C’est amusant comme on peut avoir l’impression de choquer certains puristes en utilisant dans une même phrase deux mots qui n’ont a priori rien à voir ensemble. C’est par exemple le cas des mots people / gens / humains et des mots « process’ et « opérations ».
J’expliquais il y a peu que si on voulait cesser d’employer des mots à la mode et parler à des gens qui n’ont pas une certaine sensibilité on pouvait facilement remplacer le mot expérience par qualité et le lier à des sujets bien connus d’expérience opérationnelle.
Alors certains me rétorquerons qu’une expérience peut n’être que digitale et justement je ne suis pas d’accord.
• Parce que le bon déroulement d’une expérience digitale découle d’une forme d’opérations parfaitement exécutées.
• Parce que la plus belle expérience client sur un site e-commerce est ruinée lorsque la livraison est déceptive ou que le service client est aux abonnes absents.
• Parce que la plus belle application permettant aux salariés de saisir leurs notes de frais en un clic avec la photo d’une facture ou de poser leurs congés est ruinée lorsque le circuit de validation qui suit est lent ou dysfonctionnelle.
Bref une « belle expérience » qu’elle soit côté client ou employé est la perception de la qualité d’un produit ou d’un service et pour que ce produit ou service ait ce niveau de qualité il y a, derrière, des gens, de la technologie, une organisation, des process, qui fonctionnent d’une certaine manière…ou pas.
Ici nous allons plus spécifiquement parler de l’expérience employé.
Expérience reçue et expérience vécue
Une bonne expérience employé est la conjonction de trois facteurs :
• Les gens qui agissent et avec qui on interagit
• Les process qu’ils suivent ou que ceux avec qui ils interagissent suivent
• La technologie mise à leur service pour réussir leur mission ou mise directement à disposition du client.
Vous voyez bien qu’il n’y a pas besoin de réinventer la roue ni de produire de nouveaux concepts fumeux : on revient à des chose vieilles comme le monde et, encore une fois, aux bases de l’excellence opérationnelle.
Mais vous noterez tout de même une chose : il y a deux types d’expérience employé.
• Celle que j’appellerai l’expérience vécue ou expérience « opérationnelle », que vit le salarié en faisant son travail (et pas seulement en étant au travail).
• Celle que j’appellerai l’expérience reçue, qui est celle que l’on reçoit de ceux dont le travail nous « sert ». Je pense ici aux fonctions support et notamment à la fonction RH. Notez que je met le manager dans l’expérience vécue.
Il ressort de tout cela que l’expérience employé dépend en partie de modes opératoires : ceux que l’employé suit et ceux que d’autres suivent pour lui apporter un service.
Des RH aux People Operations
Pour me faire (a priori) mentir, on retrouve de plus en plus souvent les mots People et Operations accolés dans une sorte de rebranding de la fonction RH que certaines entreprises nomment aujourd’hui « People Operations ».
S’il s’agit dans certains cas d’un simple effet d’annonce sans grand changement sur le fond cela traduit tout de même en général un changement de paradigme avec la réelle volonté de remettre l’individu au centre.
Penser « People Operations » au lieu de penser RH amène à remettre le salarié au cœur des process RH et de les penser non pas en fonction du bénéfice de ces process pour leurs acteurs mais pour leur bénéficiaire. N’oublions pas que toute fonction support à tendance à optimiser son efficacité au détriment de ceux qu’elle supporte ou d’autres fonction. De la même manière qu’on pense « service client », on commence donc à penser « service employé« .
En termes d’expérience employé la fonction People Operations est :
- Une expérience reçue pour les collaborateurs
- Une expérience vécue pour ceux qui y travaillent, enfin on l’espère.
Mais elle ne constitue pas une expérience vécue pour les collaborateurs non RH sauf à considérer qu’ils passent 100% de leur temps en formation, à poser des congés et soumettre des notes de frais.
Et c’est là que le bât blesse.
People Operations ou People & Operations ?
J’ai eu à maintes fois l’occasion de montrer les limites de l’expérience employé telle que pratiquée aujourd’hui par exemple en commentant la 5e édition du baromètre de l’expérience employé, la 4e édition de ce même baromètre ou en réfléchissant à une vraie définition de ce qu’est l’expérience employé.
