Engagement, expérience collaborateur et bien-être au travail : il n’y a pas d’app pour ça !

Le COVID a remis l’humain au coeur de l’entreprise et si rien ne nous permet de dire combien de temps ni de distinguer aujourd’hui ce qui relève de convictions profondes ou de simple coups de communication, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a aujourd’hui un vrai marché pour qui accompagne les entreprises dans ces directions.

Le paradis des bonimenteurs

Comme je l’avais pressenti cet été, l’entreprise post-covid a supplanté la transformation digitale dans les discours marketing et commerciaux. Une aubaine pour les marketeurs qui commençaient à arriver au bout du filon de la transformation digitale, d’autant plus que les clients devenant plus mûrs il était de plus en plus compliqué de leur vendre tout et n’importe quoi.

LinkedIn a ses qualités et ses défauts mais c’est un excellent thermomètre des sujets chauds et des pratiques du moment. Pour ce qui est des pratiques la situation que je dépeignais il y a un an n’ont pas changé et ont même empiré : marketeurs et vendeurs B2B sont de plus en plus à côté de la plaque, leur comportement à la limite du tolérable et je ne supporte plus de voir mon feed se transformer en une succession de sondages et de guirlandes d’emoticons. Il faudra d’ailleurs un jour que je mette les choses au point une fois pour toutes quitte à déplaire à certains.

Pour ce qui est des sujets une chose est claire : le nombre de personnes qui arrivent avec un outil magique qui va me permettre de prendre soin de mes collaborateurs a augmenté exponentiellement depuis le début de la crise sanitaire.

Je ne compte plus les app qui sont ainsi supposées réengager des collaborateurs démotivés, prendre soin de la santé mentale des employés, développer les soft skills des managers qui ont largement prouvé pendant la crise qu’ils en manquaient et j’en passe.

Et je ne doute pas que nombreuses sont les entreprises qui se jettent dessus tant cela correspond à une préoccupation du moment et à des injonctions fortes de la part des directions générales.

Mais laissez moi vous dire une chose : cela ne fonctionnera pas.

L’écran de fumée du « digital care » dans les RH

De telles applications ont deux avantages : le premier est qu’elles matérialisent une volonté de faire des choses, le second est qu’ils permettent de mener des programmes plus vite et à plus grande échelle que sans elles. Et c’est tout.

L’outil peut être un symbole, envoyer un message mais il n’est pas autoporteur : s’il n’y a pas une vraie organisation mise en place derrière, si l’entreprise ne s’adapte ou ne change pas pour atteindre l’objectif poursuivi rien ne se passera.

Prenons l’exemple des applications de feedback qui sont dans le paysage depuis un bout de temps maintenant. Qu’est ce qui fait la différence entre un déploiement réussi et un déploiement raté ? L’application ? Un peu…j’en ai vu avec une telle ergonomie ou qui étaient de telles usines à gaz que je ne donnais pas cher de leur appropriation par les managers et les salariés. Ce qui était déterminant était ce que les entreprises faisaient des feedbacks !

Lors de la mise en place de telles applications les salariés ont deux comportements : soient l’effet nouveauté joue à plein et il y a un certain engouement soit ils sont méfiants (ça n’est pas la première fois qu’on leur fait une promesse non tenue) et attendent avant de jouer le jeu. Mais dans tous les cas, dans la durée, ils ne jouent le jeu que si leur engagement est suivi d’effets.

L’entreprise prend elle en compte les feedbacks ? Voit on des choses changer et s’améliorer ? Même questions pour les managers. Pire, celui qui fait un feedback négatif en subit-il les conséquences ?

Quand on veut généraliser une culture du feedback il faut que l’entreprise soit prête à recevoir et traiter ces feedbacks. Cela implique une dimension organisationnelle et, surtout, une dimension culturelle.

Cela peut sembler évident mais beaucoup trop pensent que l’app fera sinon tout au moins l’essentiel du travail alors qu’elle n’est que dernier élément d’un dispositif qui ne va pas se mettre en place et fonctionner par hasard.

