L’expérience employé est le grand sujet du moment. Ou l’était. Je ne sais pas si vous pensez comme moi mais je trouve qu’on en parle de moins en moins.
Plusieurs raison à cela à mon avis.
La première est qu’avec le temps les entreprises ont compris son importance et qu’après le temps de l’évangélisation est venu le temps de l’action. Je n’y crois que modérément.
La seconde est que faute de vouloir ancrer l’expérience employé dans la réalité des opérations on l’a noyé dans la QVT et c’est là qu’elle va poursuivre sa vie et mourir. Un cas qui risque d’être assez fréquent.
La troisième est que les entreprises les plus avancées ont compris le lien entre expérience employé et performance opérationnelle et qu’elle n’est plus un sujet en tant que tel mais a été distribué entre les personnes en charge de ses diverses composantes. Loin d’être une généralité mais pourquoi pas.
La quatrième est que faute d’une définition partagée de ce qu’est l’expérience employé tous ses partisans sont partis la faire à leur manière dans leur coin sous des noms divers. Très probable.
La vérité est que cela doit tenir un peu des quatre.
En tout cas cela ne me surprend pas. En commentant plus tôt cette année le 5e baromètre de l’expérience employé et dans la lignée de mes commentaires sur le 4e, je disais que soit on s’accordait sur ce dont on parlait et on professionnalisait la chose soit on allait vite arrêter d’en parler.
Mais ça ne veut pas dire que le sujet est sans importance et il le sera d’autant plus à l’avenir qu’il n’a été que partiellement traité jusqu’ici.
Par conséquent il est difficile d’imaginer le futur du travail sans penser au futur de l’expérience employé, regardons ça au regard des forces qui façonnent le futur du travail en question.
La pandémie
La pandémie a fait beaucoup de bien et beaucoup de mal à l’expérience employé.
Du bien car elle a mis le sujet sous le feu des projecteurs.
Du mal car cela s’est passé exclusivement avec une approche QVT.
Pleins de choses sont passées à la trappe et c’est dommage. On a perdu l’occasion d’adresser pleins d’irritants liés à l’organisation de l’entreprise, celle du travail, l’usage des outils et les pratiques collaboratives, process et workflows, circuits de décision…toutes ces choses largement imparfaites qui fonctionnent tant bien quel mal au bureau grâce aux échanges en off mais qui ne fonctionnent plus à distance.
On a raté l’occasion de simplifier, fluidifier, rendre plus efficace le travail des individus et des équipes.
Je rappelle ce propos de Jean-Denis Culié professeur et chercher à l’EM Normandie :
« Plus globalement, il faut remettre le travail au centre de la relation entre le salarié et l’employeur. La gestion des ressources humaines s’est emparée de la qualité de vie au travail, le management s’intéresse aux objectifs et aux résultats. Mais ce qui importe aux salariés, c’est de pouvoir bien réaliser leur travail. «
Si être en condition de bien faire son travail ça n’est pas de l’expérience employé je n’y comprend plus rien.
En étant préemptée par les RH l’expérience employé a donc à cette occasion perdu toute chance de devenir opérationnelle avec un angle « amélioration continue et performance opérationnelle ». Ceux qui tenaient à cette voie ont donc fait leur chemin de leur côté, hors du scope du programme expérience employé officiel, ce qui contribué au démembrement de la notion.
Et pour en finir avec la pandémie, elle a entrainé, à juste titre une sur-mobilisation sur les sujets d’expérience employé et de qualité de vie au travail. Jusqu’au ras le bol ? J’ai l’impression que pour beaucoup il y a une envie réelle de tourner la page et que pour la tourner il faut abandonner certains sujets trop estampillés pandémie et passer à autre chose.
Bref la pandémie aurait pu être une énorme occasion de traiter l’expérience employé en profondeur mais elle a surtout aidé à orienter le sujet dans une direction unique voire à provoquer une sorte de ras le bol à son sujet.
Résultat : d’un côté il reste beaucoup à faire et de l’autre l’expérience employé à été démembrée, de nombreuses personnes en traitant une partie dans leur coin en fonction de leurs propres convictions et sans cohérence globale. Il faut adresser l’expérience employé au niveau du flux de travail et tout reste encore à faire.
La consumérisation
Son rôle est essentiel et tout le monde peut le comprendre sans aucun effort. Il suffit de regarder l’effort déployé sur l’expérience client, en ligne mais aussi hors ligne par quasiment toutes les entreprises, peu importe leur secteur.
Le client, l’utilisateur ont, même inconsciemment, un « job to be done » : acheter, se renseigner, consommer un contenu, régler un problème, créer un contenu…peu importe. Et faire ce « job » doit être simple, fluide, engageant. C’est aussi simple que cela.
Si on compare avec l’expérience vécue au travail où le moins qu’on puisse dire est que la notion de « job to be done » est aussi essentielle que peu prise en compte, le contraste est flagrant.
