La Digital Workplace post COVID : ATAWAD et ouverte à tous

Dernier phénomène observé dans cette série sur l’entreprise post COVID : la Digital Workplace. J’ai beaucoup écrit sur la Digital Workplace par le passé, moins ces dernières années et c’est l’occasion de se rendre compte que le COVID aura peut être réussi à provoquer certaines avancées espérées en vain depuis des lustres.

Qu’est ce qu’une Digital Workplace

Reprécisons tout de même ce qu’est une digital workplace car de cette définition découle beaucoup de choses. Par le passé on en a donné (et moi le premier) plusieurs définitions qui n’ont cessé d’évoluer et je rappellerai donc la mienne :

« La digital workplace est l’environnement numérique où les salariés travaillent, vivent et se développent ensemble ou seuls et rencontrent l’entreprise« .

Le « rencontrent l’entreprise » a son importance. Il fait en effet principalement référence à la fonction communication interne de l’entreprise qui a toujours été centrale dans les projets des entreprises alors qu’elle est minoritaire dans les besoins des collaborateurs d’où des erreurs manifestes dans la conception de nombreux projets et leur adoption relativement faible par les salariés.

D’un point de vue fonctionnel la digital workplace est donc la réunion :

  • du traditionnel intranet dédié à la communication interne
  • des services « support »
  • des outils collaboratifs et de communication
  • des applications métier

Réunion voire intersection tant, parfois, l’intérêt de la chose réside dans le fait de « croiser » des fonctionnalités, mettre les données d’un des services dans le contexte des celles d’un autre etc.

Le périmètre fonctionnel de la digital workplace au crash test du COVID

La pandémie à mis les digital workplace sous tension pour deux raisons. Tout d’abord les confinements qui ont renforcé le besoin de faire et vivre ensemble à distance et les mesures préventives qui ont amené à dématérialiser certains process.

Pour ce qui est de faire ensemble à distance il n’y a pas eu trop de problèmes. Dans la plupart des entreprises l’offre d’outils, même minimale, existait entre Microsoft 360 et Google Workspace. La question n’a pas donc pas été une question de digital workplace au sens fonctionnel du terme mais une question d’usages. Les outils étaient là depuis une éternité mais pas, peu ou mal utilisés.

Le confinement a donc été l’occasion pour beaucoup de découvrir des outils auxquels ils avaient accès depuis longtemps mais qu’ils n »avaient jamais pris la peine de vraiment utiliser. De là à dire qu’ils les ont bien utilisés il y a un pas que je ne franchirai pas : pas formés aux cas d’usages qu’impose le travail à distance beaucoup on utilisé des outils nouveaux pour travailler d’une manière ancienne donc les ont très faiblement exploité, voire avec une expérience décevante car quand on utilise un outil pour un scenario pour lequel il n’a pas été conçu…

Le vivre ensemble a également été davantage un sujet culturel plus qu’un problème d’outils. Lorsque j’accompagnais des entreprises dans de tels projets il y avait toujours une discussion sensible sur sa gouvernance. Fallait il ou non tolérer que les employés utilisent des espaces collaboratifs et communautaires pour créer leurs propres espaces, sur des sujets qui les rassemblent en tant que salariés ou personnes ayant des centres d’intérêt communs même si c’était déconnecté du travail proprement dit. Les expériences des entreprises les plus avancées à l’époque, IBM en tête, nous disaient oui, mais seules les entreprises les plus mures ont offert cette liberté dans les premiers temps.

Faute d’une gouvernance adaptée et d’usages installés il a été parfois compliqué de « faire communauté » à distance dans ces périodes difficiles. Heureusement les messageries, plus libres dans leur utilisation, se sont substituées à d’autres outils et les groupes de discussion et de support à l’initiative des salariés ont migré vers Facebook voire LinkedIn, ce qui est selon moi le pire constat d’échec pour une entreprise.

En effet quand, que ce soit par manque d’outils, une méconnaissance de leur usage, une gouvernance ou une culture d’entreprise inadaptée la solidarité spontanée entre salariés dans un moment critique va trouver sa place sur WhatsApp ou Facebook j’appelle ça un échec cuisant.

Mais au final ça n’est pas tant sur le périmètre fonctionnel que se sont jouées les choses que sur le périmètre humain et l’accessibilité.

