ce qu’on a coutume d’appeler le futur du travail est flagrant.

Aujourd’hui quand on parle de télétravail on jette un regard pudique sur le travail avant de vite le détourner et on se concentre sur le « télé » alors que c’est l’inverse qu’il faudrait faire.

En effet toutes les entreprises qui fonctionnent bien à distance fonctionnent bien au bureau. L’inverse n’est pas vrai. La distance n’est donc pas le sujet, c’est la manière dont on travaille, le management et le modèle opérationnel qui l’est.

Travailler à distance c’est d’abord travailler, peu importe d’où, et cela doit être aussi efficace indépendamment du contexte.

Image : Télétravail de Jacob Lund via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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