Le futur du travail est une notion finalement assez générale. Mais pour une personne donnée le futur du travail c’est également le futur de son travail, savoir ce qu’elle fera demain ou après demain.
Quand le futur du travail en général rencontre le futur du travail d’une personne en particulier se pose la notion de gestion des carrières.
Comme d’habitude nous allons explorer cela au regard des forces qui actuellement façonnent le futur du travail.
La pandémie
Une fois le volet sanitaire totalement fermé et vu que l’économie ne s’en est pas si mal sorti que ça (même si ça a été pour foncer tout droit vers une autre crise), ce qui restera peut être de plus visible comme vestige de la pandémie est le virage pris par certaines trajectoires professionnelles.
Il y a eu ceux qui ont décidé de totalement changer de métier. Parfois en démissionnant parfois au sein même de leur entreprise.
Et puis il y a eu dans les entreprises des besoins nouveaux, temporaires ou provisoires, quand certaines ont du faire pivoter leur activité pour continuer à exister pendant voire après la crise.
Des personnes ont du parfois combler des trous dans l’organisation et faire un autre métier et parfois cela leur a donné envie de continuer.
Quoi qu’il en soit et même si son impact a été parfois indirect, la crise a mis sur le devant de la scène le sujet des changements de vie et donc des changements de métiers, que ce la corresponde à l’aspiration du salarié ou aux besoins de l’entreprise.
Lorsque cela ne se peut se faire qu’en dehors de l’entreprise il faut l’accepter. Quand cela est possible à l’intérieur l’entreprise doit pouvoir l’anticiper et le rendre possible non seulement pour éviter de perdre des talents mais également parce qu’accompagner ces évolutions est vitale pour elle pour faire face à ses propres besoins.
La consumérisation
Sans impact sur le sujet mais à y regarder de plus près il y a quand même des signaux faibles à considérer.
J’ai l’exemple de personnes qui, avant, pendant, ou après la crise, ont eu envie d’apprendre quelque chose de radicalement nouveau avec l’envie de changer de métiers.
Leur entreprise ne pensant la formation que dans le prolongement de leur métier actuel et pas dans l’optique d’apprendre à leurs collaborateurs à faire un métier radicalement nouveau ils se sont débrouillés tout seuls. Qui avec des MOOCs, qui même avec des tutoriels Youtube pour apprendre quelque chose de plus technique ou manuel…
Au final parfois cela a payé, parfois moins mais quelque chose s’est passé et des portes se sont ouvertes. Certains ont quitté leur entreprise pour en rejoindre une autre, quitte à repartir de plus bas, et vivent aujourd’hui une nouvelle vie.
Leur retour d’expérience ? Qu’il soit dommage d’avoir dû quitter une entreprise dans laquelle ils étaient bien simplement parce qu’ils voulaient changer de filière alors même qu’elle recrutait des débutants dans le métier qu’ils voulaient faire.
Un verbatim ? « Je voulais quitter la fonction RH pour devenir commercial. On recrutait des commerciaux juniors que l’on formait mais comme j’étais RH je n’avais le droit que de progresser dans la filière RH. »
La technologie
Sans impact même si dans certains cas elle joue un rôle indirect : c’est les perspectives qu’elle ouvre qui donne des idées à certains.
L’évolution de la société et de l’économie
Ici on est au coeur du sujet.
Cela fait Plus de 10 ans que j’entend que 80% des métiers que l’on fera à un horizon très proche n’existent pas aujourd’hui. Et je pense que c’est vrai à un détail près.
Au gré des modes on voit apparaitre des métiers nouveaux qui ne sont qu’un ancien métier qu’on a rebrandé pour le rendre plus attractif.
Pour le reste c’est une réalité. Non seulement de nouveaux métiers apparaissent mais d’anciens disparaissent. Sachant que le réservoir de talents hors de l’entreprise n’est pas infini et que de toute manière s’agissant de métiers nouveaux il n’y a souvent pas encore beaucoup de formations dédiées former ses salariés à apprendre ce nouveau métier peut être un pari intéressant.
