Service employés et guichet unique : vers la ticketisation de l’entreprise

Je parlais dans un billet précédent de la notion de service employé et un plus tard je montrais que cette notion de service employé était en train de faire son chemin dans les têtes et sur le marché. Mais ça n’est pas parce que des gens y pensent et que des solutions pour le faire apparaissent sur le marché que cela va devenir une réalité ou le devenir rapidement.

L’objectif de ce billet est donc de refaire le point sur le rapport coût/bénéfice d’une telle démarche et, surtout, d’en évoquer les modalités pratiques.

Pourquoi une démarche de service employé ?

On peut partir du principe que les grands principe de l’expérience employé sont hérités de ceux l’expérience client, qu’on est dans une logique de consumérisation des organisations ou encore évoquer le besoin de symétrie des attentions entre d’une part le collaborateur et le client et d’autre part l’entreprise et le collaborateur on arrive au même point : il y a dans toute entreprise un service client mais rarement un service employé.

Et pourquoi donc ? De manière assez évidente parce, comme le disais à propos du Management Delivery Model, que l’entreprise fait une promesse au client, que le collaborateur doit avoir les moyens de la tenir et que pour cela il est en droit d’attendre quelque chose de son manager et de l’organisation et peut être amené à avoir des demandes et des questions.

Les demandes des salariés sont vitales aux opérations

Il y a ici un mythe auquel je veux tordre le cou au plus vite : les demandes des collaborateurs ne sont pas que des demandes RH et n’ont pas à être traitées que par les RH.

Oui parfois un salarié a des choses à demander aux RH et il y a en général des canaux voire des personnes identifiées pour cela.

Il a également des choses qu’il a à demander à son manager. L’interlocuteur est connu par définition et ça ne sont pas les canaux qui manquent : téléphone, mail, chat, réunion, aller lui parler de manière impromptue. Ces demandes peuvent concerner la dimension managériale du manager mais également sa dimension opérationnelle : besoin d’une approbation, d’un conseil, d’une prise de position quant à la conduite à tenir…

Il y a aussi des choses plus techniques qui vont en général à l’iT. Problème pour utiliser un outil, outil qui ne fonctionne pas, besoin d’accéder à un outil nouveau, besoin d’obtenir la création de différents espaces et instances dans le cadre d’un projet…

Parfois il peut également avoir besoin de l’avis ou de l’aide d’un expert. Parfois identifier la personne est facile, parfois non. Ce qui nous montre également que le sujet est également lié à la question du knowledge management.

Il y a enfin les « alertes ». Un salarié peut observer un dysfonctionnement, une chose qui met l’entreprise à risque ou, à l’inverse, une bonne pratique qui gagnerait à être connue et généralisée et cette information doit remonter au « bon » niveau dans l’intérêt même de l’entreprise. Sans que personne n’oublie de la traiter, ne la laisse dormir dans une boite mail et dans des délais qui permettent d’agir.

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que contrairement à ce que beaucoup s’imaginent quand un salarié a une demande vis à vis de l’organisation ça n’est que rarement par rapport à sa situation personnelle et c’est le plus souvent par rapport à des besoins opérationnels. Il est bloqué quelque part et attend que quelqu’un débloque la situation pour pouvoir avancer dans son travail. Un peu comme lorsque je commentais le 4e baromètre de l’expérience employé je constatais que le sujet était regardé avec un prisme purement RH alors que le collaborateur passe a minima 95% de son temps en contexte opérationnel et (heureusement) pas à interagir avec les RH !

Le trou noir des demandes des salariés

Chacune de ces demandes a donc un destinataire, un niveau de criticité et doit suivre un chemin. Dans certaines hypothèses il faudrait même que la demande soit escaladée automatiquement si le destinataire ne peut la traiter dans un certain délais.

La vérité est que dans de nombreux cas le destinataire n’est pas connu ou vaguement (l’IT, les RH…) qu’il n’existe aucune sécurité en termes de délais de traitement et qu’une fois la demande partie il est totalement impossible de savoir ce qu’elle devient, où elle en est. Et je ne parle même pas de certaines demandes d’aides ou d’alertes qui sont enterrées soit par manque de temps pour les traiter à temps soit par volonté de cacher la poussière sous le tapis.

Parfois elles sont traitées, parfois non. Parfois dans des délais acceptables ou pas. Pendant ce temps le salarié attend.

Cela pose trois problèmes évidents qu’il n’est pas inutile de rappeler.

  • Cela pénalise l’entreprise d’un point de vue opérationnel. Un salarié bloqué par un sujet, peu importe sa nature, est un salarié qui ne produit pas, ou mal.
  • Cela envoie un mauvais signal au salarié : « je suis là pour le client mais qui est là pour moi ? ». Il ne peut pas compter sur une entreprise qui lui demande beaucoup. Désengagement garanti.
  • Tout cela n’étant pas/peu/mal suivi l’entreprise perd des occasions d’apprendre de ce qu’elle fait bien ou mal et donc perd des occasions de s’améliorer.

Dans tous les cas et quel que soit le sujet auquel vous êtes les plus sensible, c’est mal.

Le client toujours mieux servi que le salarié

En tant que client lorsqu’on a un problème avec un produit ou un service on a un recours : le service client. Aujourd’hui la norme en la matière est :

1°) Une base de connaissance disponible qui permet de limiter le besoin de recourir à une personne pour avoir une information. Une telle base de connaissance peut être mise en place en entreprise.

