Il y a quelques temps j’avais contribué à un dossier sur le télétravail et le travail flexible réalisé par AppVizer par le biais d’une contribution sur les leçons apprises sur le télétravail pendant la pandémie. Pour clore le sujet je voudrais revenir sur les résultats de l’enquête qui sert de colonne vertébrale à ce dossier
Pour commencer je remarque avec intérêt que les entreprises ayant répondu sont répandues de manière quasi égales entre très petites, petite, moyennes et grandes entreprises ce qui permet d’éviter les biais souvent constatés lorsque des grandes ou des petites entreprises répondent très majoritairement.
Le télétravail est là mais personne ne sait où il va
88% des entreprises qui ont mis en place le télétravail c’est bien mais vu le contexte qu’on a connu on s’étonne de ne pas approcher davantage les 100%. Peut être s’agit il d’entreprises dont les métiers ne sont pas « télétravaillables » mais. vu le public d’AppVizer j’ai du mal d’y croire.
Point intéressant : hors confinement les entreprises ne semblent pas avoir de religion quant à la « bonne » durée de télétravail. De 1 à 5 jours les chiffres sont assez bien répartis. De mon point de vue cela signifie deux choses : soit elles n’ont pas encore eu le temps de se faire une religion soit elles ont compris qu‘il n’y avait pas un cadre unique qui allait pouvoir s’appliquer à tout le monde et tout le temps. J’aimerais que la bonne réponse soit la seconde mais à ce jour j’ai encore un doute très fort quant au risque de voir les entreprises vouloir faire revenir tout le monde au bureau une majorité du temps.
Le télétravail s’est donc logiquement installé pendant la crise sans qu’on ait de perspective claire sur ce qu’il en adviendra dans le futur. En effet lorsque 72% des répondants disent que pour l’avenir ils seraient demandeur d’un télétravail flexible cela veut simplement dire que ça ne sera plus le 100% bureau ni le 100% télétravail. Entre 1 et 4 jours ça n’est pas du tout la même chose ! La preuve, 48% pensent qu’à l’avenir leurs entreprises opteront pour un compromis entre le nouveau et l’ancien mode de fonctionnement.
Tout ce qu’on peut retirer de cela c’est que les entreprises sont dans le flou le plus complet. Le retour à la normale n’est pas envisageable mais prolonger ce qui a été mis en place pendant la crise et le confinement non plus. Si on regarde le profil des répondants (57% de salariés sans responsabilités managériales, 30% de managers et chefs d’équipe, 9% de directeurs et chefs d’entreprise) on peut penser que le poids de la population des salariés qui logiquement ne sait pas pèse sur les résultats mais aussi que ceux qui sont supposés savoir ou penser à l’avenir n’en savent pas plus.
Tout le monde ne voit pas les mêmes avantages au télétravail
Même si tout n’a pas été parfait dans la séquence qu’on a connu, entreprises et collaborateurs reconnaissent un certain nombre de bénéfices au télétravail. Et sans surprise ça ne sont pas les mêmes.
Pour près de 50% des entreprises le télétravail facilite la flexibilité, fait gagner du temps et a un impact sur le bien être des salariés.
Il n’y a que pour 10% d’entre elles qu’il permet de recruter des collaborateurs qui n’ont pas envie de quitter leur pays ou leur région mais je ne doute pas qu’avec le temps cette possibilité devienne de plus en plus stimulante.
Elles ne sont que 10% aussi à voir dans le télétravail la possibilité de faire des économies et cela me rassure. Le télétravail permettra certainement au final des économies à condition d’en tirer toutes les conséquences et, à mon avis, de ne pas en faire un objectif. Les économies seront une conséquence d’un nouveau mode d’organisation de la production et du travail mais si elles sont l’objectif premier la mise en place du télétravail peut vraiment mal se passer, comme à chaque fois qu’on fait les bonnes choses pour de mauvaises raisons.
Les collaborateurs rejoignent les entreprises sur la plupart de ces points : ils voient dans le télétravail un moyen de gagner du temps, de mieux concilier vie privée et vie personnelle.
Et aussi bizarre que cela puisse paraître, on reproche également au télétravail l’exact l’inverse : impossibilité de dissocier vie personnelle et professionnelle, difficulté de se concentrer, baisse de motivation.
On ne sait pas ce qu’est le télétravail
Je ne suis pas surpris de retrouver ce que certains verront comme une incohérence. Au moment où les entreprises essaient d’élaborer de revoir leurs politiques relatives au droit au télétravail il faut bien admettre que pour celles qui ne pratiquaient pas le télétravail avant, elles n’ont pas, et leurs collaborateurs non plus, été confrontées à une situation de « vrai télétravail ».
Dans le télétravail en contexte normal il y a un équilibre, on peut faire une coupure après sa journée, sortir, et pendant qu’on travaille on n’a pas forcément toute sa famille autour de soi dans un lieu pas prévu pour cela. D’une certaine manière les entreprises et leurs collaborateurs ont expérimenté le pire du télétravail, un dispositif souvent mis en place dans l’urgence et utilisé dans le pire des contextes.
