Le COVID n’a pas été un acteur du changement mais un excellent consultant

On peut lire un peu partout que le COVID a été le meilleur agent de changement, qu’il a réussi en quelques semaines là où les managers, Chief Digital Officers, professionnels du changement ont constamment échoué : transformer l’entreprises, son organisation, ses pratiques, favoriser l’adoption de nouveaux outils. Quitte à jouer les rabats-joie je pense qu’on en a à ce jour aucunement la preuve et que s’il faut reconnaitre quelques aspects « positifs » au COVID ça ne sont pas ceux qu’on croit.

Le COVID a provoqué de la réaction, pas du changement

Oui les entreprises ont du aller plus vite qu’elles ne le pensaient sur certains sujets, voire aller sur des sujets où elles ne comptaient pas du tout aller d’ailleurs, des salariés ont enfin par eux-même appris à utiliser des outils qu’on arrivait pas à leur faire utiliser (ou bien utiliser) depuis des années, oui on aurait jamais imaginé aller aussi loin et aussi vite sur le télétravail, les commerçants de toute taille se sont convertis sinon au e-commerce en tout cas au click and collect.

Le COVID est donc le meilleur agent de changement ? Je n’irai pas jusque là.

Le changement résulte d’une démarche volontaire et n’est réalisé que lorsque la nouveauté est durablement ancrée. Aucune des deux conditions n’est satisfaite.

Rien de ce qui s’est passé pendant le COVID ne résulte d’une démarche volontaire, d’un projet d’entreprise. Oui, les entreprises ont décidé de basculer sur le télétravail mais est-ce un choix ? En aucun cas. C’est simplement la réaction à une contrainte extérieure. Quand on va dans une direction dans laquelle on n’avait pas l’intention d’aller, parce que c’est imposé de l’extérieur non seulement ça n’est pas une décision dans la mesure où ça ne fait pas partie d’un projet d’entreprise mais c’est vécu comme une aggression qui génère dès le premier jour l’idée d’un retour à la normale dès que ça sera possible.

Cette idée de retour à la normale a été présente dès le premier jour alors que dans une vraie démarche de changement en entreprise on sait, en théorie, qu’on ira jusqu’au bout. La question n’est pas de discuter le point d’arrivée, juste de savoir si on y arrivera dans la facilité ou dans la douleur. Dans le cas des changements liés au COVID le maintien mesures exceptionnelles n’a jamais été dans les esprits, en tout cas pas des managers et des dirigeants. Peut être dans les têtes de ceux qui y ont trouvé une forme de satisfaction, qui militaient pour le télétravail, mais certainement pas dans celles de la grande majorité et encore moins dans celles des dirigeants.

Les changements liés aux COVID ne relèvent donc pas d’une démarche volontaire des entreprises mais de la contrainte. Mais, en plus, ils ne sont pas durablement ancrés.

A peine certains signaux repassaient ils dans le vert qu’un certain nombre d’entreprises, et parmi elles certaines emblématiques comme Google ou Apple, ont sifflé la fin de la récréation. Pour la plupart des entreprises se pose aujourd’hui la question du droit au télétravail et en dehors des plus progressistes qui sont celles, le plus souvent, qui étaient déjà bien avancées sur le sujet avant la pandémie, on concèdera magnanimement sûrement 2 jours par semaine de télétravail par semaine. Un simple bénéfice RH qui évitera de questionner l’organisation du travail. Totalement inadapté à un dispositif qui n’est efficace dans le cadre d’un plan de continuité d’activité que s’il est maitrisé et donc pratiqué par tous de manière régulière. Pour des raisons de facilité beaucoup de gens préféreront toujours réduire la distance que repenser le travail.

Combien de petits commerçants maintiendront leur activité de click-and-collect ? Quasiment aucun.

Le taux d’usage de Teams, Zoom et autres restera-t-il aussi haut ? Je suis prêt à parier que non. Et on reprendra les mauvaises habitudes en termes de collaboration dès qu’on se recroisera dans l’open space.

La transformation digitale des PME a-telle accéléré pendant la crise ? Non ! Il y bien eu des mesures tactiques mais rien de vraiment stratégique ou culturel.

La crise a montré le rôle essentiel des RH pour aider les collaborateurs à garder la tête hors de l’eau ? L’avenir de l’entreprise se construira sans elles.