Pour réellement prétendre avancer sur le sujet de l’expérience employé il faut s’intéresser aux opérations en général. Pas que les People Operations mais surtout et avant tout les Business Operations au sens large.
Encore une fois je constate que l’expérience employé s’applique quasi systématiquement aux salariés lorsqu’ils ne travaillent pas, au sens « être en situation de travail, opérationnel, productif ». J’appelle cela « mettre un spa à côté de la salle de torture ». C’est bien mais sauf à considérer que les gens passent leur vie dans les process RH et ne jamais on passe à côté de ce que vivent les collaborateurs pendant au bas mot 95% de leur temps. Dommage, d’autant plus que les salariés ne s’y trompent pas et voudraient qu’on s’occupe de leurs vrais problèmes.
Donc les tenants de l’expérience employé doivent s’intéresser aux opérations et, puisque la plupart du temps ce sont les RH qui ont hérité du sujet, il faut qu’ils se familiarisent avec le sujet. Ou qu’ils le laissent à d’autres.
L’avenir n’est pas tant de se positionner sur les « People Operations » mais sur les « People & Operations ».
Les opérations, un mot « sale » ?
Je me suis livré à une petite expérience dernièrement relativement au billet que je mentionne plus haut. Lors de discussions avec des personnes en charge des RH/expérience employé j’ai dit
• L’expérience est le nouveau nom de la qualité. Là en général ça passe.
• Elle est le résultat d’une forme d’excellence opérationnelle. Là mon interlocuteur blémit.
• Il est essentiel de monitorer les opérations de l’entreprise, les quantifier et rentrer dans une démarche d’amélioration continue. Là mon interlocuteur est en général proche de la syncope.
Pourquoi ? Plusieurs raisons sont plausibles.
1°) Il est RH et on suggère qu’il n’est pas le plus légitime pour vraiment piloter l’expérience employé.
2°) Il est RH et ne considère que seul l’humain est une manière noble, que les histoires de process et d’opérations sont une matière vile, sale.
3°) Comme celui qui n’ayant qu’un marteau veut que tous les problèmes ressemblent à des clous, il veut limiter le sujet à sa zone de compétence.
Et pour être honnête je pense que la 2e option est en général la bonne. Et cela me désole.
Comment prétendre s’occuper des gens dans l’entreprise si on ne s’intéresse pas à ce qui se passe quand ils travaillent ? A ce qui génère de l’engagement ou du désengagement. A ce qui impacte le plus leur santé et charge mentale. A ce pour quoi en les paie en en fonction de quoi on les évalue. A ce qui conditionne la performance de l’entreprise. A ce qui fait le « potentiel talent » de l’entreprise est pleinement utilisé, valorisé ou gâché.
On m’a même dit « les opérations font du mal aux gens, les RH ont pour métier de leur faire du bien« .
C’est une occasion unique pour la fonction RH de montrer qu’on peut conjuguer l’impératif humain et l’impératif de performance business. Mais personne ne s’en saisit.
C’est d’autant plus dommage qu’au fil du temps notre économie et nos modes opératoires ont évolué. L’époque ou le process était roi et l’humain devait les suivre et s’adapter est finie. Aujourd’hui l’humain impacte autant les opérations que les opérations impactent l’humain et quand on parle de « People Centric Operations » il s’agit bien de remette le dit humain non pas au centre des messages et des bonnes intentions mais au centre des opérations productives de l’entreprise. Etre RH et ne pas s’intéresser à ce sujet c’est s’être trompé d’époque, voire de métier car leur rôle n’est pas de s’occuper de gens mais de gens qui travaillent dans une entreprise. C’est tout simplement faire des RH hors sol.
Je pense que de la capacité des RH à embrasser ce paradigme nouveau dépend de leur capacité à vraiment peser dans l’avenir ou subir un inéluctable déclassement.
Conclusion
Les tenants de l’expérience employé en entreprise doivent à tout prix s’intéresser aux opérations. S’ils s’y refusent ou ne s’y sentent pas légitimes il est temps de confier l’expérience employé à des personnes plus proches du business.
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