L’organisation post-COVID : plus plate, agile, flexible, rapide, simple

Les leçons apprises de l’épisode du COVID auront elles un impact sur la manière dont les entreprises seront organisées ? Comme dans beaucoup de domaines cette période a montré aux entreprises qu’elles étaient capables de choses dont elles ne se croyaient pas capables mais sans qu’on soit trop sûr qu’il en reste quelque chose.

Avant toute chose il importe de nous souvenir comment nos organisations se sont transformées en profondeur peut être pas du jour au lendemain mais en l’espace de quelques semaines.

Du choc à l’improvisation

Bien sûr la réalité diffère selon les pays, les mesures prises, leur radicalité et leur soudaineté mais de manière générale les entreprises ont dû faire face de manière soudaine à un confinement généralisé et, pour beaucoup, à une baisse soudaine de leur activité. Ce sont deux éléments clé qui ont conditionné la manière dont elles se sont reconfiguré.

Le confinement a entrainé l’obligation de travailler à distance, l’apprentissage de cas d’usages nouveaux d’outils jusque là sous utilisés et des pratiques de travail qui vont avec.

La baisse soudaine de l’activité a entrainé, là encore en fonction des dispositifs mis en place par les gouvernements, le recours au chômage partiel ou, en son absence, des licenciements parfois massifs. Mais dans les deux cas pour le même résultat : il a fallu fonctionner avec moins de monde et les personnes ainsi retirées du service étaient, bien que considérées comme « non essentiellement productives » des rouages que l’entreprises utilisait comme courroie de transmission.

La soudaineté a entrainé l’improvisation. Rien n’était prêt. Rien n’avait été expérimenté. Le télétravail n’avait jamais été vu comme un plan de continuité de l’activité de l’entreprise. Il n’a pas été possible de se réunir pour penser l’organisation de demain ni la manière de conduite le changement. Il a fallu construire en avançant, au jour le jour, par pragmatisme et expérimentation. Et, d’ailleurs, beaucoup de choses se sont mises en places d’elles mêmes, voulues ou non par l’entreprise, parce qu’il s’est avéré à l’usage que c’était la meilleure manière de procéder.

Au delà du télétravail

Plus de 18 mois après, le fait majeur que beaucoup retiennent de cette période est le télétravail. Peut être parce que cela permet de circonscrire le problème, de le simplifier, voire d’éviter de prendre en compte des sujets plus sensibles. Mais le télétravail avec ses côtés positifs et ses dysfonctionnements n’a été que la face facilement visible de changements organisationnels plus profonds.

Une organisation soudainement aplatie

Comme toujours en tant que crise et certainement de manière encore plus exacerbée que jamais les entreprises se sont concentrées sur le maintien en conditions opérationnelles de leurs fonctions productives et vitales. Ont ainsi été mis sur la touche de manière plus ou moins douloureuse bien évidemment ceux qui ne pouvaient plus travailler (personnels des magasins, agences et globalement de toutes les implantations fermées de force) mais aussi « ceux dont on pouvait se passer ».

C’est ainsi que se sont retrouvés sur la touche nombre d’assistant(e)s mais aussi, et surtout, de managers intermédiaires. Pourquoi utiliser une longue chaine de commandement quand en un clic je peux parler aux bonnes personnes instantanément ?

C’est ainsi que nombre de managers et dirigeants se sont rendu compte qu’ils pouvaient parler directement au terrain, réduire le temps entre la décision et l’action, sans s’embarrasser de multiples intermédiaires.L’ironie de la chose est qu’ils auraient tout aussi bien pu s’en rendre compte avant. Mais l’organisation était en place, les routines et réunions également et il a fallu un choc de cette amplitude et que la mise sur la touche de certaines personnes soit tellement évidente qu’elle s’imposait d’elle-même pour qu’on passe à l’acte.

Ainsi de nombreuses personnes qui ne dirigeaient et manageaient que par intermédiaires se sont retrouvées directement en prise avec les opérations, et ont expérimenté les bénéfices de cycles de décisions raccourcis, d’une chaine de commandement plus réactive.

Au final tout le monde a loué l’efficacité du modèle en temps de crise sauf ceux qui ont vu l’entreprise continuer à fonctionner voire fonctionner de manière plus efficace sans eux. Même si cela peut paraire surprenant beaucoup de décideurs ou top managers ont aimé retrouver le gout du terrain et certains salariés ont apprécié de travailler en ligne directe pour le supérieur voire le n+2 de leur manager habituel.

Une entreprise agile par défaut

L’agilité tout le monde en parle, tout le monde en vante les bénéfices mais souvent sans trop savoir de quoi il retourne. C’est un sujet que j’aurai tout loisir d’explorer plus en détail dans d’autres articles (même si j’ai déjà un peu parlé d’agilité ici) mais disons pour faire simple que c’est une approche qui érige la valeur pour le client en priorité absolue et vise à produire quelque chose qui corresponde à ce besoin et uniquement à ce besoin, ni plus ni moins.

