Sortons pour une fois des sentiers battus et comparons le management à….un jeu vidéo.
L’histoire vécue que je vais vous raconter s’es déroulée lors d’un diner entre amis et je vais commencer par la fin : le dessert.
Après avoir abordé moult sujets intéressants nous avons terminé sur quelque chose de plus léger : les jeux vidéos. Et pour être plus précis : les simulations de football.
C’est un sujet qui a vite fait consensus. Tout le monde autour de la table n’est pas, loin de là, fan de jeux vidéos mais entre ceux qui s’intéressent à cette catégorie de jeux, ceux qui s’intéressent aux jeux vidéos en général, ceux qui s’intéressent au football sans s’intéresser aux jeux et les deux qui ne s’intéressent à rien de tout cela mais ont rejoint la conversation en route car elle nous a permis, vous allez le voir, de digresser sur d’autres sujets, la conversation a été très longue.
Une philosophie plus qu’un jeu
La conversation a rapidement tourné sur le fait de savoir qui était plutôt adepte de FIFA ou de Football manager.
Pour simplifier pour ceux qui ne connaissent rien au sujet.
- FIFA est un jeu d’action. On contrôle les joueurs à l’aide de la manette et on est « sur le terrain », au cœur de l’action car on en est les premiers acteurs.
- Football Manager est davantage un jeu de stratégie. On gère un club, ses finances, les entrainements, le recrutement, la formation des jeunes joueurs, la stratégie, les relations avec la presse et les joueurs. Mais au moment du match on est spectateur. On peut changer des joueurs, leur donner des instructions, modifier la stratégie en cours de match mais on ne dirige pas les joueurs. Ce qui se passe sur le terrain n’est que le fruit de ce qui a été préparé dans les coulisses.
Dans FIFA je dirai qu‘un excellent joueur peut aller contre les pronostics ou la logique. Un joueur qui maitrise très bien le jeu, est très habile techniquement avec sa manette, battra sans problème avec une équipe faible un joueur néophyte ou peu doué qui prendrait une équipe très forte. A titre d’exemple, n’étant pas fan du jeu, je pense que même si je prenais le PSG je serai incapable de battre un de mes amis accro au jeu qui prendrait, lui, une équipe d’amateurs.
Dans Football Manager il est difficile d’aller contre la logique. Ce qui a été construit, ou pas, dans le passé, conditionnera le futur pour un certain temps et changer les choses prendra un temps tout aussi certain. Si vous prenez une équipe moyenne de 2e division vous ne serez pas champion d’Europe la 1ere année même si vous êtes aguerri au jeu. Vous pouvez prendre une équipe moyenne et l’améliorer au fil du temps mais cela prend plusieurs saisons : si la tactique et le management ne tiennent qu’à vous, il faut des joueurs, les joueurs coûtent de l’argent, l’argent vient avec les résultats…et encore lorsque votre club n’est pas connu même si vous avez les moyens il est compliqué d’attirer des joueurs renommés. Si vous prenez en cours de saison une équipe mal bâtie avec un effectif bancal, une ambiance délétère entre les joueurs, des tactiques qu’il faut changer et des finances dans le rouge vous n’allez pas finir champion du jour au lendemain quand bien même vous seriez un excellent joueur.
Savoir quel jeu était le « meilleur » n’avait que peu d’importance : ils ne sont pas comparables par leur nature. Par contre la discussion sur ce que les uns et les autres trouvaient d’intéressant ou de frustrant dans l’un ou dans l’autre à vite tourné au début sur une certaine philosophie du jeu.
Il n’y avait pas les pro FIFA ou les pro Football Manager mais ceux qui aiment construire, créer un contexte, un « système » qui fonctionne et gagne au travers des autres (les autres = les joueurs simulés par une intelligence artificielle sur le terrain) et ceux qui aiment aller sur le terrain, se retrousser les manches, mettre « les mains dedans » et créer l’exploit par eux-mêmes.
Mais revenons au début du repas.