Une fois j’ai demandé à un DRH qui était tout fier du lancement prochain de l’app qui allait révolutionner son entreprise « et si un manager ne traite pas les feedbacks voire demande à ses équipes de ne jamais rien remonter de négatif vous le recadrez, le sanctionnez ? ». Réponse : « ah non quand même pas ». Devinez quoi ? Après un réel engouement l’usage est rapidement retombé faute de managers désireux de jouer le jeu.

Les salariés veulent qu’on adresse les vrais problèmes

Un autre sujet à la mode aujourd’hui est la santé mentale des collaborateurs. Sujet adressé par des applications de coaching, de méditation et d’autres choses encore plus surprenantes.

Mais là encore comme le montre une étude Oracle, les salariés croient, par exemple, aux robots pour améliorer leur santé mentale mais pas de la manière dont on peut le penser. Ils veulent que les robots les aident dans les tâches compliquées et stressantes, ce qui touche à la cause du problème, pas qu’ils jouent le rôle de psys. En somme ils veulent que l’entreprise s’occupe des vrais problèmes, des causes premières, et ne se contente pas de faire des pansements.

Je citerai une fois de plus cet article de la BBC :

« Mais ce n’est pas aussi simple que de dire que les travailleurs reçoivent de nouveaux avantages, puis constatent facilement une amélioration de leur santé mentale. À mesure que ces programmes se déploient dans les entreprises, la réalité est qu’il est plus compliqué d’aborder le bien-être avec les employés, et que ces ajustements ne sont peut-être que la partie émergée de l’iceberg pour assurer la sécurité, la santé et le bonheur des employés. »

«  »Est-ce que je veux des cours de méditation ? Oui. Mais est-ce qu’ils font bouger le curseur sur les choses qui comptent, qui vont réellement changer la façon dont un employé se sent ? Non,« .

« Mais si ce sont là de beaux extras, elle estime que ce dont les employés ont réellement besoin, ce sont des mesures qui s’attaquent aux causes profondes de leur besoin d’aide en matière de santé mentale.« 

Ici il n’est pas spécialement question d’app mais la logique est la même : les salariés ne veulent plus de dispositifs qui détournent l’attention des vrais problèmes oui qui permettent à leur employeur de penser qu’un petit pansement les dispensera de traiter la cause profonde de la douleur.

Encore une fois le même article :

« Tout ce que vous avez à faire est de demander à vos employés ce dont ils ont besoin. Ils vous diront : « J’ai besoin de travailler moins d’heures. J’ai besoin d’être rémunéré suffisamment pour payer la garde de mes enfants et l’épicerie et pour répondre à mes besoins. J’ai besoin de plus de ressources au travail pour faire mon travail. J’ai besoin de me sentir en sécurité lorsque j’ai besoin de prendre des congés. J’ai besoin de ne pas avoir peur de prendre du retard. »

Et il n’y a malheureusement pas d’app pour ça.

Le solutionnisme technologique a la vie dure

J’ai écris ce post en référence à une observation actuelle mais c’est malheureusement un vieux problème qui s’est appliqué par le passé à un certain nombre de sujets et s’appliquera à d’autres dans le futur : le solutionnisme technologique.

Si l’industrie digitale est la source de nombreux progrès elle, et surtout son marketing, a réussi à instiller de manière profonde et durable une idée trompeuse dans la tête des gens : celle selon laquelle il suffit d’une app et d’appuyer sur un bouton pour régler tous les problèmes du monde.

Il s’agit d’une attitude qui consiste à vouloir « réparer » ou améliorer toute situation en passant par la technologie sans s’intéresser le moins du monde au facteur humain qui a causé cette situation, sans s’interroger sur ses causes profondes, sans s’interroger sur les conséquences de la solution. In fine cela revient également à « tordre » le problème pour qu’il rentre dans la solution, quitte à ne pas résoudre le problème et en créer un nouveau.

Hors les entreprises qui ont déjà la chose dans leur ADN et prennent le sujet par le bon sens, il y a de forte chances que beaucoup d’entreprises qui vont utiliser de la technologie pour remettre l’humain au centre de l’entreprise ne fassent que mettre une app au centre.

Image : pas d’application pour l’engagement de Krakenimages.com via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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