Quand un collaborateur voit les efforts que font les entreprises, et souvent son entreprise, pour simplifier la vie des clients et qu’il a l’impression qu’à l’inverse tout est fait pour compliquer la sienne à tel point qu’il a l’impression de devoir se battre contre l’organisation pour accomplir ce qu’on lui lui demande.
Conséquences : un potentiel de performance gâché et un risque de désengagement.
La technologie
Sans impact ici car non prioritaire. On ne construit pas un programme ni une stratégie expérience employé en fonction des outils disponibles dans le but de les utiliser. On commence par se demander quels sont les objectifs poursuivis, quelle est la vision cible et ensuite seulement on l’outille.
La vision décide des outils, pas l’inverse.
L’évolution de la société et de l’économie
Cela fait belle lurette qu’on ne cesse de nous raconter que nous sommes désormais rentrés dans ce qu’on appelle l’économie de l’expérience. Soit.
Mais partant du principe qu’il n’y a pas d’expérience client sans expérience employé cette économie de l’expérience doit trouver son pendant en interne.
Le client n’achète plus un produit mais une expérience. Un salarié qui n’a qu’un job sera moins efficace et engagé qu’un employé qui vit une vraie expérience au travail. L’expérience employé en plus d’être un levier opérationnel de performance est la nouvelle marque employeur.
Les entreprise sont donc condamnées à se transformer à l’intérieur pour être cohérentes et en capacité de tenir la promesse faite à l’extérieur. Il eut été préférable de faire les choses dans l’ordre inverse mais bon..
La transformation des activités de service et du travail du savoir
Je l’ai répété à maintes reprises dans ces métiers l’avenir est à la mise en place de process qui leurs sont vraiment adaptés, autrement dit dans un contexte de travail adhoc et de flux intangibles c’est admettre que les gens influent autant sur les process que les process influent sur les gens.
Facile à dire mais en termes de design du travail et de management c’est une révolution copernicienne.
Là on est au cœur du work design et de l’expérience employé car c’est en donnant aux collaborateurs un cadre organisationnel adapté à la réalité de leur travail qu’on les rend plus efficaces, qu’on les supporte au lieu des les entraver. Incidémment cela crée, à défaut de bonheur, au moins de la satisfaction.
C’est le chantier du siècle pour des métiers qui ont toujours été les parents pauvres de l’excellence opérationnelle et à qui on a imposé des modèles qui n’étaient pas faits pour eux.
Conclusion : l’expérience employé encore mais autrement
L’expérience employé est importante et il reste beaucoup à faire en la matière. Mais je ne pense pas qu’il faille continuer à faire comme avant et on voit d’ailleurs que le sujet s’essouffle.
Aujourd’hui le plus souvent l’expérience employé est un programme global déroulé du haut en bas de l’entreprise. Ce qui pose deux problèmes.
Le premier est qu‘il est est forcément connoté en fonction de la personne qui le pilote. Et comme le plus souvent il a échu au RH la partie « expérience opérationnelle » dans le flux de travail est passée par pertes et profits. Mais cela aurait pu être l’inverse avec l’oubli de la partie QVT même si c’est plus improbable.
Le second, qui est un peu lié au premier, est qu’il est impossible de concevoir en haut quelque chose qui fonctionne dans tous les contextes, pour tout le monde, dans toutes les situations de travail. On ne peut âs régenter d’en haut la manière dont chacun travaille dans des contextes très spécifiques. Donc l’expérience employé s’est résumé au plus petit dénominateur commun. Souvent la QVT..et encore.
S’il semble utile que l’expérience employé reste un sujet global dans l’entreprise, avec une stratégie et des principes directeurs généraux, il faut que sa mise en œuvre soit plus locale, hyper locale.
Pour rependre mon propre exemple j’avais fixé des principes généraux pour la stratégie expérience employé de l’entreprise, mis en place tout ce qui pouvait s’appliquer à tous depuis le haut mais ça ne suffisait pas. Pour vraiment améliorer l’expérience dans les opérations il a fallu passer par la mise en place d’une démarche d’amélioration continue au sein de mon équipe. Mais cela n’est possible qu’au niveau de chaque équipe sous l’impulsion de son manager. Je l’ai fait pour la mienne, d’autres également, d’autres non.
L’expérience employé se niche dans pleins de détails du quotidien. Dans tout ce qui rend un métier, une équipe spécifique. Ca ne peut être un « one shot » global, c’est une foule de petits ajustements quotidiens en continu. Ca a donc vocation à devenir une activité quotidienne, en tâche de fond, une préoccupation de tous les jours, au niveau de chaque manager.
Jusqu’à présent on s’est beaucoup trop reposé sur le corporate avec un management local qui était plus client qu’acteur de la démarche, ce qui explique nombre d’échecs ainsi que les limites de la démarche.
Demain l’expérience employé ne sera plus (uniquement) une démarche globale mais un travail de tous les jours pour chaque manager dans la manière dont il manage les gens et organise le travail. Et à force on n’en parlera plus car cela sera devenu une évidence, une part évidente du rôle de chacun.
Image : expérience employé de Panumas Yanuthai via Shutterstock.