Désolé : le travail hybride n’existe pas.

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Il est la grande star de l’entreprise post-Covid : le travail hybride est une des préoccupations majeures des entreprises qui y voient le moyen de réconcilier la demande de télétravail qui émane des salariés et leur volonté à elles de maintenir un minimum de lien social ou de contrôle. Mais comme beaucoup de bonnes idées mises en œuvre pour de mauvaises raisons tout cela risque d’accoucher de quelque chose de très déceptif.

Le travail hybride : un compromis qui n’a rien de neuf

Qu’est ce que le travail hybride ? Pour reprendre l’approche qu’en ont la plupart des entreprises c’est un compromis entre un télétravail à 100% et un travail en présentiel à 100%. Il inclut également une variable sur le lieu de travail : entre le travail chez soi et au bureau on trouve également le travail dans des tiers lieux plus proches du domicile du collaborateur : sans être au bureau le collaborateur est dans un lieu de travail « contrôlé » par l’entreprise.

Concept brillant supposé réconcilier la demande des salariés pour le télétravail et la volonté des entreprises de ne pas perdre le lien physique avec leurs collaborateurs, il n’a rien de spécialement nouveau.

A de très rares exceptions près le télétravail n’a jamais été, dans les entreprises qui l’ont mis en œuvre de manière organisée avant la pandémie (et pour certaines depuis le milieu des années 2000 voire avant) un télétravail à 100%. Il était donc hybride de manière implicite depuis le départ.

Quant aux tiers lieu c’est un sujet dont j’entend parler depuis une dizaine d’année et qui, là encore, n’a rien de neuf pour les entreprises les plus mures sur le sujet.

Mais peu importe que la réflexion sur le travail hybride soit l’occasion de faire du neuf avec du vieux, si cela doit accoucher d’un dispositif qui fonctionne c’est une excellente chose. Le vrai problème c’est les raisons pour lesquelles on en arrive là.

Les entreprises veulent lâcher du lest sur le télétravail…mais pas trop

Même si le télétravail forcé a été vécu de manière très inégale par les collaborateurs il y aura un avant et un après COVID. Et dans un contexte qui sera redevenu à peu près normal la question ne sera plus de savoir si le télétravail est possible mais à quelle dose.

Un mouvement contre lequel les entreprises ne veulent pas aller mais sans aller trop loin. Pourquoi ? Parce que quoi qu’on en dise leur culture n’est pas encore prête pour ça, les pratiques de travail à distance ne sont pas ou peu installées (on a transposé à distance les pratiques du bureau en bricolant un peu mais sans adopter de pratiques propres au télétravail) et la plupart des managers sont mal à l’aise avec des salariés qui ne travaillent pas sous leurs yeux d’autant plus qu’ils se savant exprimer leur leadership dans un tel contexte (si tant est qu’ils aient une once de leadership, ce qui est un autre sujet). A cela s’ajoute la croyance selon laquelle la culture d’entreprise n’existe et ne se diffuse que lorsque les gens sont réunis, ce qui est un sujet dont on reparlera longuement une autre fois.

En deux mots, le travail hybride est une manière, pour l’entreprise, de donner aux salariés ce qu’ils demandent en en réduisant l’impact pour l’organisation.

Mais le problème est qu’en matière de télétravail et de travail hybride salariés et entreprises s’ils semblent s’entendre sur le principe ne veulent pas changer les choses pour les mêmes raisons. Et quand on veut faire la même chose pour des objectifs différents il arrive souvent qu’à la fin une partie ou les deux n’obtienne pas le résultat escompté.

Quand une personne est à distance tout le monde est à distance

Je disais donc que pour l’entreprise l’idée était souvent de changer sans trop changer. Si les salariés sont juste un peu à distance, pas forcément chez eux mais dans un lieu de travail « validé », l’impact sur l’organisation et sa culture seraient moindres et l’effort d’adaptation voire de transformation modéré. Elles risquent d’être déçues.

Partant du principe que le travail à distance n’est pas qu’une question de lieu mais aussi, et surtout, un nouveau modèle opérationnel (dans télétravail ce qui compte c’est moins le télé que le travail) l’expérience montre que ça n’est pas le nombre de télétravailleurs qui compte mais le fait qu’une personne au moins soit à distance.

Dit autrement si dans une équipe de 10 personnes 9 sont au bureau et 1 à distance ce sont les 9 qui devront adapter leurs pratiques de travail à celle qui n’est pas physiquement avec elles. Et n’oublions pas que pour cette personne c’est 90% de l’équipe qui est à distance car on a toujours l’habitude de se mettre à la place de celui qui est au bureau pour décider ce qu’est une situation normale, mais pour celui qui n’y est pas la normalité c’est le distantiel.

Mais un télétravail « modéré » peut même avoir des effets négatifs plus important qu’un télétravail généralisé. Lorsque la crise sanitaire a imposé le télétravail à tous, tout le monde a fait attention car tout le monde était à distance. Si on se retrouve dans une configuration où seuls 10 à 20% des membres d’une équipe sont à distance le risque de voir les 80% faire comme si les autres n’existaient pas est tout sauf négligeable.

En somme à partir du moment où une personne est à distance, tout le monde est à distance et doit adopter des pratiques de travail à distance, même entre personnes localisées au même endroit.

Dans le travail hybride à un moment donné les gens ne sont pas 30% chez eux et 70% au bureau. Ils sont 100% dans l’un ou dans l’autre. Penser autrement revient à dire que si la taille moyenne des français est de 1m75 on habillera tout le monde avec des vêtements faits pour des gens d’1m75 alors qu’en procédant ainsi on habillera 10% de la population au plus et les autres iront au travail dans le plus simple appareil. C’est un peu comme le chômage : quand il y a 10% de chômage cela ne veut pas dire que tout le monde est employé à 90% : pour celui qui est au chômage le taux de chômage est de 100%.

Conclusion : le travail hybride n’existe pas

Au final le travail hybride en tant que modèle d’organisation prévoyant une part de travail à distance et une part de travail au bureau existe bel et bien mais n’a absolument rien de nouveau.

Par contre le travail hybride en tant qu’approche qui permettrait à l’entreprise de n’avoir pas ou peu à s’adapter n’existe pas. Soit tout le monde est au bureau soit l’organisation et le travail doivent être repensés en fonction de ceux qui sont à distance, peu importe leur nombre.

Image : travail hybride de WD Stock Photos via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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