Le télétravail : un sujet collectif traité individuellement

Si l’expérience de télétravail forcé n’a pas si mal fonctionné que cela vu l’état d’impréparation des salariés et des entreprises, la question de sa pérennisation se pose. Une chose est certaine : le chantier est ouvert et on sait que si on va vers des modèles de travail différents d’avant la crise, on ne prolongera pas à l’identique ce qui a été fait pendant la la crise. Reste donc à réinventer les modalités du travail de demain en évitant d’accoucher d’un modèle dysfonctionnel qui à la longue aura la peau du travail à distance. Malheureusement on semble aller tout droit dans la mauvaise direction.

Les 4 grandes méprises au sujet du télétravail

Les entreprises commettent des erreurs majeures lorsqu’elles réfléchissent au télétravail. A ce jour j’en ai identifié 4 et j’espère que la liste se s’allongera pas dans le futur.

Tout d’abord elles le pensent comme un bénéfice RH alors qu’il s’agit d’une modalité opérationnelle d’organisation de la production.

Ensuite, et c’en est la conséquence logique, elles le considèrent comme un droit qu’on octroie ou non à un individu alors que pouvoir et surtout savoir télétravailler est une obligation dont peut dépendre la survie de l’entreprise.

Dans le même ordre d’idées elles se focalisent sur la gestion de la distance qui serait le problème alors que le vrai problème est le travail, son contenu et son organisation. En effet n’en déplaise à certains, le télétravail n’a pas vraiment créé de problèmes nouveaux mais mis sous les projecteurs les limites de l’organisation actuelle du travail.

Enfin, et c’est l’objet de cet article, elles traitent individuellement un sujet qui est collectif.

Les entreprises ont une approche invididualisée du télétravail

Quand on parle de la mise en place du télétravail les entreprises ont en effet une approche individu par individu. Bien sûr elles pensent des dispositifs qui vont s’appliquer de manière large soit à tout le monde, soit à certains métiers, soit à certaines entités, à certaines équipes, mais ça c’est au niveau de la conception.

Au niveau de la mise en œuvre on en revient à se demander pour chaque individu s’il a potentiellement le droit de le faire et, mais encore trop rarement, s’il a l’autonomie pour le faire ou s’il maitrise suffisamment certains outils.

C’est nécessaire puisque le plus souvent cela se traduit au niveau individuel dans le contrat de travail. Mais c’est loin d’être suffisant.

Le télétravail est un sport d’équipe

Je dis souvent que quand une personne est à distance tout le monde est à distance. Vous pouvez avoir 9 personne au bureau sur une équipe de 10, il suffit qu’une travailler à distance pour que chacun doive dans son management, dans sa communication, dans les outil qu’il utilise agir en conséquence. Et quand bien même 9 seraient au bureau, la moindre réunion incluant cette personne se passera donc en visioconférence.

Et quand je dis à distance je ne dis pas nécessairement chez elle. Elle peut être dans un autre bureau dans un autre site, peu importe, elle n’est physiquement pas là.

J’ajouterai d’ailleurs que pour cette personne, même si elle est chez elle et les autres au bureau, ce sont ceux qui sont au bureau qui sont à distance.

Le travail à distance implique des règles, des pratiques, parfois des outils qui s’imposent à tous dès lors qu’une seule personne n’est pas physiquement au bureau. Dans cette optique on voit déjà que l’approche individualisée montre ses limites : même ceux qui ne sont pas à distance voire qui n’ont pas le droit de travailler à distance doivent donc maitriser ces pratiques autant que ceux qui le sont.

On ne gagne pas dans un sport d’équipe sans entrainement

La mise en place du télétravail demande donc une maitrise partagée d’un certain nombre de pratiques. Cette maitrise peut en partie s’acquérir individuellement (en apprenant à utiliser certains outils par exemple) mais demande une pratique collective.

Si seuls ceux qui sont à distance savent bien utiliser Teams, Zoom ou Meet, si eux seuls savent convenablement animer et participer à une réunion à distance, si eux seuls sont rompus à l’édition collaborative de documents, si eux seuls sont dans « chat » de groupe que les autres ont désertés parce qu’ils se voient au bureau cela ne fonctionne pas.

Or quand on parle de télétravail je n’entend que des RH et des managers se demander si untel peut, si untel doit avoir le droit et, trop rarement, si untel et capable mais jamais se demander si collectivement l’équipe est prête à avoir tout ou partie de ses membres en télétravail, s’ils sont collectivement capables de fonctionner à distance.

Pour rester dans la comparaison avec le sport d’équipe vous pouvez avoir deux top joueurs, si les 8 autres ne savent pas jouer avec, avec le même ballon et en suivant les mêmes règles vous ne risquez pas de marquer un but. Et de la même manière si vous avez 8 top joueurs et deux qui sont loin du niveau ils deviennent le facteur limitant de votre équipe.

Le télétravail suit l’opérationnel et pas la structure de l’entreprise

Cela nous amène d’ailleurs à un autre point. Il faut penser le télétravail en fonction des gens qui « jouent ensemble », ce qui n’est pas toujours la même chose que de faire partie d’un même département ou d’une même fonction.

Dans certaines configurations d’organisation ou en mode projet, les mêmes d’une équipe au sens RH du terme ne travaillent peu voir pas ensemble mais ils travaillent au sein d’équipes transverses multidisciplinaires. C’est au niveau de ces équipes qui reflètent la réalité des opérations et des projets de l’entreprise qu’il faut penser la mise en place du télétravail.

Par exemple vous pouvez avoir une entité « Chefferie » de projet qui est une réalité RH et opérationnelle. Mais peu importe que ces personnes soient collectivement capables de télétravailler ensemble, ils ne travaillent pas ensemble ! Ce qui est important c’est qu’au niveau d’une équipe incluant un chef de projet mais également des membres de plusieurs corps de métiers différents on soit capable, collectivement, de travailler avec tout ou partie des membres de l’équipe à distance.

Image : équipe à distance de fizkes via Shuttertsock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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