Digital Workplace et discrimination sociale

Il en est malheureusement de la Digital Workplace comme de nombreuses initiatives digitales dans l’entreprise. Ca commence comme un pilote au siège avec une population choisie, puis ça s’étend à toutes les personnes travaillant dans un bureau et disposant d’un ordinateur et….ça ne va pas plus loin.

Combien de salariés de terrain, de « front line workers » se sont sentis plus isolés que jamais ? Non seulement pour la plupart ils ne pouvaient pas travailler faute de pouvoir le faire à distance mais en plus ils étaient coupés de l’espace de vie digital de l’entreprise.

Combien de front-line workers ont une adresse email et un accès à l’intranet ? Combien peuvent s’y connecter depuis un outil personnel faute d’être sur un ordinateur partagé dans les locaux de l’entreprise, disposer d’un ordinateur portable d’entreprise ou bénéficier d’une politique BYOD ?

Le terrain, les cols bleus, les gens qui travaillent dans des magasins, des entrepôts, des usines ont le plus souvent été les laissés pour compte de la digital workplace et ce qui peut être vu comme une discrimination en temps normaux a été une catastrophe en ces temps de crise. Comme le dit le responsable du produit Workplace chez Facebook (heu..Meta), Ujjwal Singh, en parlant du futur de son produit :

« L’important ici, ce n’est pas que le personnel de première ligne soit plus important, c’est que le personnel de première ligne soit tout aussi important » que les autres travailleurs. « 

Et

« Et les défis auxquels sont confrontés les employés de première ligne sont tout aussi importants que ceux des travailleurs du savoir.« 

Il enchaine sur le succès (à ses dires) de son produit Portal for business, notamment à destination des « Frontline workers ».

On peut penser ce qu’on veut des produits de Facebook à destination des entreprises (personnellement je suis assez fan de Workplace pourvu qu’on le prenne pour ce qu’il est et pas pour un outil de collaboration) mais une chose est certaine : l’ADN de l’entreprise, originellement B2C, fait qu’ils conçoivent des produis faciles à déployer pour tous les employés « by design » et les incite certainement à pousser leurs clients à aller dans cette direction.

Mais la réalité pour la plupart a été que, privés d’informations, privés de lien et d’échanges avec les autres (en tout cas via des canaux officiels) ils ont souvent dû se débrouiller seuls pour se serrer les coudes et obtenir les informations dont ils avaient besoin.

Puis lorsqu’ils ont pu reprendre leur travail ils ont dû faire face aux mesures préventives dont les plus anecdotiques ont encore ajouté de la détresse et de la charge mentale à des métiers déjà peu évidents. Un exemple ? Supprimer les formulaires papier pour éviter la propagation du virus. Mais dans certaines entreprises les process destinés à ces populations n’étaient pas numérisés, il « n’y avait pas d’app pour ça ». Comment dématérialiser les outils et les process d’une population qui constitue le tiers monde numérique de l’entreprise ? L’autre jour j’entendais au supermarché une caissière discuter avec une collègue : « pourquoi on doit utiliser un papier pour poser des congés alors que dans les bureaux ils le font sur leur téléphone. Pourquoi je ne peux pas facilement consulter mon solde ? ».

Mais ça n’est pas tout.

Un ordinateur ? Quel ordinateur ?

Je pense que pour la plupart de mes lecteurs la question de la logistique du départ du bureau pour s’installer chez soi a été aussi simple que pour moi : ils sont partis avec leur ordinateur portable sous le bras voire lui ont préféré leur ordinateur personnel plus puissant ou disposant d’un écran plus grand.

Et les autres ? Bien sur les gens de terrain mais également tous ceux qui travaillent encore sur un ordinateur de bureau ? A l’heure du travail hybride et du flex office ce dernier va bientôt devenir un incongruité : l’outil de travail doit se déplacer avec son propriétaire. Mais ça n’est pas encore une réalité pour tous et ça l’était encore moins il y a deux ans.

On peut parler des bonnes et des mauvaises raisons qui font qu’un salarié dispose d’un ordinateur de bureau et pas d’un portable, du fait que ça leur soit utile ou non et des coûts induits. Soit. Mais dans ce cas il faut être en mesure de proposer une alternative. En effet proposer un bel environnement de travail et de vie digital mais encore doit-il être accessible aux salariés quand ils en ont besoin.

