On ne peut pas parler du futur du travails sans parler du management. Si un employé ne quitte pas une entreprise mais un manager, il faut également reconnaitre que ce qui permet à un salarié de délivrer son plein potentiel ou de le gâcher c’est son manager.
Cela vaut au niveau individuel et encore davantage au niveau de la performance collective d’une équipe.
Nous allons donc regarder, comme d’habitude, ce besoin au regard des grandes forces qui façonnent le futur du travail.
La pandémie
Elle a montré toutes les limites d’un modèle managérial marqué par le manque de confiance et le besoin de tout contrôler visuellement comme nous l’avons vu précédemment.
A la sortie de la crise 20% des cadres ne voulaient plus gérer d’équipes ! Dire que cela été une période très difficile pour eux est un euphémisme mais ça n’est qu’un constat qui est inutile si on ne regarde pas les causes du problème. Oui on a promu manager des gens qui n’auraient jamais dû l’être et souvent ne le voulaient pas, mais on a aussi échoué à leur donner les moyens de réussir dans le monde d’aujourd’hui qui est également en partie celui d’hier mais avant que le COVID ne mette le système sous pression on faisait comme si ne rien n’était.
Quand on est à distance il faut complètement revisiter la posture managériale mais également nombre de règles et de procédures de contrôle qui ne sont pas adaptées.
Mais il n’y a pas qu’un problème de confiance et de contrôle, qui a des sources multiples, il y a également un problème de leadership.
La plupart des managers manquent totalement de ce que j’appelle le « leadership numérique ». Non seulement ils en ont souffert eux-mêmes mais en ont fait encore plus souffrir les autres.
Le leadership numérique c’est la capacité à exister, remplir son rôle, au sein d’une entreprise distribuée où les relations se passent majoritairement par des canaux digitaux, avec des personnes qui parfois ne voient physiquement que peu ou jamais.
Il y a la dimension communication d’abord. Beaucoup de gens ne savent pas écrire un email, ou plutôt savent y mettre un message sans comprendre l’impact que la lecture du message en fonction de la forme, du ton employé.
C’est encore pire avec les messageries et le tchat.
Mais là je ne parle que de communication formelle. Le leadership va plus loin. Comment faire passer un message implicite, rassurer, faire de l’humour, parfois sans dire un mot (emoticons) et en étant sûr de ne pas commettre d’impair, d’être bien compris.
Exister comme leader dans une conversation de groupe n’est pas inné et beaucoup de managers ont une attitude et une communication castrophique dans ces contextes.
On peut également parler des réunions à distance. Là aussi on n’y existe pas de la même manière que dans une réunion traditionnelle et un manager plus qu’un autre doit savoir les réguler mais également y délivrer des messages implicites. Là encore tout est à apprendre.
Encore une fois la pandémie n’a pas créé de problèmes nouveaux mais mis en exergue une foule de problèmes préexistants. En avoir conscience est bien mais admettre que le soit disant retour à la normale va éviter de devoir les adresser est une faute.
Autre chose que la pandémie a mis en avant mais qui n’est qu’un aspect de ce que j’écrivais plus haut. Les managers ont pour la plupart une approche individualisée de la performance d’équipe (si on pousse chacun à son maximum on tirera le maximum de l’équipe) ce qui est faux. La somme des maximums locaux ne constitue jamais un optimum global. Cela fonctionne dans une logique de coopération, pas de collaboration. Pour tirer le meilleur d’une équipe et a fortiori dans le contexte d’activités de services et à haute intensité de « travail du savoir », il faut savoir travailler sur le le contexte, le système, le cadre global et pas seulement sur chaque individu pris un à un.
La consumérisation
Peu de choses à dire ici si ne n’est qu’on parle d’outils (visioconférence, tchat) largement utilisés par tous dans la vie de tous les jours et, ce, avec une certaine fluidité.
Il est intéressant de voir que si ces outils sont également massivement rentrés dans notre univers professionnels les codes qui vont avec sont restés à la porte du bureau.
