J’ai toujours été convaincu qu’on avait beaucoup à gagner à s’intéresser à ce qui fonctionne dans d’autres secteurs pour l’appliquer au sien (au moins ses principes) et que regarder ce qui réussit ailleurs a au moins le mérite d’amener à penser « out of the box ».
Je suis tout aussi convaincu qu’une idée ou un concept pertinent doit être rendu intelligible par tous. Selon le métier, le secteur d’activité et (surtout) le modèle de pensée d’une personne, elle sera totalement ouverte ou totalement hermétique aux idées qu’on lui présentera.
L’expérience : tout le monde en parle, personne ne sait de quoi on parle
La notion d’expérience n’a rien de neuf. Si pour beaucoup c’est un concept pour marketeurs sorti de nulle part au milieu des années 2010 souvenons nous que « The Experience Economy » de Joe Pine est sorti en 1998 et qu’il s’agissait au départ d’une nouvelle approche de la valeur créée pour le client.
Expérience client, expérience employé, tout le monde en a entendu parler ces dernières années mais je serai curieux de savoir combien ont une idée précise de ce dont on parle. Même ceux qui sont supposer s’en occuper.
Si on demandais tous les professionnels qui ne cessent dire que leur enjeu central est l’expérience de leurs clients / employés de quoi ils parlent exactement je pense que la plupart pourraient citer des exemples tangibles de manifestation d’une bonne expérience mais peu capables d’expliquer de manière synthétique et avec le niveau d’abstraction nécessaire ce qu’est une expérience.
« Une expérience c’est ce que les gens vivent« . C’est d’autant plus vrai qu’en anglais, dans ce contexte, le « vivent » se traduit « experience ». Mais ironie mise à part c’est creux et ne nous fait pas avancer.
Cela me rappelle le dernier baromètre de l’expérience employé nous dit que 78% des « pratiquants » connaissent bien ou très bien l’expérience employé. Donc 22% ne comprennent rien à ce qu’ils font au quotidien. Rassurant.
Mais le dit baromètre va plus loin : « « La notoriété et la mise en pratique croissantes de l’expérience collaborateur ne vont donc pas de pair avec une meilleure compréhension« .
Est-ce vraiment meilleur du côté de l’expérience client ? Pas nécessairement quand on voit à quel point, de la même manière que l’expérience employé ne sert le plus souvent qu’à faire de la QVT sous un autre nom, l’expérience client sert de prétexte à n’importe quelles types de pratiques, même les plus anti-expérientielles, voire se résume à un discours marketing creux sans rien de tangible derrière.
Quand on ne sait pas ce qu’on veut faire, de quoi on parle, cela permet de tout faire mais surtout de faire n’importe quoi.
L’expérience : un concept inintelligible par beaucoup
Aujourd’hui l’expérience est la chasse gardée des designers (qui savent, eux de quoi ils parlent) et de nombreux professionnels du digital (hors design) pour qui c’est un mot valise. Mais au moins ils savent que c’est quelque chose d’important.
Ce serait suffisant s’ils étaient les seules parties prenantes du sujet. Mais si on considère que l’expérience est quasiment un modèle économique et, on le verra, un changement de modèle opérationnel ça n’est pas suffisant au moment de devoir convaincre et embarquer d’autres métiers pour que des projets d’ampleur et souvent transverses voient le jour.
Allez proposer un programme de transformation majeur, et donc couteux, pour soutenir une stratégie fondée sur l’expérience à un financier et vous verrez que c’est compliqué. Sortez du digital et des services pour aller en parler à des gens du manufacturing, ce sera loin d’être gagné également.
Retour aux fondamentaux pour parler à tous
Ma conviction est que la plupart du temps on utilise des mots nouveaux pour parler de logiques déjà connues par ailleurs. Question de marketing. Bien sûr ils arrivent avec leurs nuances, partis pris et spécificités mais au fond, dans l’esprit, on est sur des terrains connus.
L’avantage de revenir sur un terrain connu est double.
D’abord on sort de l’effet marketing et du « hype ». On reparle des fondamentaux de l’économie, du management. On revient sur des basiques qui font partie du tronc commun et ça rassure même ceux qui ne sont pas experts en la matière.
Ensuite parce qu’en même temps que rassurer ça crédibilise la démarche.
L’expérience pour les nuls
Il y a plusieurs mois de cela, à l’occasion d’une rencontre fortuite, je parlais de ces sujets avec un cadre dirigeant que je qualifierai, sans lui faire injure, d’un peu old school et pas forcément réceptif à tous les concepts nouveaux de l’économie dite digitale. Pas qu’il ne soit pas capable de comprendre mais parce qu’il est sceptique par nature, méfiant des effets de modes et allergique aux concepts creux.