Le COVID provoquera les discussions qui mèneront aux vrais changements

Ne me faites pas dire ce que je dis pas : oui des choses changeront par rapport à « avant » mais rien n’est acquis. Les pratiques et les changements n’ont pas été assez durablement ancrés et ce d’autant plus qu’ils étaient loin d’être désirés par tous. Il y a des choses que les employeurs voudront conserver, d’autres pas, de la même manière qu’il y a des choses que les collaborateurs voudront garder et pas les entreprises. Et souvent ça ne sera pas les mêmes. Mais pour l’instant rien de ce qui a été mis en place pendant la pandémie n’est par définition sûr de rester en place.

Le COVID n’aura donc pas été un agent de changement. Il a juste provoqué un choc qui va permettre les discussions d’où résulteront, cette fois-ci, de vrais projets de changement. Pourvu que ces discussions aient lieu, soient constructives et que des décisions en résultent qui soient la traduction d’une vision de l’entreprise et pas la conclusion d’une négociation de marchands de tapis sur des bénéfices et des contreparties.

Mais s’il n’a pas été l’agent de changement sans attendu, le COVID a été d’une grande utilité, pourvu qu’on soit assez lucides pour l’admettre.

COVID Consulting : Un diagnostic gratuit pour tout le monde !

Les entreprises raffolent du recours à des cabinets de conseil pour identifier ce qui ne va pas chez elles et trouver comment améliorer les choses. Mais reconnaissons que c’est cher et biaisé : en général elles paient pour avoir les conclusions qu’elles ont envie de lire, justifier les projets qu’elles avaient envie de mener, et la version finale des audits et recommandation qui leur sont remises ont été soigneusement expurgées des sujets qui fâchent.

Le COVID et notamment le travail à distance forcé et généralisé ont mis en lumière tout ce qui ne fonctionnait pas au bureau. Toutes les pratiques qui ont cours au bureau pour compenser les défaillances de l’organisation, des outils, des process, des gens, des managers ne pouvaient plus avoir cours et les problèmes qui existaient déjà mais qu’on feignait de ne pas voir ont été exposés au grand jour.

Le COVID a été un crash test grandeur nature des limites de nos organisations. Il n’y a plus qu’à dresser la liste des constats et apporter des solutions mais on ne pourra pas dire qu’on n’a pas vu ce qui dysfonctionnait. Il a ainsi réalisé la plus grande mission de conseil à grande échelle qui ait jamais été menée. Merci COVID Consulting !

On a un problème de modèle et de posture managériale ? Un problème de collaboration ? Un problème d’engagement ? On se sait pas organiser de réunions ? Tout cela existait au bureau, on le savait, on a pas osé prendre toutes les dispositions nécessaires pour y remédier et le passage à distance mis tout cela sous un stress tel que la vérité est apparue au grand jour et qu’on ne pouvait plus cacher la poussière sous le tapis !

Retour à la normale ou apprendre de l’expérience ?

Aujourd’hui les entreprises sont donc confrontées à un choix.

Soit se dire que tout ce qui a dysfonctionné pendant la pandémie est la faute du télétravail, de la pandémie, et se hâter de provoquer un retour à la normale.

Soit se dire qu’elles ont entre les mains et sous leurs yeux un diagnostic incontestable basé sur une expérience collective que personne ne peut renier et qu’il est temps d’agir.

Certaines se diront qu’il est enfin temps de faire le ménage au lieu de recommencer à cacher la poussière sous le tapis. D’autres tenteront de se convaincre que c’est la pandémie et pas elles qui a fabriqué de la poussière.

Mais j’ose croire que beaucoup, à l’heure du bilan, décideront de voir les leçons apprises lors de la séquence qu’on vient de vivre comme une opportunité pour s’améliorer. Les autres remettront tête dans le sable et auront râté une occasion.

Le vrai sujet de l’entreprise post COVID ça n’est pas le retour à la normale, c’est capitaliser sur les leçons apprises.

Dans cette série :

Dans cette série :
L’entreprise post COVID : mythe ou réalité ?
Le COVID n’a pas été un acteur de changement mais un excellent consultant
Le salarié post covid : un marché d’une personne insaisissable
Le manager post-covid : plus indispensable et perdu que jamais.
L’organisation post covid : plus plate, agile, flexible, rapide et simple.
Les opérations post covid : formalisées, simplifiées, automatisées et People Centric
Le lieu de travail post covid : l’hybridation dans la douleur.
Culture d’entreprise post covid : la grande reconstruction dans le désordre.
Valeurs d’entreprise post covid : beaucoup de promesses et peu d’effets. (A venir)
La Digital Workplace post Covid : ATAWAD et ouverte à tous. (A venir)

Image : consultation de PopTika via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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