Poursuivre un tel objectif a bien sur des conséquences : collaboration étroite avec le client qui « fait partie de l’équipe », fonctionnement par itérations courtes afin de livrer des améliorations incrémentales et pouvoir corriger le tir si les hypothèses de départ n’étaient pas bonnes ou si le besoin évolue etc.

Tout l’opposé du fonctionnement bien éloigné des organisations traditionnelles adeptes des longs projets avec cycle en V et effet tunnel.

Durant la pandémie on a vu des choses incroyables se passer. Des entreprises se sont soudain retrouvées sans débouchés pour leurs produits ou sans moyen de les distribuer et ont été capable de repenser leur offre et reconfigurer leur outil de production leurs canaux de distribution en un temps record.

On a vu des acteurs du monde de la cosmétique ou de la cigarette électronique se mettre à produire du gel hydro-alcoolique, des industriels du « catering » aérien vendre leurs plateaux repas directement aux clients en Asie. A un niveau plus modeste le passage au e-commerce ou au click and collect pour les petits commerçants ou à la livraison pour les restaurateurs à été, à leur échelle, une véritable révolution pour ces acteurs.

Le marché a changé, ce qui comptait pour les clients a changé et que ce soit de manière contrainte (il faut trouver des débouchés) oui par volonté de contribuer à l’effort collectif (produisons du gel si notre outil le permet, les crèmes cosmétiques attendront) et ces entreprises ont été capables en quelques semaines de prendre des virages qu’elles auraient mis des mois si ce n’est des années à prendre dans « le monde d’avant ».

Pour cela il a fallu décider vite, innover, s’adapter en un temps record, essayer, corriger…et encore une fois pivoter quelques mois plus tard.

De la grande entreprise à la PME nombreuses sont celles qui n’ont cessé de repenser leur offre, réorganiser leur production et leur distribution, ce qui les a parfois amené sur de nouveaux marchés, de nouveaux métiers.

Flexibilité à tous les étages

Bien entendu tout cela n’aurait pas été possible sans une flexibilité dont tout le monde ne se sentait pas forcément capable a priori. Flexibilité dans les modes de travail, dans l’organisation, dans les rôles, dans les idées. S’adapter, essayer, remettre en cause, améliorer…

L’entreprise de l’ère COVID a été pragmatique et moins dogmatique qu’en temps normal et a su faire fi de ses certitudes dans un monde où tout ce qu’on croyait acquis et intangible volait en éclat du jour au lendemain.

La vitesse : la clé de la survie

J’ai coutume de dire que le pire ennemi d’une entreprise ça n’est pas ses concurrents mais sa propre lenteur et l’épisode de la pandémie nous en a offert un parfait exemple. Les entreprises qui s’en sont le mieux sorties sont celles qui ont su aller vite.

Vite pour mettre en place de nouveaux modes de travail, pour faire pivoter leur activité et leur business modèle, pour apprendre de leurs erreurs et changer un jour ce qui avait été fait la veille.

Il est d’ailleurs amusant de constater qu’alors que sous le choc de ce qui se passait on entendait une partie de la population mais également des « têtes pensantes » plaider pour un monde plus lent, que les apôtres du slow management commençaient à donner de la voix, c’est la vitesse qui a permis de s’en sortir.

Ce qui vaut pour les entreprises vaut aussi ailleurs. Jamais un vaccin n’a été mis au point aussi vite. Par ailleurs quand on fait le bilan avec un peu de recul, ce sont les pays qui ont su décider vite, quitte à changer de cap dès que la situation évoluait dans un sens ou dans l’autre ou que l’état des connaissances sur le virus s’améliorait qui s’en sont le moins mal sorti. A l’inverse, lorsque la chaine de commandement ralentissait le passage à l’action…

Eloge de la simplicité

Combien de fois devrai-je répéter que le grand mal de l’entreprise moderne est sa complication ? J’ai parlé avec beaucoup de managers et de collaborateurs qui m’ont avoué qu’à leur grande surprise ils avaient trouvé leurs équipes très efficaces en cette période.

Bien sûr il y a un effet halo qui enjolive un peu les choses avec la satisfaction d’avoir tenu le cap en pleine tempête mais quand même…

Que se passe-t-il quand on se donne la possibilité de prendre et d’exécuter des décisions plus rapidement, qu’on supprime des chainons de la chaine de commandement, que le télétravail pousse à basculer dans une culture du résultat, que parler à quelqu’un en direct ne demande qu’un clic… on simplifie l’organisation même sans en avoir conscience.

L’entreprise Covidienne a été plus directe, plus plate, plus collaborative et a su (ou dû) s’affranchir de certaines rigidités.

Un modèle qui a fonctionné !

