Comme l’an dernier à la même époque, Parlons RH sort son baromètre de l’Expérience Employé, dont c’est la 5e édition.
Pour mettre les choses en perspective je vous invite tout d’abord à aller lire mes commentaires sur celui de l’an dernier ainsi que l’interview que j’avais donné à cette occasion.
Regardons maintenant cette édition 2022.
L’expérience employé est un mouvement de fond
Aujourd’hui la moitié des entreprises répondantes ont mis en place une démarche d’expérience employé ce qui tend à prouver qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode mais d’une tendance qui s’inscrit dans la durée.
Si, sans surprise, la tendance est plus marquée dans les grandes entreprises, les PME/PMI comblent leur retard avec une progression de 10% en un an : 46% d’entre elles ont mis en place une telle démarche.
L’expérience employé paye
Autre point notable : les entreprises qui se sont lancées dans une telle démarche persévèrent : seules 5% disent après quelques années qu’elles sont en phase de recul sur l’expérience employé.
On peut en déduire logiquement qu’elles en perçoivent les bénéfices concrets, sinon elles continueraient pas, surtout dans un contexte économique qui était tout sauf évident même s’il justifiait de tels programmes.
Mais on peut, et doit, également s’intéresser à ces 5% qui voient leur ambition décliner. Est-ce un taux d’attrition normal ? Est-ce que cela veut dire qu’une fois arrivé au bout du chemin il n’y a plus de sujets pour alimenter la démarche ? Faut-il s’attendre à une augmentation de ce chiffre au fil du temps qui ne signifierait pas moins que la fin des démarches d’expérience employé d’ici quelques années ? J’ai mon idée là dessus et je la détaillerai un peu plus loin.
Au titre des indicateurs principaux, regardons celui de l’engagement qui est le principal objectif d’une démarche d’expérience employé pour les entreprise répondantes. Sur la période observée (n’oublions pas le contexte pandémique) 21% des entreprises ayant une telle démarche on vu l’engagement de leurs collaborateurs augmenter (6% pour les autres).
Quoi qu’il en soit le sujet se porte bien. Aux deux extrémités de courbe de distribution on trouve de plus en plus de précurseurs et de moins en moins de réfractaires.
L’expérience employé, passeport pour la flexibilité
Le travail hybride sera un des grands sujets de 2022 et, à mon sens, la manière dont il est mis en œuvre permettra de distinguer les entreprises qui assument la nécessité de se transformer de celles qui le choisissent comme une alternative à un télétravail généralisé en pensant que cela leur évitera de se transformer. Sans parler de celles qui préféreraient un retour à 100% au bureau.
70% des entreprises ayant une démarche d’expérience employé ont ainsi adopté le travail hybride alors que les autres ne sont que 53%
Mais, plus intéressant, elles sont 65% à avoir modifié l’organisation du travail en conséquence (48% des autres) et c’est à mon avis là que se situe la vraie fracture entre celles qui mettent le collaborateur au centre de leur réflexion et celles qui mettent leurs problèmes, leurs contraintes et leurs peurs au centre. Qui a dit que l’hybridation se ferait dans la douleur ?
Toujours dans le domaine de la flexibilité, les entreprises ayant une pratique de l’expérience employé sont 80% à pratiquer les horaires flexibles contre 53% du côté des réfractaires. Je signale par ailleurs qu’une étude du Gartner montre que les entreprises qui ont adopté une approche radicale de la flexibilité voient le nombre de salariés identifiés comme hautement performants augmenter de 40%.
Et par rapport à un sujet qui me tient à cœur, 66% des « pratiquants » ont encadré strictement les horaires de réunions pour éviter les réunions trop matinales ou tardives contre 30% des réfractaires.
De quoi l’expérience employé est-elle le nom ?
Tout est donc positif et idyllique au pays de l’expérience employé. Et bien non pas vraiment et je reconnais aux auteurs de l’étude le mérite de mettre les pieds dans le plat plutôt que rester dans un déni commercialement plus confortable et qui est en général de mise dans ce type d’exercice.
Cela fait un certain nombre d’années que j’exprime mon inquiétude quant au fait que si l’expérience employé est une réalité en termes de tendance ça n’en est pas moins un concept creux dans la mesure où il n’a jamais été vraiment défini ou, plutôt, qu’il n’y a eu aucune volonté de faire émerger une définition faisant autorité sur le sujet.
