« Qui se ressemble s’assemble » dit le proverbe et cela se confirme souvent en matières de recrutement. On a intuitivement tendance à recruter des gens qui nous ressemblent et cela sans aucune volonté délibérée de le faire. C’est un biais connu en matière de recrutement.
Comme l’expérience le prouve c’est rassurant et c’est très confortable à moyen terme car ce sont des recrutements dont on est en général très satisfaits dès le départ.
Mais est-ce une bonne approche à moyen ou long terme ?
« Je suis sûr que c’est toi qui a recruté untel et ça ne m’étonnerait pas que vous vous entendiez très bien ».
La scène, vécue, se passe lors d’une séance de formation à une solution d’évaluation des profils comportements, le Predictive Index (dont je suis fan et que je vous recommande par ailleurs).
Etaient présents les membres de plusieurs strates managériales de l’entreprise et, bien sûr, pour donner une dimension concrète à la chose, nous sommes partis des profils des différents participants.
Avant d’aller plus loin je voudrais adresser un avertissement à tous les fans de tests en tout genre. Comme nous l’a répété à maintes reprises notre (excellent) formateur : ces outils ne doivent pas seuls conditionner un recrutement ou une décision managériale. Ils donnent des informations, éclairent ou expliquent certaines choses, certains profils conviennent davantage à certains métiers que d’autres mais ça n’est qu’un élément à prendre en compte parmi d’autres.
A un moment donné, justement, il nous a alerté sur les différents biais. « M…. je suis sûr c’est toi qui a recruté N…. et que tu le trouves très bien ». « Bertrand, je suis sûr que tu trouves A…. génial et que c’est toi qui l’a recruté ». C »était juste dans les deux cas.
Puis vient l’instant de vérité et la comparaison des profils des deux binômes : quasi-identiques. Je précise que les recrutements avaient été faits sans test et donc qu’il s’agissait d’une découverte (ou d’une confirmation) a posteriori.
En ce qui me concerne j’avais recruté comme bras droit quelqu’un qui fonctionnait exactement comme moi, même si nos personnalités s’exprimaient de manière différentes. Disons que l’emballage était différent mais que le contenu du paquet était quasiment identique.
Pourquoi recruter son clone ?
Il y a deux raisons qui poussent à recruter quelqu’un qui nous ressemble : l’une est objective, l’autre subjective.
La raison subjective est simple à comprendre : quelqu’un qui nous ressemble nous rassure et nous convainc rapidement. En entretien elle nous donne les mêmes réponses qu’on donnerait nous mêmes, face à une situation donnée elle réagit comme nous, elle est toujours d’accord avec nous (et réciproquement). Tout cela on ne l’objectivise pas nécessairement au début mais a posteriori. Par contre on a d’emblée le sentiment que « ça va le faire ».
Il peut également y avoir des raisons objectives à recruter son double. Par exemple pour des raisons liées au poste. On peut se dire que pour faire tel métier il y a un profil à peu près type, qu’on attend un type de fonctionnement et de raisonnement. Et puis, vu qu’on est responsable de l’équipe il y a des chances qu’on ait le profil en question si on vient de la filière et qu’on a monté tous les échelons et que logiquement la fonction fait qu’on recrute des gens qui se ressemblent. Et qui nous ressemble.
Cela peut être également en fonction du rôle qu’on veut lui faire jouer. Par exemple lorsqu’on cherche vraiment un bras droit, quelqu’un qui prend votre place lorsque vous n’êtes pas là, prends une partie de vos tâches quand c’est nécessaire, voire est amené à vous succéder dans un avenir plus ou moins proche. Je ne dis pas que c’est le profil type du bras droit mais c’est un choix cohérent dans la mesure où il y a une sorte de continuité. Peu importe celui qui fait, qui décide, il y aura une ligne directrice commune due à un « logiciel mental » similaire qui conduira à une similarité de décisions qui est rassurante pour la continuité du fonctionnement de l’équipe voire est rassurante pour les collaborateurs qui voient une sorte de cohérence au sommet de l’équipe.
Mais si on reproche souvent aux entreprises de recruter des clones cela n’est pas sans fondement non plus et ce qui peut ressembler à une solution qui combine facilité et efficacité ça n’est pas toujours la bonne.
Pourquoi recruter son clone est une erreur
Il est facile de prendre le contrepied des arguments que je viens d’énoncer, en dehors du biais subjectif qui sera toujours présent quand bien même on en a conscience.
