Lorsqu’on parle du futur de travail un des premiers sujets qui vient à l’esprit est celui de la flexibilité car les entreprises qui l’avaient plutôt bien géré jusqu’à présent (le plus souvent en faisant comme si le sujet n’existait pas) l’ont pris en pleine figure avec la fin de la pandémie et des salariés désireux de conserver certains avantages acquis pendant cette période exceptionnelle.
Beaucoup réduisent ce sujet au simple télétravail alors que c’est de flexibilité de manière plus globale dont il s’agit.
Essayons de regarder le sujet au regard des tendances dont je parlais il y a peu.
La pandémie
Elle est bien sur au coeur du sujet car elle a permis ce qui était jusque là impensable pour la plupart des salariés et des entreprises : le télétravail généralisé, en tout cas pour les métiers pour lesquels c’est possible.
L’idée n’est pas ici de discuter des bienfaits ou méfaits du télétravail, des limites à mettre en place ou pas, du fait qu’il convienne plus ou moins à certaines personnes en fonction d’un grand nombre de facteurs.
Par contre il y a une réalité contre laquelle on ne peut pas aller : certains salariés ont aimé, d’autres moins (mais ont il connu le vrai télétravail lorsqu’il est imposé et dans une entreprise pas préparée ?), mais la plupart veulent continuer à télétravailler à des rythmes différents et, surtout, l’entreprise ne peut plus leur dire que ça n’est pas possible vu que cela a été fait pendant près de deux ans !
La consumérisation
Dans sa vie personnelle le collaborateur a totalement intégré le concept « ATAWAD » (Anytime, Anywhere, Any Device) : il fait ce qu’il a à faire, peu importe quand, où ou l’appareil à sa disposition et d’une certaine manière il se demande pourquoi, dans un cadre professionnel, il faut être à un certain endroit à une certaine heure pour faire certaines choses.
La technologie
Je me demande souvent comment les entreprises auraient traversé la crise sans internet ou avec les réseaux et outils du début des années 2000. Très mal selon moi et l’impact économique et social aurait été terrible.
Mais là encore la technologie rend le télétravail et la flexibilité des horaires plus possibles et faciles aujourd’hui que jamais, et surement moins que demain.
Objectivement les outils sont là et les entreprises sont équipées. Par contre ce que la pandémie a montré c’est qu’ils sont mal connus ou mal maitrisés par le collaborateurs pas plus que les use cases fondamentaux du télétravail.
Quoi qu’il en soit les technologies et leurs usages dans la sphère privée plaident pour un cadre d’usage plus flexible dans la sphère professionnelle et, en tout cas, ne peuvent plus être considérées comme une barrière.
L’évolution de la société et de l’économie
D’un point de vue sociétal la demande est forte pour un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Cela inclut donc le lieu de travail mais aussi la flexibilité des horaires pour permettre non pas comme on l’entend souvent de bien séparer ces deux aspects de la vie des collaborateurs mais les aider à mieux cohabiter, s’articuler, voire se mélanger.
La pénurie de talent rencontrée dans certains secteurs pousse, elle, à davantage de flexibilité quant au lieu de travail. Déjà en ayant une politique de télétravail attractive pour les candidats qui en font un critère essentiel et ensuite en allant recruter les talents où ils sont, donc possiblement en « full remote » dans une ville où l’entreprise n’a pas forcément de bureaux.
La transformation des activités de service et du travail du savoir
Je dis souvent que les activités liés au travail du savoir et de manière générale la production de choses intangibles sont organisées de la pire des manières qui soit, en ayant transposé des approches tayloristes et industrielles à des métiers qui ne font que gérer des exceptions.
Il est inéluctable qu’un jour ou l’autre on doive questionner la manière dont ces activités sont organisées.
D’un côté cela n’aura aucun impact sur le fait de rendre le travail plus ou moins flexible mais d’un autre des flux de travail sans friction réduira le besoin d’intéractions pour compenser donc le besoin d’être colocalisé, notamment pour les personnes peu à l’aise avec les outils de collaboration/communication (il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense.
Conclusion : le travail n’est ni un endroit ni un moment.
Je dis souvent que le travail n’est ni un endroit ni un moment mais un état d’esprit. Ou plutôt ne devrait pas l’être car pour nombre d’entreprises il est très difficile de penser autrement que « le salarié est au bureau de 9h à 18h ».
Aujourd’hui il y existe une forte demande pour un travail plus flexible et il n’est plus possible de répondre que ça n’est pas possible, vu que ça a fonctionné et que la technologie le permettant existe.
Je tempérerai mon propos avec une nuance : si la flexibilité a fonctionné en termes de lieu de travail c’est beaucoup moins le cas pour les horaires, ou pas de manière officielle. Le salarié à distance peut en effet organiser sa flexibilité tant que le travail est fait, sans que personne ne s’en rende compte, mais cela ne relève d’aucun dispositif officiel donc peut être problématique à terme.
Cette demande sera-t-elle satisfaite ? Pour le télétravail on peut penser que c’est inéluctable même si certaines entreprises y vont à reculons. Beaucoup trouverons que ça ne va pas assez loin, pas assez vite, mais tendanciellement c’est le chemin qu’on prend en dépit de contre exemples certes médiatiques (Elon Musk…) mais peu représentatifs.
Pour les horaires flexibles c’est plus compliqué car cela demande un changement d’état d’esprit encore plus grand et l’impact sur l’organisation du travail est tout sauf anecdotique.
D’ailleurs le vrai enjeu est plus organisationnel que RH. Qu’on parle de flexibilité du lieu ou du temps de travail les entreprises les ont vu comme un bénéfice RH au lieu d’une manière d’organiser la production, d’où le fait que le télétravail forcé ait été douloureux dans de nombreux cas. Dans télétravail il y a « travail » mais tout le monde s’est concentré sur le « télé » en se trompant d’enjeu.
On va donc vers plus de flexibilité mais, surtout, vers des modes d’organisation qui permettent cette flexibilité et c’est ce second point qui peut freiner cette tendance inéluctable.
Une tendance inéluctable mais fragile. Aujourd’hui le rapport de force entre entreprises et salariés/candidats s’est inversé ce qui permet des changements jusque là impensables, ou en tout cas pas avec cette ampleur. Que la contexte économique renverse ce rapport de force à nouveau et les entreprises culturellement les moins à l’aise face à cette flexibilité y verront une excellente raison de revenir au bon vieux « 9h-18h au bureau ».
Image : travail flexible de Vitalii Vodolazskyi via shutterstock.