D’ailleurs l’étude de 2021 ne disait elle pas que « L’image superficielle de l’expérience collaborateur demeure donc dans la crise«
Sans vouloir jouer les anciens combattant l’époque où on travaillait à donner une vraie consistance à un sujet comme l’entreprise 2.0 avec des gens comme Andrew McAfee, Dion Hinchliffe, Luis Suarez et de nombreux autres me semble loin. Et un sujet sans une vraie communauté de leaders est un sujet qui finit souvent par se perdre.
78% des pratiquants disent connaitre bien ou très bien l’expérience employé. Venant de « pratiquants » cela m’inquiète quand même un peu : cela tendrait à dire que 22% ne savent pas ce qu’ils font ni où ils vont. Soit.
Comme le dit l’étude. « La notoriété et la mise en pratique croissantes de l’expérience collaborateur ne vont donc pas de pair avec une meilleure compréhension«
Mais il y a une différence entre connaitre un concept et quelques vagues idées qui lui sont associées et avoir une vision claire de son contenu, de ses objectifs et des chantiers qu’il implique.
L’expérience employé c’est un peu l’auberge espagnole du management et des RH : chacun y met ce qu’il veut et y trouvera ce qu’il y a apporté. Il y a d’excellentes auberges mais aucune n’a jamais fini étoilée au Michelin et c’est tout le problème. On parle tout de même d’un sujet qui a vocation à transformer profondément nombre d’activités dites « support » voir de process métier et, donc, pour avoir le soutien nécessaire de sa direction et les moyens qui vont avec on a tout de même intérêt à arriver avec quelque chose de solide.
Définir l’expérience employé c’est savoir ce qu’on veut en obtenir et, dans un second temps en déduire les leviers à actionner.
L’expérience employé : un voyageur sans boussole ?
Selon l’étude, les priorités de l’expérience employé sont :
1) maintenir le lien social ;
2) mieux concilier concrètement vie personnelle et vie professionnelle ;
3) mieux former les managers à la gestion des équipes à distance.
Soit. Mais cela ne répond pas à ma question : pourquoi ? Je veux dire qu’on parle de sujets qui sont tout sauf nouveau (enfin j’espère) donc j’aimerai les réponses à ces quelques questions basiques :
1°) Qu’est ce qui change par rapport à « avant » si on fait rentrer ces sujets dans le cadre de l’expérience employé.
2°) Quelle est la ligne directrice de l’expérience employé, ce vers quoi doivent converger les différentes tactiques citées ici ?
3°) Et in fine (mais avant tout) quel est l’objectif poursuivi ?
J’ai bien du mal de trouver des réponses à ces questions et pour cause : à mon avis personne ne les a et très peu ont essayé de les trouver.
Vieux sujet, nouvel emballage
L’expérience employé a été dans de nombreux cas l’occasion de repackager ou rebrander de vieux sujets pour les rendre digestes ou les remettre en haut de la pile et c’est donc devenu, selon l’expression qui m’est chère, la vaseline qu’on met autour d’un vieux suppositoire.
Un programme d’expérience employé doit apporter un changement de perspective par rapport aux pratiques anciennes, vu que visiblement les sujets ne changent pas. Une perspective qui est manifestement absente.
Et c’est donc avec sincérité que j’applaudis que l’étude admet que « Souvent, la démarche d’expérience collaborateur recouvre en réalité une politique de QVT traditionnelle, dans laquelle des avantages sont distribués parce qu’on suppose que cela fera plaisir, sans étude préalable, au gré des modes et des opportunités. Plusieurs signes nous conduisent à soupçonner cette dichotomie entre paroles et actes.«
A titre de confirmation ce récent article de la Harvard Business Review qui me semble allègrement confondre Expérience employé et RSE me semble également aller dans cette direction qui confirme mes inquiétudes.
Et elle pose donc la question : « Mais s’agit-il toujours d’une démarche véritablement structurée, dans laquelle la fonction RH organise la remontée des attentes des collaborateurs, les analyse, les priorise et produit une offre RH en réponse ?« .
Poser la question c’est à mon avis avoir la réponse.
L’an dernier je m’inquiétais de voir qu’on s’occupait beaucoup des collaborateurs quand ils étaient au travail mais pas quand ils travaillaient. Cette année mon inquiétude n’en ressort que renforcée.
Quand on a un marteau on veut que tous les problèmes ressemblent à des clous.
Quitte à continuer à me faire de nombreux amis, je dirai que le vrai problème de l’expérience employé est qu’on en a fait un sujet RH. Pas que les RH s’en occupent, pas qu’ils en soient éventuellement le chef de file, mais qu’il reste limité à leur périmètre.
