Futur de la paie et rémunération : parler le même langage, payer en temps réel, donner du sens.

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On ne peut pas parler du futur du travail tel qu’il se présente aujourd’hui sans évoquer l’éléphant dans la pièce, un éléphant que le contexte économique actuel rend de plus en plus gros et qui est essentiel dans le pacte que signent une entreprise et le salarié qui la rejoint : le salaire et la paie.

Et comme pour toute cette série d’article nous allons le passer au crible des différents facteurs qui font évoluer le travail en ce moment.

La pandémie

S’il n’y avait eu que la pandémie il n’est pas certain que ce sujet ait émergé avec autant de force, en tout cas dans des pays comme la France où même si tout n’a pas été simple pour tout le monde, le chômage partiel a fait en sorte que pour la plupart des salariés il n’y a pas eu de situation de détresse financière.

L’évolution de la société et de l’économie

On ne cesse d’entendre que la société évolue et que les collaborateurs sont en quête de sens. Les discours des entreprises allant dans le sens d’une plus grande responsabilité sociale et environnementale sont désormais la norme sans que pour autant vu de l’extérieur les choses changent. Les collaborateurs eux-mêmes reconnaissent parfois agir à l’encontre de leurs convictions et ce pour une bonne raison : ils ne font qu’aller dans le sens de la manière dont ils sont évalués.

Ca n’est pas nouveau mais ça s’accentue. A un moment donné il faut comprendre que le salarié est un être rationnel dont le comportement est dicté par la manière dont il est évalué, notamment lorsque cela a un impact sur sa rémunération. La rémunération est vectrice de sens quand on l’utilise à bon escient.

Mais il y a un autre sujet qu’on ne peut passer sous silence.

Avant la pandémie, avant même la guerre en Ukraine, 25% des français étaient incapables de faire face à une dépense imprévue de 500 euros. Avec l’impact, même modéré, de la pandémie et celui, infiniment plus fort, de la guerre, la situation ne va qu’empirer quitte à devenir dramatique pour certains.

Je cite ici des chiffres français mais n’oublions pas que les français ont une propension forte à épargner. Dans d’autres pays occidentaux le recours facile au crédit à la consommation a servi à cacher la misère mais cela ne durera pas éternellement. La crise des subprimes nous l’avait d’ailleurs rappelé violemment même si, depuis, tout le monde semble l’avoir oublié.

Pour le salarié deux chose sont à prendre en compte.

Le premier est le décalage qui se creuse au fil du temps entre sa rémunération et le coût de la vie. Peut être qu’une partie de la population ne s’en rend pas compte, qui profite d’augmentations régulières et voit sa carrière avancer mais pour beaucoup chaque année leur pouvoir d’achat s’effrite du montant de l’inflation.

De manière très simple il y a un malentendu implicite sur le sujet. Pour l’entreprise le salaire est un coût et les coûts doivent être gardés sous contrôles. Il y a pleins d’excellentes raisons qui expliquent qu’on ne peut pas augmenter tout le monde tous les ans et je suis le premier à les défendre. Il y en a également des mauvaises.

Hors le salarié, lui, lorsqu’il signe, n’achète pas un salaire mais un pouvoir d’achat. Donc si le salaire n’évolue pas aussi vite que le coût de la vie il est perdant et le « contrat » initial est d’une certaine manière rompu.

Et tant que les uns parlerons pouvoir d’achat et les autres salaires il sera difficile d’avoir des discussions apaisées sur le sujet.

Le deuxième sujet est donc la manière dont le salarié pallie à ces dépenses imprévues, à ces problèmes de fin de mois (qui arrivent le plus souvent en milieu de mois) si la réponse n’est pas salariale.

C’est là qu’intervient le facteur suivant.

La consumérisation

Dans la vie de tous les jours la digitalisation des usages à rendu on ne peut plus facile le recours au crédit à la consommation pour boucler les fins de mois. Moins en France et dans certains pays où la chose est très encadrée mais la tendance est tout de même là.

Là on parle d’argent que le salarié n’a pas encore gagné, se fait prêter, et devra rembourser.

En tirant le trait on pourrait, même si cela est en grande partie irréaliste, se dire qu’il serait peut être plus sain que le salarié puisse tout aussi facilement demander des avances sur salaires. Un point de vue qui n’est que théorique, une entreprise n’est pas une banque, aurait bien du mal à financer cela à grande échelle, et a fortiori à supporter le risque. Ca n’est pas son rôle.