Je ne dirai pas, loin de là, qu’on regrettera cette période mais je pense que tous ceux qui ont été sur le pont à cette époque, peu importe leur rôle, peuvent se dire avec satisfaction « on l’a fait ». D’ailleurs je pense que la plupart reconnaissent que leur entreprise s’est trouvée des ressources inattendues et a adopté au débotté des modes de fonctionnement dont elle ne se croyait pas capable.

C’est dos au mur qu’on se découvre des ressources insoupçonnées et on en a encore une fois la preuve : dans certains cas les entreprises sont devenues l’espace de quelques mois ce qu’elles auraient aimé être avant mais échouaient à être par manque de courage, en raison de résistances diverses, par manque sentiment d’urgence.

Donc faut il s’attendre à ce qu’on tire les leçons de tout cela et que certaines choses se pérennisent ?

Que restera-t-il de tout cela ?

On le voit bien avec le télétravail : le retour à la normale permet de se débarrasser de certains aspects négatifs (car il y en a eu et pas des moindres) mais aussi de remettre la poussière sous le tapis et d’éviter d’adresser les sujets qui fâchent.

Il y en ira de même pour nombre de modes de fonctionnement « exceptionnels » mis en place pendant le COVID : tout ne restera pas, loin de là. Et ça n’est pas toujours une mauvaise chose.

Pourquoi apprécier un retour en arrière après avoir expérimenté les bienfaits d’une organisation plus plate, agile, flexible, rapide et simple ? Parce qu’on est allé trop loin, par nécessité, et que l’abus d’une bonne chose finit par donner une mauvaise chose.

Supprimer les échelons « inutiles » pour rapprocher le management et la direction du terrain et réduire le temps entre la décision et l’action c’est bien. Mais ça n’est pas tenable à long terme. C’est parfait pour gérer l’urgence au jour le jour, pas pour avoir le recul dont ces fonctions ont besoin. A s’épuiser dans la gestion du quotidien et dans l’action on ne prépare pas l’avenir et on s’épuise.

Le dépassement de fonction est aussi une bonne chose. Mais quand on travaille avec « juste » les ressources nécessaires on épuise les équipes.

Aller plus vite ? Encore une bonne chose. Mais on s’y est mal pris, ce qui est logique vu le contexte et l’improvisation qui a résulté de l’absence de préparation. On a demandé aux individus d’aller plus vite individuellement, ce qui a bien sûr des limites évidentes. L’idéal est d’aller plus vite collectivement sans augmenter la pression sur les individus mais on se heurte là aux murs que connaissent toutes les démarches dites collaboratives ou d’intelligence collective.

Le retour à la normale, à la situation d’avant, sera d’autant plus confortable et naturel que le provisoire mis en place pendant le COVID n’était pas toujours tenable dans la durée.

Des pistes pour l’avenir ?

Le retour à l’organisation d’avant ne veut pas pour autant dire que rien ne changera.

Les entreprises auront forcément une réflexion sur tous ces postes dont elles ont pu se passer et notamment sur un certain nombre de rôles de middle-manager. On a vu qu’on était plus efficaces sans mais on a compris qu’ils soulageaient d’une charge que l’échelon du dessus ne pourrait supporter dans la durée. La question ne sera pas tant leur rôle que leur nombre. Si tant est qu’on veuille se la poser.

Il restera bien quelque chose des différents pivots et reconfiguration du business model et de la chaine de valeur. Mais rien de pérenne. On saura qu’on est capable de le faire de manière ponctuelle si besoin.

L’entreprise post-covid ressemblera donc, dans son organisation, beaucoup à celle d’avant. Bien sur des choses ont été faites qui ouvriront des réflexions pour savoir comment en garder le meilleur sans en avoir les aspects négatifs…mais dans la plupart des cas je doute qu’il en sorte quelque chose.

Au final c’est peut être les salariés qui auront la réflexion la plus aboutie sur ce qu’ils ont vécu dans la tempête, sur ce qu’ils n’ont pas vécu en étant mis sur la touche et en tireront des conclusions non pas pour l’entreprise mais pour leur propre compte et leur avenir.

Dans cette série :
L’entreprise post COVID : mythe ou réalité ?
Le COVID n’a pas été un acteur de changement mais un excellent consultant
Le salarié post covid : un marché d’une personne insaisissable
Le manager post-covid : plus indispensable et perdu que jamais.
L’organisation post covid : plus plate, agile, flexible, rapide et simple
Les opérations post covid : formalisées, simplifiées, automatisées et People Centric
Le lieu de travail post covid : l’hybridation dans la douleur.
Culture d’entreprise post covid : la grande reconstruction dans le désordre.
Valeurs d’entreprise post covid : beaucoup de promesses et peu d’effets.
La Digital Workplace post Covid : ATAWAD et ouverte à tous.

Image : Organisation de  Viktoria Kurpas via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
28AbonnésS'abonner

Découvrez le livre que nous avons co-écrit avec 7 autres experts avec pleins de retours d'expérience pour aider managers et dirigeants

En version papier
En version numérique

Articles récents