Sachant qu’ils n’ont qu’un nombre limité de leviers, qu’on ne les consulte pas ou peu sur des sujets d’organisation du travail, d’opérations, de delivery, nous voici donc dans une impasse.
D’ailleurs il semble que les RH ont au moins l’honnêteté de ne pas se voiler la face : « La fonction RH peine à s’affirmer : un tiers des professionnels RH répondants ne priorise pas encore la DRH comme porteuse de l’expérience collaborateur.«
D’une certaine manière le sujet a fini chez eux mais certains ne s’estiment pas légitimes ou ne comprennent pas pourquoi ils le seraient. Peut être sont-ce ceux qui perçoivent le mieux l’ampleur du sujet ?
Quel avenir pour l’expérience employé ?
J’en reviens donc aux 5% qui disaient que leur programme d’expérience employé étaient dans une phase de ralentissement.
Il est dommage que l’étude ne s’intéresse pas plus aux causes de ce ralentissement mais je peux en suggérer trois.
1°) On partait le loin, on a lancé beaucoup de chantiers qui sont arrivés à terme et là on est en vitesse de croisière.
2°) On est arrivés au bout de ce qu’on pouvait faire en tant que RH.
3°) On ne se sent pas confortables en tant que RH avec le sujet.
Remarquez que les trois sont finalement très proches et ne se distinguent que par quelques subtilités.
Si ma lecture est bonne cela signifie qu’au fil des années on va voir de plus en plus d’entreprises arriver au bout de ce qu’elles peuvent faire. L’expérience employé aura été une initiative ponctuelle dans le temps, un projet plus qu’un programme, un rattrapage plus qu’une vision dans la durée. Dommage pour un sujet que 67% jugent pourtant stratégique.
Et après ? On continuera à faire tourner la machine, sans ajustement, sans amélioration dans le temps, sans enrichissement, sans cohérence entre des sujets qui repartiront vivre dans leur silo.
A moins que…
Pour une professionalisation de l’expérience employé
Je pense que l’expérience employé est dans sa dernière ligne droite avant le terminus sous sa forme actuelle. On en parlera encore pendant 3 à 5 ans le temps que ceux qui sont partis les derniers arrivent à destination.
Et ensuite ? J’ai du mal de penser que le problème adressé cessera d’exister ni que l’ambition de ceux qui ont saisi l’importance du sujet aura disparu. Par contre il faudra repartir des leçons apprises, de ce qui a été accompli, de ce qui aurait pu ou dû l’être et ne l’a pas été pour repositionner l’expérience employé en tant que pratique pérenne, organisée, professionnalisée, supportée par un lot de pratiques et de compétences définies.
Il faudra peut être lui donner un autre nom car si « expérience employé » a été pratique pour faire décoller le sujet à l’époque ou tout le monde parlait d’expérience client, il est peut être temps de passer à quelque chose d’autre plutôt que conserver un nom connoté qui enferme dans une case. Et peut être même se rendre compte que cela existe déjà et que ça n’est qu’une question de périmètre à faire bouger.
Mais, pour cela, les praticiens et observateurs que nous sommes, devraient commencer par se poser les vraies questions, à commencer par :
1°) Quel est l’objectif poursuivi, le ou les problèmes que l’on veut régler.
2°) Quel est le parti pris qu’on adopte car quand on veut changer la manière dont on fait les choses il y a toujours un parti-pris à la base.
3°) Quels sont les leviers nécessaires pour y parvenir.
4°) Qui aujourd’hui détient ces leviers
Conclusion
L’expérience employé progresse et donne satisfaction. C’est le grand enseignement que l’on retire du 5e baromètre de l’expérience collaborateur de Parlons RH.
Mais une zone d’ombre s’installe et pas moindres : il n’y a aucun consensus quant à savoir de quoi on parle exactement ce qui fait qu’on a de plus en plus l’impression de faire du neuf avec du vieux.
Certainement en raison du flou sur le contenu et le périmètre de l’expérience employé, une partie conséquente des professionnels une part non négligeable des professionnels RH n’identifie pas la DRH comme porteuse du sujet. Plus qu’un problème j’y vois une occasion unique de justement en définir enfin le périmètre, de quoi découleront les compétences nécessaires pour l’adresser, ce qui réglera les problèmes de légitimité et aider certainement à voir plus large et à professionnaliser la démarche.
Mais pour cela il faut répondre à une question à laquelle praticiens de l’expérience employé semblent eux-même en panne de réponse : quel est l’objectif d’une démarche d’expérience employé et quel est son périmètre ?
Image : voie sans issue de lassedesignen via Shutterstock