2°) Une sorte de guichet unique en ligne où on pose ses questions avant qu’elles soient dirigées vers les bonnes personnes avec des systèmes de suivi et d’escalade. Côté « back office » une demande se traduit par création d’un « ticket » qui sera suivi, réaffecté, traité, fera l’objet d’interactions et de commentaires aussi bien en interne que, parfois, avec le client.

C’est ce second dispositif qui est totalement absent en entreprise, ce qui est d’autant plus surprenant qu’elles utilisent ce type de logique avec leurs clients.

Mais, pour le salarié, il est évident qu’il est plus facile d’avoir une réponse de l’organisation pour le client que pour lui. Même si le fait de lui répondre à lui permet de répondre au client…

Bref un client qui a un problème ou une question « ouvre un ticket » et un salarié devrait pouvoir en faire de même.

Les bénéfices de la ticketisation de l’entreprise

Cette logique que j’appelle la tickétisation de l’entreprise et qu’on avait il y a un an identifié comme une tendance émergente dans cette vidéo avec Olivier Delestre présente un grand nombre de bénéfices.

En premier lieu il permet la traçabilité de chaque demande. Cela peut sembler évident mais le collaborateur doit savoir où en est sa demande. Mais ça n’est pas tout. Cela permet aussi à l’entreprise de mesurer l’efficacité et la réactivité de ses services internes, de son management, de ses « People Operations ».

Cela permet bien sûr, après analyse des problèmes fréquemment remontés mesure de l’efficacité du système, de rentrer dans une démarche d’amélioration continue.

Cela permet de rendre le système « scalable » à l’échelle de l’entreprise.

Cela permet d’ajouter des sécurités à des pratiques qui, aujourd’hui, en sont dépourvues voire. Par exemple de l’alerting (tel ticket n’a pas évolué depuis x jours) ou de l’escalade automatique.

C’est l’occasion de formaliser et donc simplifier des pratiques aujourd’hui le plus souvent informelles.

Cela permet la collaboration en permettant à diverses personnes de contribuer à la résolution du problème.

Cela réduit les efforts de coordination et de gestion administrative des demandes. Autant de charge mentale en moins pour ceux qui doivent répondre et peuvent se concentrer sur la valeur qu’ils ont à apporter plutôt que sur le tri et le suivi d’une masse de demandes qui arriveraient par email par exemple.

Cela améliore également la réactivité du dispositif et de l’entreprise. Souvenez vous que parfois derrière un salarié qui pose une question il y a un client qui attend une action de sa part ou une tâche qui attend d’être exécutée.

Cela contribue à une démarche de dématéralisation dans laquelle certaines fonctions (et notamment la fonction RH) sont en retard.

Cela permet la mise en place d’un guichet unique, plus simple pour le salarié, la demande étant ensuite automatiquement « routée » au bon endroit.

Cela concrétise la convergence entre l’expérience employé et l’excellence opérationnelle.

Ticketisation n’est pas complication

Bien sûr certains trouveront des limites à une telle approche. Il y a plusieurs mois de cela Philippe Szilerzahn écrivait sur le sujet en ne lui trouvant que des défauts. Bien que je sois en général d’accord avec ce qu’il écrit, je pense qu’il confond ici plusieurs choses.

Il se limite au support technique. On a vu plus haut que les cas de figure étaient beaucoup plus nombreux.

Il y voit une application extrême du Taylorisme. En ce qui me concerne je fais une différence claire entre ce qu’on appelle les process facilement repétables (Easily Repeatable Processes – ERP) et les process rarement repétablables (Barely Repeatable Processes – BRP). Dans les premiers l’humain n’a qu’une valeur ajoutée faible, ils ajoutent une charge mentale inutile et l’humain est surtout une source d’erreur et de lenteur. Dans les second, qui relèvent de la gestion des exceptions et des cas uniques, l’humain est indispensable et doit pouvoir y apporter toute son attention.

L’approche telle que je la décrit permet à l’humain de s’affranchir des tâches de suivi et d’administration au travers de l’automatisation. Et quand Philippe Szilerzahn critique la séparation des tâches d’exécution et de conception je pense au contraire qu’ici c’est une bonne chose pour les individus de ne plus exécuter le process (le logiciel s’en charge) et de n’intervenir que pour concevoir et apporter réponses et solutions.

Il y voit une source de déresponsabilisation et de démotivation. Pour moi c’est passer sa journée à recevoir des emails, des demandes, les trier, les orienter et les suivre qui est un problème. Pas répondre aux questions.

Il y voit enfin les travers d’une organisation formelle et là je pense qu’il confond formalisme et complication des organisations. Le formalisme c’est « écrire la manière dont on fait les choses ». On peut formaliser une organisation simple ou une organisation compliquée : la formalisation n’est pas le problème, elle ne fait qu’en rendre compte. Par contre formaliser la manière dont on traite le diverses demandes permet de se rendre compte de la complication actuelle pour, justement, mettre en place un système simplifié et facilité par la technologie.

D’ailleurs la codification/spécification des tâches facilement repétables est une des composantes d’une approche lean de simplification des organisations pour les travailleurs du savoir.

La ticketisation en action

Alors vous vous demandez certainement comment cela se met en place et fonctionne au quotidien. Ca sera l’objet d’un futur billet sur ce qui est pour moi la colonne vertébrale des People Operations.

Image : service employe de Rawpixel.com via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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