La flexibilité : oui mais pas trop
La flexibilité ça n’est pas que le télétravail, c’est aussi une approche des espaces et du temps de travail.
33% des entreprises répondantes (65% des grandes) pratiquent déjà le flex office. Un chiffre que je trouve étonnamment bas tant on est habitués à voir des open spaces. Et contrairement à beaucoup de choses que j’ai pu lire, les salariés y sont globalement favorables.
Il ne faut pas se mentir : si le flex office (qui à mon sens est une idée plus élaborée que le simple open space mais je ne suis pas sûr que l’étude fasse la distinction) a du succès auprès des entreprises c’est notamment pour les économies qu’il génère. Le reste (collaboration, bien être) n’est qu’un bel emballage qui sert à faire passer la pilule.
Et l’étude montre bien que les entreprises sont d’autant plus ouvertes à la flexibilité que cela les arrange et que cela ne s’accompagne pas trop de ce qui pourrait être vécu comme une perte de contrôle.
Si la moitié des entreprises ont des plannings flexibles l’étude ne nous dit pas si cette flexibilité se fait à l’avantage du salarié ou de l’entreprise. Et si 47% ne contrôlent pas les horaires de travail quelque chose me dit que cela pourrait changer si le télétravail se généralise.
Quant aux autres de formes de flexibilité plus innovantes (planification des congés, nombre de congés…) elles sont beaucoup plus marginales.
Les outils RH ont le vent en poupe
Il est également intéressant de voir que le télétravail a poussé les entreprises à investir dans des outils nouveaux et, au premier rang d’entre eux dans des outils RH ! Suivent ensuite les outils de gestion commerciale, d’organisation et de planification et enfin seulement de communication interne et de travail collaboratif.
Vous trouvez l’ordre de ce quarté surprenant ? A mon sens il est très logique.
J’aurais aimé arriver à la conclusion que les entreprises ont compris la primauté de la fonction RH dans cette crise mais ça n’est à mon avis pas le cas.
On a bien vu les RH au four et au moulin et leur rôle pendant cette crise n’est pas à prouver mais je ne sais franchement pas ce qu’il va en rester à terme. Mais il faut distinguer la fonction des outils. Si l’investissement dans les outils RH a été si important ça n’est pas simplement parce que les entreprises ont compris l’importance des outils de collecte de « moods » et de feedback. C’est aussi et surtout parce que la fonction RH a été jusqu’ici le parent pauvre de la transformation digitale des entreprises et j’en veux pour preuve le nombre d’entreprises qui utilisent encore du papier dans le cadre de leurs process RH, ce qui ne fonctionnait bien sûr plus à distance. Ce que nous montre cette étude n’est donc pas une évolution mais un simple rattrapage.
A l’inverse voir les outils de communication et de collaboration arriver en queue de peloton n’est ni une surprise ni un désaveu. Les entreprises sont pour beaucoup équipées en la matière voire suréquipées avec des outils en doublon, certains même existant « sous le radar » et le challenge n’a pas été de s’équiper mais simplement d’apprendre à utiliser ce qu’elles avaient. Il était d’ailleurs amusant de voir beaucoup de salariés essayer soudainement d’apprendre à maitriser une fois contraints de travailler chez eux des outils qu’ils avaient sous la main depuis des années. C’est aussi la preuve que si les entreprises, sont globalement bien équipées en la matière, l’usage ne suit pas du tout.
La promesse de l’entreprise flexible survivra-t-elle au COVID ?
On est encore loin du travail flexible tel que beaucoup l’aimeraient et avant qu’il se généralise je pense qu’il faudrait déjà arriver à une définition du travail flexible sur laquelle entreprises et salariés s’entendent. C’est loin d’être acquis.
La crise du COVID a toutefois montré que des choses étaient possibles à une échelle inimaginable avant et il en restera quelque chose. Les entreprises ne pourront plus s’arc-bouter sur leurs règles passées et les collaborateurs ont également compris qu’il était bon de parfois revenir au bureau.
Mais qu’en restera-t-il une fois la crise passée. Le risque de tout oublier et de revenir dans le « modèle d’avant » est peu probable mais il n’est pas certain qu’on tire toutes les conclusions de la crise. L’entreprise d’après sera peut être beaucoup plus proche de l’entreprise d’avant que des rêves de certains.
J’en veux pour preuve l’ironie de la conclusion de l’étude. Lors de sa sortie au printemps elle disait « la digitalisation croissante des entreprises et l’inspiration suscitée par les grosses entreprises de la Tech américaines (Facebook et Google notamment) qui tendent de plus en plus vers le 100 % remote, risquent d’accélérer la flexibilité au travail. ».
Aujourd’hui on sait que ces mêmes entreprise sont celles qui ont été les premières à siffler la fin de la récréation et demander à leurs salariés de revenir au bureau.
Il y a un momentum pour faire bouger les choses mais il faudra être prompt à le saisir car il sera court, très court.
Crédit image : Télétravail de Jacob Lund via Shutterstock