Le futur du travail reposera sur la data et l’amélioration continue

Quand on parle de futur du travail j’insiste toujours sur le fait qu’on doit parler principalement du travail et de son contenu, pas de qui lui est périphérique. Améliorer sans cesse les onboardings c’est bien, repenser la manière dont le travail est conçu et exécuté c’est mieux tant au niveau de l’expérience employé que de la performance de l’organisation.

Mais on ne peut améliorer que ce que l’on mesure et c’est donc le sujet du jour. Un sujet que nous allons essayer de comprendre au travers des tendances majeures qui dessinent le travail de demain.

La pandémie

En imposant un télétravail forcé et généralisé à des entreprises et des collaborateurs qui n’étaient pas du tout prêts, la pandémie n’a pas vraiment créé un problème nouveau mais mis en avant un problème existant.

En effet comme je le disais dans mon dernier article sur le sujet la plupart des managers sont incapables de suivre le travail de leurs collaborateurs sans les voir, ce qui est d’autant plus grave que voir quelqu’un d’occupé n’est pas le signe qu’il travaille et avance et permet encore moins de comprendre ce qu’il fait et comment le travail est fait individuellement et collectivement.

La pandémie a donc amené l’attention sur un sujet sans pour autant que des réponses valables ne soient apportées.

La consumérisation

Aujourd’hui la data est partout dans nos vies privées, pour le meilleur ou pour le pire. Tout ce qu’on qu’on fait, la manière dont on se comporte sur un site, nos comportements en ligne, tout est tracé pour améliorer parcours et expériences…et aussi pour nous harceler de messages si on n’a pas été au bout de l’acte d’achat.

Et que dire du quantified self ? Balances, montres connectées ne cessent de collecter des données sur nous, notre activité, notre santé.

A la fin on est supposés mieux se connaitre, comprendre comment on fonctionne. Bon, cela permet aussi aux marques de mieux nous connaitre, ce qui peut être une bonne chose lorsque c’est simplement pour améliorer une expérience en ligne, moins si c’est pour pratiquer un marketing agressif. Mais ça n’est pas le sujet.

Mais revenons au travail. Je mets au défi beaucoup de managers de m’expliquer comment leurs équipes arrivent individuellement et collectivement à réaliser ce qui leur est demandé.

Il y a bien des modes opératoires, des process formalisés mais ils sont par définition incomplets, s’agissant le plus souvent d’activités nécessitant des process adhoc. Il existe un cadre mais dans ce cadre les collaborateurs ont de la marge pour s’adapter et ça personne n’est capable de le monitorer, l’expliquer, l’améliorer.

Personne ne connait moins bien les collaborateurs que leur employeur. Personne ne sait mieux qu’eux de quoi est fait leur quotidien et on ne fait pas grand chose pour y arriver à part les questionner. C’est un bon début mais ça manque de précision et d’objectivité.

Mais si le collaborateur peut se dire que personne ne le connait ni ne le comprend, le manager qui aurait envie de sortir du contrôle visuel et du présentéisme peut aussi se dire que rien n’est fait pour l’aider alors que dans ses usages personnels il est abreuvé de données sur tout et n’importe quoi.

Un fossé de moins en moins compréhensible et qui crée des attentes.

L’évolution de la société et de l’économie

Aujourd’hui une pert essentielle de notre activité repose sur des activités de « travail du savoir ». Un terme un peu pompeux qui contrairement aux idées reçues ne désigne pas que des salariés hyper qualifiés mais plutôt des activités consistant à la manipulation et la transformation d’information aux travers de flux de production intangibles.

A l’inverse des activités de productions industrielles cette partie de l’économie n’a jamais fait l’objet d’un travail de compréhension quantitative poussée, à tel point qu’on peut dire que les activités créant le plus de valeur aujourd’hui ne savent pas trop aujourd’hui comment elles la créent ni comment s’améliorer au travers d’une approche logique et rationnelle.

C’est la transformation, actée depuis longtemps, de nos économies dans cette direction qui rend cette démarche indispensable et fait le lien avec le point suivant.

La transformation des activités de service et du travail du savoir

Promis c’est la dernière fois que je vous répète que comme le disait cet article du New York Times :

« Peter Drucker a fait remarquer qu’au cours du XXe siècle, la productivité des travailleurs manuels dans le secteur manufacturier a été multipliée par cinquante, car nous sommes devenus plus intelligents quant à la meilleure façon de construire des produits. Il a fait valoir que le secteur de la connaissance, en revanche, avait à peine entamé un processus similaire d’auto-examen et d’amélioration, existant à la fin du XXe siècle alors que le secteur manufacturier l’avait été cent ans plus tôt« .