Ce qui change et va s’accentuer au fil du temps est que ce qui était une exception va devenir une norme à grande échelle et que les entreprises qui pouvaient prendre la chose pour un inconvénient qu’elle pouvaient gérer par le jeu des entrées/sorties vont devoir voir la chose sous l’angle d’une opportunité à traiter par des cursus internes.
La transformation des activités de service et du travail du savoir
Aucun lien avec le sujet, on ne parle pas de l’organisation et du contenu du travail mais d’un niveau plus macro.
Conclusion : des passerelles plus que des parcours
Quand on parle de carrière on parle le plus souvent de progresser dans un métier, dans une filière. Un développement « vertical » des compétences métier plus managériales qui permet de monter verticalement dans la hiérarchie.
Passer des RH au commercial ? De la finance à la cybersécurité ? De l’IT aux RH ? Impossible. Les passerelles n’existent pas, on ne pense pas à aller chercher dans un métier quelqu’un pour lui proposer d’aller en exercer un autre totalement différent mais pour lequel il a pourtant des compétences.
Pourtant ce besoin va être de plus en plus vital.
En considérant les compétences clé d’un nouveau métier donné on peut se rendre compte qu’elles existent de manière dispersées ailleurs, dans d’autres métiers qui peuvent ne rien à voir avec. Est-il surprenant de voir un financier réussir en cyber sécurité ou en data analyst ? Peut être pas.
Quitte à être un peu hors sujet (mais pas tant que cela), je rappelle qu’une des personnes qui a été moteur dans la transformation de la communication interne en France a été Pierre Labasse, directeur de la communication interne chez Danone (à l’époque d’Antoine Riboud à propos de qui il a écrit un livre que je conseille à tous). Et Pierre Labasse était…un historien de formation. Quel recruteur trouverait naturel aujourd’hui d’aller recruter son Dircom chez les historiens ? Pas beaucoup je pense et pourtant il y doit y avoir des compétences liées à la formation et pas seulement à la personne de Labasse qui font que ça a été un excellent choix.
Il faut donc penser horizontal et plus seulement vertical.
L’idée est donc de construire des passerelles entre les métiers, identifier des corpus de compétences nécessaires, prendre les gens qui en ont une partie et leur apprendre ce qui leur manque. Au moins on ne part pas de rien.
Mais pour y parvenir encore faut il avoir une idée précise des compétences nécessaires à un endroit, de celles qu’on s’attend à trouver ailleurs (liées au métier), de celles qui existent chez un individu donné en raison de son parcours et être capable de très rapidement faire acquérir aux individus concernés les compétences qui leur manquent.
Encore faut il donc être capable d’identifier les besoin et les signaux faibles très en avance de phase.
Cela passera par la construction de dispositifs de formation très granulaires et modulaires, rapidement exécutables.
Cela veut dire assumer enfin que pour avancer dans sa carrière « aller plus haut » ne doit plus être la seule option pour un salarié. Aller ailleurs doit être au moins autant valorisé.
Cela demandera donc avant tout d’oser sortir des sentiers battus.
Une évidence ? Du bon sens ? Quand on voit que la machine à promouvoir des managers continue à favoriser des personnes qui excellent sur le terrain et qui n’ont aucune fibre managériale on se dit que le jour où on ira prendre des RH pour en faire des spécialistes de la data n’est pas arrivé.
Ca n’est pas une question de talent, juste d’ouverture d’esprit.
En tout cas l’enjeu est fort : si l’entreprise n’est pas capable d’y faire face en interne les coûts d’entrée/sortie et seront considérables sans parler du fait que rien ne leur garantit de ne pas se retrouver en pénurie de talents en raison de marchés limités. A ne regarder que la progression au sein d’un métier, d’une verticale, salariés et entreprises y perdront tous les deux.
Si le sujet vous intéresse vous pouvez également lire ce court rapport chez Josh Bersin. Il ne parle pas que de cela mais le fait d’une manière peut être plus aboutie.
Image : gestion des carrières de Olivier Le Moal via Shutterstock