On joue comme on manage
En ces temps de pandémie et de télétravail une grand partie des conversations avait concerné ce qu’on avait vécu, comment on l’avait géré avec au final l’inévitable discussion sur ce qu’est ou devrait être un manager aujourd’hui et demain.
Le télétravail imposé avait obligé chacun à faire face à une nouvelle réalité à laquelle il a bien fallu s’adapter.
Dans la théorie nous étions tous d’accord sur ce que devait être le rôle d’un manager et ce depuis des années. Dans la pratique, au bureau, les choses étaient différentes. Il y avait ceux qui étaient à l’aise avec une certaine forme de lâcher prise et ceux que la proximité physique aidait à rester dans leur zone de confort en gardant un contrôle discret mais réel sur ce que faisaient leurs équipes et faisant à leur place au lieu de prendre le temps de leur apprendre à faire.
Avec la pandémie tout le monde s’est retrouvé logé à la même enseigne et il n’était plus possible de cacher la poussière sous le tapis. Et, bizarrement, toutes les discussions que nous avions eu sur les satisfactions et les frustrations rencontrées à cette époque se sont retrouvées dans le débat FIFA vs Football Manager.
Il y avait ceux qui aimaient patiemment construire dans la durée un système, un contexte, qui permet aux autres de réussir sur le terrain avec une présence « distante » de leur part et ceux pour qui l’action primait sur la constructions et que l’impossibilité d’être dans l’action aux côtés (physiquement parlant) de leurs équipes minait de l’intérieur. Ils avaient l’impression d’assister à un match sans pouvoir influer dessus.
Là où les premiers étaient confortables car ils avaient tout fait en amont pour le match se passe bien même sans qu’ils en soient les acteurs principaux, les autres avaient peur (à tort ou à raison ?) que leurs équipes ne soient pas capables de gagner s’ils n’étaient pas sur le terrain avec eux.
Cela m’a d’ailleurs rappelé de très anciennes discussions qui datent de l’époque où on entendait souvent qu’un jeu comme World of Warcraft conditionnait les plus jeunes à de nouvelles approches collaboratives en ligne dont n’étaient pas capables nativement leurs aînés et où on parlait, plus généralement, du jeu vidéo comme d’un outil d’apprentissage pas considéré à sa juste valeur.
Le retour aux fondamentaux
L’intérêt de cette digression sur les jeux vidéos est qu’ils nous ont permis de parler des mêmes sujets qu’en début de repas mais de manière plus calme, plus ouverte, plus dépassionnée.
Il n’y a pas de honte, à table, à dire qu’on préfère l’un ou l’autre parce qu’ils correspondent plus ou moins à ce qu’on attend d’un jeu vidéo. Il est plus difficile, même devant des amis, d’admettre qu’on est incapable de lâcher prise voire, comme l’a fait l’un d’entre nous, d’admettre qu’on est devenu manager par défaut car c’était la progression logique d’une carrière alors qu’on préfère agir sur le terrain plutôt qu’aider les autres à réussir en restant en retrait. Aborder un sujet de manière détournée aide souvent à libérer la parole.
Mais au final nous avons parlé des mêmes sujets :
- Faire ou construire, faire ou faire faire
- Présent ou futur
- Individu/action ou Collectif/système
- Etre indispensable ou se rendre inutile
- Technicité métier ou management
Si vous me demandez mon avis les deux sont utiles mais le tort qu’on a souvent est de les confondre. Dans le sport il y a bien des entraineurs-joueurs. Mais cela ne fonctionne qu’à bas niveau, ensuite il est important de dissocier les rôles.
J’ajouterai que cela nous a permis aussi d’évoquer l’importance du temps et le fait que contrairement à ce que voudraient certains, il soit une contrainte incompressible. Le présent n’est que le résultat de ce qu’on a fait hier et il est souvent trop tard pour changer les choses, ou pas de manière durable. Par contre le futur dépend de ce qu’on fait aujourd’hui même s’il faut parfois savoir attendre les résultats.
Lors d’un prochain entretien d’embauche pensez à demander à vos candidats s’ils aiment les jeux vidéos de football…
Image : style de management Par pixfly via Shutterstock