Par contre il existe une autre voie : l’acompte sur salaire. A la différence de l’avance, qui est un prêt que le salarié doit rembourser, l’acompte est un paiement anticipé d’un salaire dû. Par exemple un salarié qui est payé 2000€ par mois qui devrait recevoir sa paie le 31 du mois, est tout à fait légitime à demander un acompte de 1000 le 15 et le reste le 31. Au contraire de l’avance l’entreprise est contrainte de s’exécuter pour un acompte allant jusqu’à 50% du salaire car c’est une somme qu’elle doit à son salarié car il a déjà fourni le travail dont la rémunération est la contrepartie (les mauvaises langues diront qu’elle fait de la trésorerie sur le dos de ses salariés en payant en fin de mois). Je suis d’ailleurs surpris que si peu de salariés et d’entreprises ignorent ce caractère obligatoire.

Donc vous me voyez venir : alors que contexte économique se tend et qu’en l’absence de réponse salariale il s’agit d’améliorer la trésorerie se tend, l’acompte sur salaire peut être la bouée de sauvetage de beaucoup de salariés. Et si le context économique continue à se détériorer et l’inflation à galoper je ne serais pas surpris de voir les salariés s’approprier ce mécanisme à vitesse grand V.

N’ayant pas le moyen de dire non, le but pour l’entreprise sera dès lors de gérer cela le plus efficacement possible.

La technologie

C’est bien sûr là que la technologie intervient. On imagine bien la charge administrative qui accompagne une gestion des acomptes à grande échelle

On peut faire tous les reproches que l’on veut au monde de la tech, il est sans pareil pour apporter rapidement une solution à un problème existant ou a venir.

Aujourd’hui le monde de la fintech propose déjà aux entreprises et aux salariés des solutions visant à simplifier la gestion des acomptes sur salaire. On peut citer par exemple Rosaly ou Stairwage.

D’autres come Bling proposent aux salariés de leur avancer jusqu’à 100€ pour faire face à un imprévu.

La transformation des activités de service et du travail du savoir

Ce facteur est totalement inopérant ici, d’autant plus que les services mentionnés ont été initialement créés davantage pour les cols bleus et autres « frontline workers ».

Conclusion

Parler paie et rémunération lorsqu’on évoque le sujet du futur du travail fait souvent grincer des dents tant le sujet est sensible, politique, voire tabou. En fait il y a deux sujets tabous : la paie et le contenu du travail, la manière dont il est conçu, organisé et s’exécute.

C’est dommage car l’un est central dans le pacte qui lie le salarié à l’entreprise et le second dans la manière dont le collaborateur crée de la valeur.

Bref.

Il y a quatre sujets auxquels les entreprises vont être confrontées.

Le premier est l’adoption d’une politique salariale décente et je ne n’irai pas plus loin sur ce sujet. Tout le monde a sa propre définition de « décent » en la matière, et il y a un grand nombre de facteurs propres à chaque entreprise, à chaque pays, qui font qu’il n’est pas possible de parler du sujet en termes généraux.

La seconde est une politique salariale en phase avec les attentes nouvelles des collaborateurs et, surtout, avec les beaux discours qui fleurissent depuis la pandémie.

Le troisième est d’enfin pouvoir une conversation exempte de biais avec leurs salariés et donc de parler le même langage. L’entreprise parle en termes de coûts, le salarié en termes de pouvoir d’achat et par conséquent il est difficile de s’entendre. Dans un monde idéal c’est à chacun de comprendre la situation de l’autre. Dans le monde réel entre les tensions sur le marché du travail et ce à quoi les salariés font et vont faire face dans leur quotidien ce sera aux entreprises de faire le chemin. Elle se vantent d’être devenues « people centric » ? C’est un excellent moyen de le prouver. Ou alors on accepte de rester dans un dialogue de sourds dont on sait qu’il n’amènera à rien. Cela ne veut aucunement dire que tous les problème seront résolus, ça serait trop simple, juste que les deux parties parlent de la même chose. Un préalable indispensable.

Le quatrième est de fournir à leurs salariés un moyen de faire face à des imprévus qu’on imagine de plus en plus nombreux à un horizon proche.

Sujets très sensibles mais si on veut qu’un programme « futur du travail » ait un impact sur ce qui compte pour les gens ce serait dommage de se contenter de jeter un voile pudique sur le sujet.

Image : futur de la paie de HJBC via Shuttertock

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Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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