Les plus grandes entreprises qui peuvent se le permettre ont, parfois, mis en œuvre les grands moyens pour livrer à certains de leurs salariés qui un grand écran qui un ordinateur de bureau. Mais tout le monde ne peut se le permettre.

Il a donc fallu mettre en place de manière improvisée des politiques BYOD avec tous les risques et les limites que cela comporte en termes de sécurité, de capacité, lorsque nécessaire, des VPN à supporter de telles charges pour lesquels ils n’étaient pas conçus au départ. Ajoutons à cela que si l’informatique a trouvé depuis longtemps sa place dans beaucoup de foyers (la crise nous a montré à quel point les plus modestes se sont retrouvés dans la détresse faute d’un équipement approprié), ça n’est pas pour un usage professionnel et que peu de salariés soit disant « digitaux » ont été bien en mal de convertir un outil de loisir en outil de travail.

Et on terminera avec les entreprises qui avaient « presque » tout bon. Les salariés avaient des portables, le travail à distance était sinon généralisé en tout cas assez bien pratiqué et…l’infrastructure n’était pas faite pour. J’en veux pour preuve une amie chef de projet dans une grande entreprise, en charge d’un projet critique pour l’entreprise, qui ne pouvait se connecter aux outils internes que 3h par jour car il fallait « faire tourner », rien n’étant dimensionné niveau sécurité et infrastructure pour supporter autant connexions distantes en même temps.

ROI d’une digital workplace en temps de crise

Beaucoup d’entreprises se posent la question du ROI des projets internes, toujours les parents pauvres des projets digitaux par rapport à ce qui est fait pour le client. La crise l’a démontré grâce à une approche inverse, le RONI (Risk Of Not Investing).

Les entreprises mal équipées, qui n’avaient pas les bonnes pratiques, à la gouvernance, la culture ou l’infrastructure mal adaptées ont

  • Eu du mal de faire travailler leurs collaborateurs (en tout cas ceux qui pouvaient travailler à distance)
  • Eu du mal de les faire travailler ensemble
  • Créé un fossé entre cols blancs et « front line workers » et désengagé ces derniers
  • Eu du mal de faire vivre le collectif à distance, de maintenir et renforcer le lien

Bref, elles ont eu du mal de produire et d’exister en tant que groupe humain.

ATAWAD qu’on vous disait…

N’attendez pas ici une réponse nouvelle et magique, la seule chose qu’on a appris de la crise c’est qu’inventer des concepts c’était bien, les mettre en œuvre c’est mieux.

En 2002, et justement à propos des Digital Workplaces, Xavier Dalloz a introduit le terme ATAWAD pour AnyTime, AnyWhere, Any Device.

  • AnyTime : elle doit être accessible tout le temps
  • AnyWhere : elle doit être accessible de partout
  • Any Device : elle doit être accessible de n’importe quel outil (PC, mobile, tablette, professionnel ou personnel).

Si les Digital Workplaces de 2020 avaient été pensées et conçues selon ces principes on se serait épargné nombre de déconvenues et on peut espérer que les leçons de la crise auront été retenues pour l’avenir.

Je ferai tout de même un ajout auquel soit Dalloz n’avait pas pensé, soit qu’il pensait couler de source (l’avenir ayant prouvé le contraire : Any Employee.

Ajoutons encore le BYOD : Bring Your Own Device. Quand l’entreprise ne peut ou ne veut investir dans la capacité matérielle à travailler à distance elle peut au moins se doter d’un plan B à activer en cas de besoin.

La crise ne nous a pas appris grand chose à propos de la Digital Workplace, juste qu’elle devait tenir sa promesse originelle.

Dans cette série :
L’entreprise post COVID : mythe ou réalité ?
Le COVID n’a pas été un acteur de changement mais un excellent consultant
Le salarié post covid : un marché d’une personne insaisissable
Le manager post-covid : plus indispensable et perdu que jamais.
L’organisation post covid : plus plate, agile, flexible, rapide et simple
Les opérations post covid : formalisées, simplifiées, automatisées et People Centric
Le lieu de travail post covid : l’hybridation dans la douleur.
Culture d’entreprise post covid : la grande reconstruction dans le désordre.
Valeurs d’entreprise post covid : beaucoup de promesses et peu d’effets.
La Digital Workplace post Covid : ATAWAD et ouverte à tous.

Image : digital workplace de Tada Images via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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