Et utiliser un outil de 2021 avec une posture de 1990 cela de fonctionne pas.
Ici on ne parle pas de l’arrivée de « consumer technology » au bureau, c’est fait depuis longtemps. Par contre on parle des comportements qui vont avec et en font des outils de communication, de collaboration et de leadership efficaces et pas, comme aujourd’hui, contreproductifs.
La technologie
Les outils disponibles aujourd’hui et présents dans toutes les entreprises permettent de totalement transformer la manière dont on collabore et travaille. Le problème est que leurs cas d’usages sont mal ou pas maitrisés et qu‘on s’en sert pour travailler comme avant, ruinant leur proposition de valeur et, pire, en donnant une mauvaise image aux collaborateurs qui voient les problèmes liés à leur utilisation au lieu de voir les bénéfices qu’ils apportent.
Et c’est encore plus vrai dans une organisation hybride.
De la même manière qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’une application fonctionne dans un contexte où ses hypothèses ne sont pas valides, on ne peut utiliser les outils d’une communication, d’une collaboration et in fine d’un management moderne pour fonctionner à l’ancienne.
La technologie fait peser un vrai enjeu de transformation sur le management si on veut qu’elle délivre sa pleine valeur car « si on voit l’informatique partout sauf dans les statistiques de productivité » ça n’est peut être pas à cause des ordinateurs mais de la manière dont on s’en sert. Et au niveau d’une équipe, la manière dont on communique, travaille et collabore, est une responsabilité managériale.
L’évolution de la société et de l’économie
Peu de choses à dire ici si ça n’est que notre société évolue vers des rapports plus plats, moins formels, désintermédiarisés.
Et cela rejoint ce que j’ai écrit plus haut : on utilise des outils adaptés à cette attente mais avec une posture totalement inadaptée. Et rien ne changera tant que managers et leaders ne montrent pas l’exemple au travers de leur propre utilisation.
La transformation des activités de service et du travail du savoir
On ne gère pas une équipe travaillant de manière non linéaire en suivant des process adhoc afin de traiter de l’information et du savoir et des gens travaillant individuellement en suivant des process industriels sur des flux physiques.
Une fois qu’on a compris ça on a compris la nécessité pour le manager de penser système plutôt que de penser individu (96% des dysfonctionnements ont une origine systémique et pas individuelle) et, en tant que manager, comment faire qu’au lieu de suivre les process les collaborateurs les adaptent et les améliorent.
C’est un des enjeux majeurs du futur du travail si vous pensez que le futur du travail concerne au moins autant le contenu du travail que mettre des Playstation dans les open space !
Cette transformation ne se passera sans les managers, mais pour cela encore faut il qu’ils aient compris qu’ils doivent changer de posture, que leur rôle évolue.
Conclusion
Je ne vais pas rentrer dans le débat sans fin sur le fait que le manager de demain soit plutôt bienveillant, supportif, collaboratif, leader ou pas. Le manager a pour mission de faire en sorte que les choses se fassent et pour y parvenir il a autant de postures à sa disposition que de contextes dans lesquels il peut se trouver.
Par contre pour y arriver il lui faut deux choses : la bonne posture, notamment dans une entreprise distribuée, hybride et digitalisée et la compréhension des leviers à sa disposition.
D’un côté il aura besoin de développer une nouvelle posture et de l’incarner dans les outils de communication à sa disposition et pas seulement dans un bureau ou lors d’un kick off trimestriel en présentiel qu’il impose car il ne sait pas s’adresser à ses troupes autrement.
D’un autre côté il devra comprendre qu’il ne peut pas optimiser la performance collective en étant derrière chaque individu mais en améliorant leur système de travail collectif et les laisser libres au sein de ce système. Libres également de participer à son amélioration car dans le monde d’aujourd’hui ils impactent autant le système que le système ne les impacte.
Car sans futur du management il n’y aura pas de futur du travail.
Image : digital leader de Alfa Photo via Shutterstock