A un moment, quitte à choquer les puristes, j’ai volontairement été réducteur en lui disant :
« Mais ça n’a rien de nouveau et votre entreprise a déjà les méthodes pour y arriver. Considérez que l’expérience c’est un peu la qualité, une nouvelle manière de la définir mais au fond c’est la même logique. Quant aux moyens d’y parvenir ça n’est pas compliqué, c’est le résultat d’une démarche d’excellence opérationnelle« .
Bien sûr c’est mon propre parti pris que j’ai maintes fois défendu ici, notamment en matière d’expérience employé :
- L’expérience employé n’est pas (qu’) un sujet RH, elle se vit quand le salarié « produit », donc dépend en (grande) partie des opérations.
- Il faut donc ramener l’expérience employé dans le flux de travail et ne pas en faire un sujet périphérique à l’activité productive.
- D’où l’importance de faire la différence entre ce qui se passe « au travail » et « dans le travail ». Quand on est juste au bureau ou qu’on y est en train de travailler.
En tout cas la réponse de mon interlocuteur a été « Ah là c’est plus clair. Je vois un peu mieux de quoi on parle et surtout ce que ça implique si on veut réussir« .
Et c’est quelque mois après cette discussion que je suis par hasard tombé sur cet article.
L’expérience c’est la nouvelle qualité
Un article qui n’a a priori rien avoir avec le sujet (ou pas grand chose) mais si on sait prendre un peu de recul et en saisir l’esprit il nous dit beaucoup, charge à nous d’en traduire les principes pour les appliquer ailleurs.
C’est ce schéma qui au départ à attiré mon attention.
Si l’on regarde les composants d’une bonne expérience on retrouve le produit, le service, les conditions de travail des salariés qui la produisent (et donc l’expérience employé si on parle d’expérience client, ou l’expérience des managers et RH pour l’expérience employé), la prise en compte de l’omnicanalité de l’expérience (physique et digitale), le fait qu’elle ne soit pas hors sol mais attachée à la résolution d’un problème ou la satisfaction d’un besoin….)…bref tout ce que que les gens qui ne font pas du marketing ou des RH appellent la qualité.
Pour y parvenir le monde industriel passe par un certain nombre d’activités qui ont de manière plus ou moins évidente leur pendant dans le monde du travail du savoir et des services. L’ingénierie devient design, le sourcing le recrutement, les opérations sont toujours valable pourvu qu’elles deviennent people centric etc. L’optimisation de tout cela s’appelle l’excellence opérationnelle. Enfin encore une fois dans l’industrie car c’est un autre gros mot qu’on s’interdit de prononcer ailleurs.
Voilà, sans creuser davantage et rentrer dans une logique vraiment spécifique la convergence est assez évidente.
Data, opérations et excellence
D’ailleurs allons plus loin dans la logique qui veut que l’expérience ne soit la résultante pour le client / salarié que la résultante d’une démarche d’excellence opérationnelle.
Je vous renvoie ici à un article qui décrit une initiative menée par SAP Signavio en s’appuyant sur Qualtrics. Mais finalement le « qui » importe peu, ce qui compte est la logique.
On y raconte comment on a utilisé la data pour améliorer les opérations afin d’améliorer in fine à la fois l’expérience employé et la performance dans une logique de rétention des collaborateurs. Je ne vous cache pas ma satisfaction d’enfin lire quelqu’un qui partage totalement mon avis sur le sujet.
« C’est pourquoi nous nous sommes associés à Qualtrics pour proposer un outil d’analyse des processus axé sur l’expérience, qui révèle l’impact des opérations sous-jacentes d’une organisation sur le sentiment des employés.
Pour ce faire, il trouve automatiquement les points d’intersection entre l’expérience des collaborateurs et les opérations, ce qui permet aux organisations d’explorer beaucoup plus efficacement leur impact global sur les indicateurs clés de performance de l’entreprise.
[…]
En prenant connaissance des processus découverts grâce à ces outils et en prévoyant les enjeux opérationnels auxquels leurs employés sont susceptibles d’être confrontés au quotidien, la direction peut repérer plus rapidement les points de blocage, travailler à des améliorations internes et éviter que son personnel n’aille voir ailleurs.
La corrélation des processus opérationnels avec le sentiment des employés, la connaissance de l’engagement et les données est une étape révolutionnaire vers la création d’une culture qui valorise réellement les employés en tant qu’êtres humains à part entière et qui facilite leur travail.«
CQFD.
Conclusion
Si on va au delà des concepts fourre-tout, une bonne excellence client / employé n’est que la résultante d’une démarche qualité s’appuyant sur l’excellence opérationnelle.
Ca démystifie et remet beaucoup de choses à leur place. Mais ça oblige également à prendre conscience de l’ampleur d’un chantier qu’on ne veut pas voir, la cosmétique étant tout de même une approche moins sensible.
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