Pour ce qui est des raisons liées au poste on a bien compris aujourd’hui qu’il est utile voire indispensable d’apporter de la diversité dans les profils afin d‘être capables de penser « out of the box » et de permettre la confrontation des points de vue. C’est d’autant plus vrai qu’on a finit par intégrer le fait que même dans des métiers qui demandent un profil type, par exemple technique et rigoureux, il faut ajouter des profils plus intuitifs et créatifs pour explorer des voies qui sortent des sentiers battus. Vu qu’il est rare qu’un personne cumule les deux, il faut faire travailler ensemble des personnes qui fonctionnent différemment même si un des profils restera marginal en nombre.
Les clones créent de la conformité et la conformité est l’ennemie de l’innovation et de résilience.
Pour ce qui est du rôle, le clone est utile en tant que bras droit mais seulement à court ou moyen terme.
Premièrement parce qu’il faudra être capable de le faire progresser rapidement. S’il est la copie du chef, il aspirera logiquement à devenir chef. C’est le cas de ma recrue de l’époque qui a pris ma succession lorsque j’ai pris une autre fonction.
Ensuite parce que même au sommet d’une équipe il est bon d’avoir de la diversité et d‘éviter le « group thinking ».
Enfin, et plus rarement, pour des raisons de cohérence au sein de l’équipe. Plus rare car les systèmes de promotion interne continuent à trop souvent promouvoir les meilleurs opérationnels à des postes de management, ce qui fait que souvent elles perdent des gens de qualité sur le terrain pour y gagner de mauvais managers. Celles qui utilisent d’autres critères peuvent promouvoir des gens au profil différent voire des gens venant d’un autre métier et qui ont un logiciel interne différent. Dans ce cas le manager pourra trouver utile d’être secondé par quelqu’un qui se rapproche des membres de l’équipe ou un profil « intermédiaire » pour exploiter sa différence tout en étant bien connecté au terrain et mieux le comprendre.
Conformité vs diversité : une question de timing
Je pense qu’il faut également introduire ici une notion qu’on peut appeler le temps, la maturité ou la croissance.
Quand on constitue une équipe, qu’une entreprise ou qu’une activité sont naissantes, il est logique de muscler les profils clé car vu le faible nombre de collaborateurs il n’est pas facile de jouer la carte de la diversité des profiles. Les premières personnes qu’on va recruter doivent incarner le métier au mieux en termes de soft et hard skills et construire un patchwork à ce stade pourrait être totalement contreproductif, amener l’équipe à être moins performante et créer des tensions entre les personnalités.
Par contre une fois qu’une colonne vertébrale est construite il est essentiel d’éviter le trop plein d’uniformité et d’ajouter à la marge des personnes des fonctionnent différemment.
L’exemple des startups en est presque caricatural. Regardez les profils présents aux débuts d’une entreprise et ceux qui, 5 à 10 ans plus tard, la peuplent alors qu’elle est devenue « scale up », la différence est flagrante, tellement qu’à un moment, à trop vouloir rechercher des gens capables de structurer et « scaler » elles en oublient l’importance des innovateurs et des batisseurs de leurs débuts et finissent par le payer.
C’est également là qu’on se rend compte que la question des différents profils de salarié va au delà des questions d’affinités, de cohérence et de diversité. Cela dépend également de la stratégie d’une entreprise.
Selon qu’une entreprise soit en phase de décollage, de structuration, de restructuration, qu’elle soit sur une logique défensive, offensive, de diversification de recentrage, elle n’a absolument pas besoin de personnes qui fonctionnent de la même manière. On ne redevient pas offensif avec les gens qu’on a recruté pour faire du cost-cutting, on ne structure pas une entreprise en croissance avec des gens qui pensent comme ceux qui aiment les turbulences et le désordre des premiers jours et on ne lance pas une entreprise avec des profils trop rationnels et structurés.
Je me souviens dans les années 2000 d’une intervention de John Chambers, PDG de Cisco à l’époque, parlait d’un virage stratégique qu’il venait du prendre et du renouvellement que cela avait entrainé au niveau du top management, voire des échelons en dessous. Il avait dit à peu près : « C’est comme pour le basket ball, en fonction de votre système de jeu vous n’avez pas besoin des mêmes joueurs. Ca n’est pas une question de qualité des joueurs mais d’adéquation avec le système« . « Ceux qui nous amené là où on est sont d’excellents professionnels et je n’ai rien à leur reprocher mais j’ai besoin d’autres personnes pour prendre le virage que je veux prendre« .
Conclusion
Il est tout aussi facile de se rassurer en recrutant des clones et a fortiori ses clones que de critiquer la dangereuse uniformité des profils dans une entreprise ou une équipe.
Si la question de la conformité a toute son importance, on oublie également que la stratégie d’une entreprise ou l’étape où elle se trouve dans son cycle de vie ont une grande importance sur le type de profils dont elle a besoin en raison de leur manière de fonctionner.
Image : clones de Nomad_Soul via Shutterstock