La raison de cette lacune est assez facile à expliquer. Parlant de flux de production intangibles on ne les voit pas donc il est facile de faire comme s’ils n’existaient pas, se dire qu’on ne peut rien mesurer et par conséquent rien améliorer. Une approche qui atteint ses limites.

On n’a jamais vraiment trop amélioré la productivité des travailleurs du savoir, on a juste augmenté la quantité de travail. Travailler plus pour produire plus, mais jamais travailler autant ou moins pour produire plus. Travailler plus au lieu de travailler mieux. Cela fonctionne un temps mais vient un jour où non seulement on ne peut en demander davantage aux gens (burnout etc) mais en plus on ne trouve plus gens à ajouter (pénurie de talents) où ils coûtent trop cher.

Deux levier ont été identifiés : la collaboration et la technologie.

La collaboration reste une chimère. Déjà qu’on manquait de données objectives pour comprendre comment améliorer le travail au niveau d’une personne, le faire au niveau d’un collectif relève de la mission impossible. Disons qu’on a surtout mis en place de la coopération (division des tâches sans but commun, e but de certains n’étant que la réalisation d’une tâche) que de la collaboration (travail collective autour d’un but commun).

Pour ce qui est de la technologie, aussi performante soit-elle (et elle l’est aujourd’hui, en tout cas en termes de potentiel) elle est mal maitrisée collectivement et a été déployée sans transformation des modes de travail (cf plus haut) en s’imaginant qu’elle serait auto-porteuse alors qu’elle ne délivre son plein potentiel qu’à ceux qui veulent changer la manière dont ils travaillent. Belle justification du paradoxe de Solow qui nous dit qu' »On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité« .

Bref la manière dont est exécutée ces activités doit subir un processus de questionnement et d’amélioration pour que les activités qui tirent l’essentiel de la croissance et génèrent la majorité des emplois dans des pays comme le notre ne soient pas les exclus de l’excellence opérationnelle.

Par contre ce qui a changé est qu’il nous est possible de mesurer tout ou partie de ces activités et comprendre de manière qualitative et quantitative ce qui se passe au niveau individuel et collectif grâce aux mécanismes de feedback et aux données secondaires.

Je vous conseille au passage la lecture de l’excellent use case de Qualtrics mentionné dans ce billet :

« Pour ce faire, il trouve automatiquement les points d’intersection entre l’expérience des collaborateurs et les opérations, ce qui permet aux organisations d’explorer beaucoup plus efficacement leur impact global sur les indicateurs clés de performance de l’entreprise.« 

Bref les entreprises ne sont plus aveugles et peuvent donc entreprendre un process de compréhension et de transformation du travail en se basant sur des données plutôt que sur l’intuition d’un quelconque gourou.

Conclusion

Les entreprises ont aujourd’hui des données pour pouvoir enfin comprendre et améliorer les activités du travail du savoir, étape indispensable avant de rentrer dans une logique d’amélioration continue. Il n’est concevable en effet que ce pan de l’activité reste le seul à ne pas comprendre ni améliorer de manière structurée la manière dont il opère !

En effet il serait bien, quand on parle de futur du travail, qu’on parle enfin de ce que les gens font et comment ils le font, pas seulement de ce qui se passe autour quand ils ne produisent pas.

Ensuite s’en suivront des actions de changement / transformation / amélioration dont le succès dépendra justement sur la qualité des données recueillies et l’interprétation qui en sera faite. Parfois il faudra juste agir à la marge, d’autres fois plus profondément.

Enfin il faudra faire exister ces sujets et les faire avancer alors que le plus souvent le poids du business quotidien accapare toute l’attention des équipes et repousse toute velléité d’amélioration à une date indéterminée. Peut être en s’inspirant des méthodes agiles pour avancer incrémentalement mais sûrement au lieu d’attendre d’avoir le temps de faire un big bang ?

Dernier point : ces données doivent servir à mesurer les process, modes opératoires et manière dont le travail est fait, pas pour mesurer les individus. Commettre une telle erreur aurait en effet un impact catastrophique en terme de confiance mais un outil très populaire du poste de travail a bien failli la faire.

BilletSujet
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Photo : amélioration continue de dizain via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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